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longtemps les coutumes convenues; puis, quand elle se crut assez forte pour répudier ce témoignage constant d'une position précaire, elle voulut être chez elle maîtresse incommutable, et elle lutta, à diverses reprises, contre les indigènes qui se prétendaient les véritables propriétaires du sol (1).

Avant l'occupation du nord de l'Afrique par les Romains, le pays de Bougie appartenait à la Numidie de Massinissa. Ce prince indigène était l'allié des Romains. La révolte et la défaite de Jugurtha changèrent plus tard Rome d'alliée en suzeraine, et amenèrent l'annexion de la Numidie occidentale à la Mauritanie. Auguste convertit alors la Mauritanie en provinces. Selon Pline, Bougie fut une des colonies fondées par Auguste dans la Mauritanie dès la première annexion, 33 ans avant J.-C. On sait que huit ans après, revenant sur cette mesure, il donna cette province africaine à Juba II, en dédommagement de ses états héréditaires, définitivement incorporés à l'empire.

Quelqu'un se fondant sur la configuration du pays, prétendait naguères que les ruines de Bougie n'étaient autres que celles de l'antique Carthage. Cette opinion est inadmissible, car les recherches scientifiques auxquelles se sont livrés des hommes d'un savoir incontestable, tels que MM. Léon Renier et Beulé, constatent, d'une façon si péremptoire, l'emplacement respectif de Saldæ et de

(1) L'immense golfe compris entre l'Audum promontorium (cap Cavallo) et le Tetrum promontorium (cap Carbon), présente une série de petits ports naturels qui, dès la plus haute antiquité, attirèrent l'attention des navigateurs phéniciens. C'est à eux que doit probablement remonter la première fondation des escales de Saldæ (Bougie), Muslubio, Choba (Ziama) et Horrea, dont les vestiges se voient encore sur la plage, le long de ce golfe.

Carthage, que le doute à ce sujet n'est plus possible. La synonymie de Bougie avec Saldæ est parfaitement démontrée par cette inscription:

COL IVL AVG SALDANT

Colonia Julia Augusta Saldantium (1),

Au temps d'Auguste, les Romains construisirent aussi, sur la rive gauche de la Nasava (oued Sahel), à huit lieues de Saldæ, une forteresse dite Tubuscum oppidum ou Tubusuptus, dont les traces monumentales se reconnaissent dans les ruines de Tiklat, au pied des Fenaïa. Le Numide Tacfarinas, semblable à nos cherifs des temps modernes, entraîna les populations maures et numides dans une grande révolte. Il parcourut le pays, promenant le drapeau national, grossissant ses forces, annonçant partout le prochain renversement de la puissance romaine. Tacfarinas pénétra dans la vallée de la Nasava ; peut-être poussa-t-il jusqu'auprès de Saldæ, car, en l'an 25, nous le voyons investir la place de Tubusuptus; mais par une marche rapide, le proconsul Dollabella vint le forcer à lever le siége.

Trois siècles plus tard, une nouvelle révolte éclata dans les montagnes voisines de Saldæ. Firmus, fils de Nubel, de la nation quinquegentienne, nom que l'on donnait alors aux tribus kabiles du massif du Jurjura, fit entendre au loin son appel aux armes. Il voulait venger tous les Maures des odieuses exactions du gouverneur impérial Romanus. Chrétien de religion, il avait entraîné son peuple à embrasser avec ardeur le donatisme, pour ne pas

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Cette inscription a été transportée à Paris, au musée

professer le même culte que son ennemi (1). L'empereur s'empressa d'envoyer en Afrique le comte Théodose. Celui-ci part secrètement d'Arles, aborde sur le littoral de Gigelli et se rend à Setif, où les troupes qu'on lui envoie d'Europe ne tardent pas à le rejoindre. De Setif, Théodose arrive à Tubusuptus, et commence ses opérations militaires contre les révoltés, les Massinissenses, entre autres, dont les descendants, les Msisna ou Imsinen, forment encore, de nos jours, une des principales tribus de la vallée de l'oued Sahel, non loin de Bougie. Deux années de luttes ne suffirent pas à Théodose pour amener le calme dans le pays, dont la population d'alors avait le même caractère guerrier, les mêmes instincts de liberté que celle de nos jours. Firmus ne se laissa pas prendre vivant; au moment d'être livré par un allié perfide, il s'étrangla de ses mains (2).

