Images de page
PDF
ePub

tuelle et arrivait enfin à hauteur du fort Abd el-Kader (1). Nous avons déjà raconté la légende populaire de la prophétie de Sidi Touati, qui révéla à En-Nacer la destinée de sa capitale. Ce qui précède suffirait déjà pour faire apprécier les mérites de ce prince berbère, si, à côté des récits d'Ibn Khaldoun et de la tradition locale, les historiens européens ne nous fournissaient encore des documents précieux sur cette époque.

Une opinion généralement répandue, c'est que les nouveaux conquérants, dans un but de prosélytisme, prescrivaient la conversion immédiate ou l'extermination des peuplades vaincues. Les hommes du Livre (la Bible), les juifs et les chrétiens, ces derniers surtout, pour lesquels les musulmans eurent toujours moins de répulsion, n'eurent qu'à se soumettre à l'impôt. A ces conditions ils gardèrent leurs biens, leur culte, et leur commerce fut longtemps encore toléré. Ce n'est qu'exceptionnellement et à la suite de luttes violentes, que la force fut employée pour les contraindre à abandonner leur croyance ou à s'expatrier.

Jusqu'au XIIe siècle, plusieurs évêchés, et entre autres ceux de Carthage et d'Hippone, subsistèrent encore; le christianisme n'était pas éteint dans plusieurs villes et parmi les tribus berbères.

Les princes hammadites reçurent, à une époque vraisemblablement assez voisine de la fondation d'El-Kalâa, une colonie nombreuse de chrétiens berbères parmi les tribus qui vinrent peupler leur première capitale et qui continuèrent à l'habiter encore longtemps après la fondation

(1) Il est question de construire un quai qui aurait le même développement, et qui serait d'une grande utilité pour le commerce.

de Bougie. La bonne entente existant entre ces princes et le saint siége donnait une entière sécurité à leurs sujets chrétiens (1). Il y eut même pendant longtemps, et jusqu'au XIIe siècle, des chrétiens servant dans les armées des princes africains. Des facilités leur étaient données pour la libre pratique de leur culte au milieu des troupes et des populations musulmanes : l'église et les gouvernements chrétiens en permettaient le recrutement en Europe.

[ocr errors]

Ce qui nous reste de la correspondance pontificale, montre Grégoire VII s'occupant encore plusieurs fois de l'église d'Afrique, et recevant quelques satisfactions de ce pays, malgré la ruine presque entière de son église. Le Pape avait consacré lui-même un évêque pour l'un de ces rares évêchés. A peine le nouveau prélat était-il retourné en Afrique, que le siége de Bône vint à vaquer.... Au mois de juin 1076, le Pape chargeait l'archevêque de Carthage de se concerter avec le prélat récemment consacré à Rome, pour choisir ensemble un sujet digne de recevoir l'imposition des mains du souverain Pontife, et capable de défendre avec eux les instructions sacrées qui lui seraient données.

Conformément aux instructions de Grégoire VII, l'archevêque de Carthage et son collègue avaient cependant choisi parmi leurs prêtres un candidat à l'ordination épiscopale, en cherchant à répondre autant que possible aux désirs du clergé et du peuple d'Hippone, que cette déférence associait ainsi à l'élection. Le prêtre désigné se nommait Servand. Le roi En-Nacer agréa ce choix, et quand Servand partit pour Rome, il lui remit des lettres (1) De Mas-Latrie.

et des cadeaux destinés au Pape. Il fit plus : voulant témoigner à Grégoire VII le prix qu'il attachait à son amitié, et l'assurer de ses dispositions favorables pour ceux de ses sujets qui professaient la religion chrétienne, il fit racheter tous les prisonniers chrétiens que l'on trouva dans ses états et les envoya au Souverain Pontife. Il promit de même tous ceux que l'on pourrait découvrir par la suite.

