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compte du degré d'intelligence il y a une plus grande différence entre le nègre et l'Européen qu'entre le gorille et le chimpanzé; 2o les analogies sont bien plus nombreuses entre le nègre et les singes qu'entre les Européens et les singes; 3° le nègre est intellectuellement inférieur à l'Européen; 4o le nègre s'humanise plus quand il est subordonné à l'Européen qu'en toute autre circonstance; 5° il ne peut être humanisé et civilisé que par l'Européen; 6° la civilisation européenne n'est adaptée ni à ses besoins ni à son tempérament.

L'exactitude de ces conclusions est, à peu de chose près, hors de doute; mais il faut bien reconnaître que ce n'est guère qu'en se servant des témoignages les plus défavorables que Hunt y était arrivé. Toutefois la description des caractères physiques du nègre est très-complète et peut être considérée comme un des meilleurs résumés sur le sujet. Au fond, l'opinion que les nègres transportés en Amérique y sont plus heureux et plus civilisés que dans leur pays natal a pour elle, alors non moins qu'aujourd'hui, toutes les probabilités, et c'est bien plutôt à une question de principe qu'à une question d'humanité que les abolitionnistes doivent leur triomphe. Quant à l'incapacité absolue des nègres pour une civilisation spontanée et progressive, l'observation tend à la démontrer. Mais l'existence de sept ou huit millions de noirs libres au sein des Etats-Unis. d'Amérique est un fait dont les conséquences seront peut-être déplorables, car l'immixtion fatale, dans un temps donné, d'une telle proportion de types inférieurs au sein des races indoeuropéennes de l'Amérique est de nature à effrayer ceux qui se préoccupent de l'avenir.

Quelques années après la publication de ce mémoire, James Hunt, toujours occupé des différences fondamentales des races humaines, reproduisit sous une forme plus générale ses vues sur les conséquences de ce fait; dans une étude sur la Race dans la législation et dans l'économie politique (Anthropolo gical Review, april 1866), il s'empare d'une phrase au moins hasardée de John Stuart-Mill et montre que les philosophes et les économistes, en spéculant sur le type humain qu'ils avaient sous les yeux, ne sauraient prétendre à généraliser les principes et les lois qu'ils ont déduits d'une observation partielle. Il se place comme anthropologiste en face des dogmatistes religieux d'une part, en face des socialistes égalitaires d'autre part, et il dénie

la portée de leurs conclusions comme fondées sur des à priori qui ne supportent pas le contrôle des faits. Prenant à partie trois des grands écrivains de son pays, Bentham, Buckle et Mill, il montre qu'en raisonnant sur l'homme et en légiférant pour les hommes, ils ont méconnu la conclusion rigoureuse à laquelle les eût conduit l'anthropologie, à savoir: « la nécessité de religions diverses et de formes de gouvernement correspondant à la diversité des races, de façon à mettre en harmonie les institutions des peuples avec leur constitution mentale ».

S'il n'est guère possible de soulever un problème à la fois plus vaste, plus difficile et peut-être, en ce qui est de l'avenir, plus inutile à résoudre, il est difficile de le traiter avec plus de vigueur de logique, de fine argumentation que ne l'a fait Hunt. Sans aucun doute, la diversité des races peut seule nous donner la clef de la diversité des civilisations, des langues, des morales, des religions. Mais il est clair que, grâce à un fait en apparence secondaire, en réalité principal la fréquence et la rapidité des communications l'uniformité tend à prévaloir à la surface du globe et que les races qui se trouveront incapables de se mettre à l'unisson disparaîtront dans un temps donné.

Mais laissons ces hautes visées dignes d'une existence tout entière, et venons retrouver, dans une nouvelle phase, celui qui eut l'honneur de les concevoir.

Vous savez, messieurs, le rôle considérable que joue en Angleterre l'Association britannique pour l'avancement des sciences, dont les réunions annuelles rassemblent tous ceux qui, à un titre quelconque, portent intérêt aux progrès de l'esprit humain. Ce n'est pas un mince honneur pour notre éminent secrétaire général, fondateur de notre Société, d'avoir été l'un des promoteurs les plus actifs de l'Association française qui s'est réunie l'an dernier à Bordeaux en première session. Vous savez aussi que, grâce à la légitime influence du savant éminent qui présidait l'association, la science de l'homme a obtenu une section séparée qui n'a pas été la moins brillante. Cette place dans le concours des sciences, Hunt a passé ses dernières années à la réclamer pour l'anthropologie, et il est mort, sans l'avoir obtenue, des suites des fatigues que lui causaient les discussions irritantes que provoquaient