Une inscription, trouvée par M. Pelletier en exécutant les travaux de terrassement de la nouvelle église de Bougic, signale, vers l'an 293, une autre expédition qui aurait été dirigée contre les Quinquegentiens (les montagnards de la Kabilie).

En voici la traduction donnée par M. Berbrugger:

A Junon et aux autres divinités immortelles !

En reconnaissance de ce que, après avoir réuni autour de soi les soldats de nos seigneurs, les invincibles Augustes, tant ceux de la Mauritanie Césarienne que ceux aussi de la Setifienne, il a attaqué les Quinquegentiens rebelles, en a tué un grand nombre, en a ramené beaucoup, pris vivants, a fait du butin dans leur pays; et leur tentative déses pérée étant réprimée, a remporté la victoire.

Aurelius Litua, homme perfectissime, gouverneur civil de la province de Mauritanie Césarienne a élevé ce monument.

(1) Ammien Marcellin.

(2) Voir sur cette guerre Ammien Marcellin.

M. Poulle, dans son remarquable travail sur la Mauritanie Setifienne (1), pense avec raison que les Salditains, à cause de leur voisinage avec les Quinquegentiens, avaient probablement souffert des dommages considérables. Ils écrivirent alors sur la pierre le bulletin qui a transmis jusqu'à nous le souvenir de la victoire d'Aurelius Litua.

Cette guerre contre les Quinquegentiens ne se termina qu'en l'an 297; elle paraît avoir été bien rude, puisque l'empereur Maximien Hercule crut devoir la diriger en personne (2).

D'autres rebellions, entre autres celle de Gildon, frère de Firmus, troublèrent encore le repos de la contrée. Le comte Boniface, général de Valentinien III, pacifia l'Afrique mauritanienne et la rattacha à l'empire d'Occident. Aetius, autre général de Valentinien, conçut une vive jalousie du succès de son collègue, et le rendit suspect à l'impératrice régente Placidie, qui le rappella. Boniface, bravant le ressentiment de sa souveraine, fit alors appel aux Vandales pour l'aider à se défendre. A cette époque, l'Afrique était le théâtre des plus affreuses dissensions; les orthodoxes, circoncellions et manichéens, ensanglantaient leurs mains dans des querelles religieuses, se persécutant et se massacrant réciproquement. Ce fut dans ces circonstances, que Genseric apparut en Afrique. Il était Arien, et les persécutés se rallièrent à lui. Les Maures, opprimés par les Romains, l'appuyèrent aussi.

(1) Voir notre Recueil archéologique, année 1863: A travers la Mauritanie Setifienne, par M. Poulle, vérificateur des Domaines.

(2) Voir, sur les Quinquegentiens, les Époques militaires de la grande Kabilie, par M. Berbrugger, et aussi la Revue Africaine, t. 4, p. 434.

A l'appel de Boniface, les Vandales, quittant l'Espagne, passèrent en Afrique. Dès leur entrée dans ce pays, ils portèrent, dans tous les lieux habités qu'ils rencontrerent, le fer et la flamme. Les riches et populeux établissements fondés sur la côte par les Carthaginois ou les Romains furent anéantis. Ce fut ainsi que les Vandales parcoururent, massacrant et ravageant, les trois Mauritanies, et qu'ils arrivèrent au fleuve Amsaga, qui devait être, aux termes du traité conclu avec Boniface, la limite de leur empire (1).

C'est, dit-on, Salda que Genseric choisit alors pour capitale de ses nouveaux états. Cette assertion a été repétée de confiance par plusieurs écrivains sur des données fort vagues; ni Marcus, ni Yanoski, dans leurs histoires des Vandales, ne relatent rien à ce sujet, ce qui nous oblige à n'en parler qu'avec une extrême réserve. Il est présumable que Saldæ, au moment même de l'invasion Vandale, ne fut pas atteinte par le flot envahisseur, par les raisons que nous aurons bientôt à développer en racontant les phases de la conquête arabe. Le fouillis de montagnes qui environne cette ville était une barrière. naturelle contre les agressions d'un peuple étranger.

Gramaye (Africa illustrata) est le seul auteur qui a mis en avant cette assertion de Bougie capitale vandale, et il a été suivi, copié, par Davity, Dapper, Delacroix et autres. Débarqués à Gadės vers la fin du mois de mai ou au commencement de juin 429, les Vandales ne firent que passer, sans s'y arrêter dans les Mauritanies. Genseric et les siens étaient déjà un an plus tard, - dans l'été 430,

(1) Histoire de la domination vandale en Afrique, par Yanoski.

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