Ces procédés touchèrent extrêmement la cour apostolique et les Romains. Plusieurs patriciens et hauts dignitaires ecclésiastiques voulurent rentrer en relations directes avec l'émir. Ils profitèrent du retour de Servand en Afrique, qui eut lieu en 1076 ou 1077, et envoyèrent avec lui plusieurs messagers chargés de complimenter le roi en leur nom. Le nouvel évêque rapportait, en outre, à En-Nacer une réponse extrêmement gracieuse de Grégoire VII lui même. Cette lettre, d'un caractère plus expansif qu'aucune de celles qui ont été échangées entre les papes et les rois du Moghreb, mérite d'être relue. En voici la teneur toute entière:

Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Anzir (En-Nacer), roi de la Mauritanie de la province Setifienne, en Afrique, salut et bénédiction apostolique.

» Votre Noblesse nous a écrit cette année pour nous prier de consacrer évêque, suivant les constitutions chrétiennes, le prêtre Servand, ce que nous nous sommes empressé de faire, parce que votre demande était juste. Vous nous avez en même temps envoyé des présents; Vous avez, par déférence pour le bienheureux Pierre, prince des apôtres, et par amour pour nous, racheté les

chrétiens qui étaient captifs chez vous, et promis de racheter ceux que l'on trouverait encore. Dieu, le créateur de toutes choses, sans lequel nous ne pouvons absolument rien, vous a évidemment inspiré cette bonté, et a disposé votre cœur à cet acte généreux. Le Dieu tout puissant, qui veut que tous les hommes soient sauvés et qu'aucun ne périsse, n'approuve, en effet, rien davantage chez nous que l'amour de nos semblables, après l'amour que nous lui devons, et que l'observation de ce précepte: Faites aux autres ce que vous voudriez qui vous fut fait. Nous devons plus particulièrement que les autres peuples pratiquer cette vertu de la charité, vous et nous, qui, sous des formes différentes, adorons le même Dieu unique, et qui chaque jour louons et vénérons en lui le créateur des siècles et le maître du monde.

» Les nobles de la ville de Rome ayant appris par nous l'acte que Dieu vous a inspiré, admirent l'élévation de votre cœur et publient vos louanges. Deux d'entre eux, nos commensaux les plus habituels, Albéric et Cencius, élevés avec nous dès leur adolescence dans le palais de Rome, désiraient vivement se lier d'amitié et de services. réciproques avec vous. Ils seraient heureux de pouvoir vous être agréables en ce pays. Ils vous envoient quelquesuns de leurs hommes, qui vous diront combien leurs maîtres ont de l'estime pour votre expérience et votre grandeur, et combien ils seront satisfaits de vous servir ici. Nous les recommandons à Votre Magnificence, et nous vous demandons pour eux cet amour et ce dévouement que nous aurons toujours pour vous et pour tout ce qui vous concerne. Dieu sait que l'honneur du Dieu toutpuissant inspire l'amitié que nous vous avons vouée, et

combien nous souhaitons votre salut et votre gloire dans cette vie et dans l'autre. Nous le prions du fond du cœur de vous recevoir, après une longue vie, dans le sein de la béatitude du très-saint patriarche Abraham. »

Jamais peut-être, dit M. De Mas-Latrie, pontife romain, n'a plus affectueusement marqué sa sympathie à un prince musulman; jamais surtout, nous n'avons remarqué qu'un Pape ait exprimé avec cette effusion intime et ces ménagements la croyance commune des musulmans et des chrétiens au même Dieu, unique et immortel, servi et honoré par des cultes respectables quoique divers. Cette invocation d'Abraham, ce soin de rappeler les seuls points qui rapprochent deux mondes religieux si opposés d'ailleurs sur tout le reste, sont bien éloignés du ton général des missives échangées entre les papes et les princes musulmans. Quelques égards qu'ils aient témoigné à des khalifes ou à des émirs, dans les lettres les plus instantes qu'ils leur aient adressées pour demander une faveur ou les en remercier, les souverains pontifes conservent un accent d'autorité, de remontrance ou tout au moins de compassion, que les princes de l'islam prenaient aussi dans leurs missives, mais qui se fait à peine sentir dans les relations d'En-Nacer et de Grégoire VII. L'origine berbère et chrétienne du fils de Hammad et de sa nation, le secret espoir que pouvait donner une pareille descendance, étaient peut-être la cause de ces ménagements. Mais nous n'oserions pas insister sur de semblables conjectures (1).

Le commerce profita toujours de ces relations, dont il (1) De Mas-Latrie.

« PrécédentContinuer »