ses réclamations pendant la session tenue à Exeter en 1869. La science de l'homme, en effet, n'est pas encore classée dans son véritable aspect par les directeurs de l'Association britannique, et les mémoires qui lui sont communiqués sur ce sujet capital sont relégués dans la section de géographie et d'ethnologie ou dans une sous-section du département de la biologie, botanique et zoologie. Le nom même d'anthropologie, qui a été longtemps un obstacle à la fusion des deux sociétés anglaises, l'ethnologique et l'anthropologique, était contesté et quelques-uns affectent d'en ignorer le sens. On connaissait l'entomologie, la conchyliologie, la phrénologie même, au besoin l'anthropophagie; mais l'anthropologie, non. Hunt, poussé par ses idées sur l'influence ethnique, supposa peut-être que sa science de prédilection ne passait pas, dans la terre classique de la pairie, pour avoir un nombre suffisant de quartiers, et il entreprit quelques recherches sur l'antiquité de l'anthropologie. De son côté, M. Bendyshe se livra au même travail et annonça que ce terme se rencontrait pour la première fois au seizième siècle sous la plume de Hundt (Magnus Canis), qui publia une Anthropologeion à Leipzig. Mais notre collègue, peu satisfait d'une pareille origine, retrouva dans Aristote l'aveрonoλoyós (celui qui parle ou traite des hommes), et il montra dans son discours annuel de 1865 que, depuis l'ouvrage de Hundt, des traités d'anthropologie ont été publiés en 1596 par Casman, en 1707 par Drake (Anthropologia nova), en 1788 par un anonyme de Lausanne, et que depuis le sens du mot s'est de mieux en mieux défini sous la plume de Blumenbach et de Flourens, tandis que les termes d'ethnologie ou d'ethnographie ne datent que de Balbi (1). Puis il poursuit dans presque tous les écrits contemporains le sens que les auteurs ont attaché aux deux termes rivaux, il en montre les significations distinctes et s'étonne à bon droit de voir M. Lubbock prétendre qu'ils sont synonymes. Mais ces considérations très-topiques ne touchèrent pas le conseil de l'Association britannique, d'où jusqu'à présent l'anthropologie est bannie.

(1) Dans une note qu'il veut bien me communiquer, M. Hamy mentionne l'anthropologie médicale de Plattner (1772), l'anthropologie physiognomique de Maes (1791), la célèbre anthropologie pragmatique de Kant l'anthropologie d'Abicht (1801), celle d'Its (1805), celle de Liebsch (1806-1808), enfin, celle de Metz (1821).

Je ne puis, messieurs, m'étendre plus longuement sur les travaux de notre regrettable collègue. Pendant quatre années il présida la Société de Londres, et il présenta chaque année dans une adresse annuelle le tableau heureusement tracé du mouvement de la science. Entre temps, il traduisait pour la Société les Leçons sur l'homme de Carl Vogt, il entreprenait des recherches considérables sur les monuments préhistoriques de Shetland, de Dorsetshire, de la Bretagne ; il prenait des séries céphalométriques en Norwége, au grand détriment de ses travaux professionnels, qu'il n'a jamais abandonnés.

Dans la dernière année de sa courte existence, il s'épuisa en vains efforts pour amener la fusion des deux sociétés, mais il ne voulut jamais consentir à renoncer au terme qui désigne si exactement la science de l'homme. Ce fut après la mort du plus tenace adversaire de la fusion, M. Crawfurd, que le projet longtemps caressé put se réaliser. Quelle n'eût pas été pour Hunt la joie d'en être témoin !

<< Comme homme et comme collègue, dit le docteur Beddoe, l'appréciation d'un tel caractère n'est pas difficile; bien peu hésiteront à ne point estimer avec moi la chaleur de son cœur, l'originalité vraie et le désintéressement de sa nature. Dans tout ce qu'il a dit et fait pour la Société, il m'a paru n'avoir d'autre préoccupation que nos intérêts, et il s'est trouvé toujours prêt à sacrifier ses sentiments à la raison. La vivacité de sa pensée, de ses impressions, de son langage l'a souvent conduit à se servir de termes qui ont pu provoquer la susceptibilité de ses adversaires; mais personne n'était plus prompt à faire la part de ces susceptibilités et à reconnaître tout ce qui était dû, et même au delà, aux mérites d'un adver- · saire. En ma qualité de président pendant les derniers mois de sa vie, je n'ai eu qu'à me louer de sa bienveillance et de ses égards; ses avis étaient toujours à ma disposition, mais jamais il ne tentait de me les imposer et il fut toujours prêt à se sacrifier tout entier pour aider et faciliter la marche de la Société. »

Comme homine de science, son principal et réel monument est la Société d'anthropologie. Puisse-t-elle vivre longtemps et prospérer pour l'honneur de sa mémoire!

Oui, si ce n'est un vœu superflu, puisse-t-elle vivre et prospérer, cette glorieuse rivale que nous avons vue grandir dans

2e SÉRIE. TOME 1.

C

d'incomparables proportions et qui, aujourd'hui encore, sous le nom d'Institut anthropologique et sous la présidence de sir John Lubbock, a réuni près de sept cents hommes éclairés enfin par le génie de Hunt et dévoués aux nobles poursuites d la science de l'homme! Puisse-t-elle vivre et prospérer! En honorant la mémoire de Hunt, nous rendons à son œuvre un légitime tribut d'admiration pour les grands travaux que nous avons à peine le temps d'étudier et d'analyser, et qui viennent chaque jour remplir les lacunes qu'offre encore l'histoire des races humaines et que nulle autre nation que l'Angleterre n'est au mème degré en mesure de combler.

Mais, en nous réunissant pour la première fois en séance solennelle depuis l'heure où d'affreux désastres ont désolé notre patrie, et tandis que des ennemis proclament sa déchéance, qu'il nous soit permis de rappeler que c'est à l'un de nous, pour qui Hunt fut un ami fidèle, que revient la gloire d'avoir institué la science de l'homme sur ses véritables et larges bases, d'avoir été sinon le créateur, du moins le régénérateur de l'anthropologie.

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