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liquide s'échapper par des orifices presque microscopiques, qui quelquefois ne communiquent avec la cavité crânienne que par des voies indirectes.

L'expérience ne peut donc réussir que sur les crânes dont toutes les sutures sont ossifiées, et dont les parois n'offrent aucune porosité.

Parmi les crânes extraits en 1866 de l'ossuaire de l'ancienne église Sainte-Marine, sur l'emplacement du nouvel HôtelDieu, il s'en est trouvé un qui m'a paru réunir toutes les conditions désirables. Ce crâne est celui d'un vieillard du sexe masculin; toutes les sutures sont effacées; les parois sont épaisses, très-denses et même éburnées; elles ne laissent filtrer ni l'eau ni le mercure. En outre, la conformation de ce crâne est telle, que, lorsqu'il repose sur sa voûte, les bosses cérébelleuses restent entièrement au-dessous du plan du trou occipital; les substances solides ou liquides introduites à travers ce trou peuvent donc remplir toute la cavité crânienne sans que l'action de la pesanteur y fasse obstacle.

Par conséquent, sous le triple point de vue de sa solidité, de sa densité et de sa forme, le crâne du vieillard de SainteMarine se prêtait mieux que tout autre à l'étude comparative des procédés de cubage. Il a été cubé plusieurs centaines de fois soit par moi-même, soit par mes collaborateurs. Il est connu dans mon laboratoire sous le nom de crâne étalon.

Pour pratiquer le jaugeage au mercure, j'ai d'abord luté avec de la cire les ouvertures des orbites, puis j'ai étalé une couche de cire sur toute la base du crâne, à l'exception du trou occipital; j'ai ensuite coulé du plâtre dans les fosses nasales pour boucher les trous de la lame criblée et l'ouverture du sinus sphénoïdal; enfin j'ai coulé par-dessus le tout une couche épaisse de plâtre, qui emprisonnait toute la face et toute la base du crâne jusqu'au trou occipital.

Le crâne ainsi préparé a été renversé sur sa voûte et assujetti dans une direction telle que le plan du trou occipital parût horizontal; puis il a été rempli de mercure. Plusieurs fuites capillaires, qui se sont produites surtout vers la fin de l'expérience, ont été arrêtées avec de la cire.

Le mercure a été ensuite vidé dans un vase et pesé avec les balances de précision du laboratoire de chimie de la Faculté de médecine. Il pesait 19 317 grammes.

Dans une seconde expérience faite immédiatement après, le crâne a reçu seulement 19 250 grammes de mercure.

Cette différence de 67 grammes, représentant environ 5 centimètres cubes, prouvait que l'attitude du crâne n'avait pas été exactement la même dans les deux expériences. Il était probable que la seconde fois le crâne avait été légèrement incliné en avant et qu'il était resté en arrière, dans les fosses cérébelleuses, un petit vide au-dessus du niveau du mercure. Pour supprimer cette cause d'erreur, je bouchai le trou occipital avec une lame de bois que je lutai avec de la cire, et que je consolidai par une coulée de plàtre. Puis, faisant reposer le crâne sur sa base, je pratiquai sur le point culminant du vertex un trou de 3 millimètres de diamètre, destiné à recevoir un entonnoir, et tout près de là un second trou de 1 millimètre, sorte de soupirail destiné à laisser passer l'air expulsé par le mercure.

Le mercure fut alors introduit par l'entonnoir. Cette fois le crâne reçut 19507 grammes.

La température du laboratoire était à + 14 degrés. On sait que la densité du mercure, à zéro, est de 13,5960; à +14 degrés elle n'est que de 13,5618. Le volume de 19 507 grammes

de mercure à 14 degrés est donc de

19307 13,5618

1423,6.

Dans les deux premières expériences, où le mercure avait été versé par le trou occipital, le rapport du poids à la densité du mercure donnait 1424,5 et 1419,4. Mais j'avais supposé que la seconde était entachée d'inexactitude. Cette supposition se trouvait confirmée par les résultats de la troisième expérience, qui était à l'abri de toute cause d'erreur (1), et qui d'ailleurs s'accordait presque rigoureusement avec la première.

(1) Je m'étais préoccupé, avant de faire cette troisième expérience, d'une cause d'errear qui me semblait de nature à ajouter à la capacité réelle du crâne un supplément de quelques centimètres cubes. Sur le crâne sec, le fond du conduit auditif interne est criblé d'un grand nombre de petits trous qui communiquent avec le labyrinthe, et par là avec l'oreille moyenne et avec les cellules mastoïdiennes. Ces trous sont tellement petits, qu'une couche mince de mercure pourrait reposer sur eux sans y pénétrer; mais, lorsqu'on remplit le crâne par en haut, le fond du conduit auditif interae supporte le poids d'une colonne de mercure de plus de 10 centimètres, et il est inévitable que le liquide pénètre dans les cavités de l'oreille. Par conséquent, si j'avais déterminé le poids du mercure en pesant d'abord le crâne vide, puis le crâne plein, et en faisant la différence, j'aurais accru la capacité du crâne de celle de l'oreille interne, de la caisse du tympau et des cellules mastoïdiennes, le tout

Je crois donc pouvoir fixer, en nombre rond, à 1424 centimètres cubes la capacité du crâne étalon.

Il m'a paru utile de détailler ces faits pour montrer que, s'il est possible de déterminer la capacité absolue d'un crâne, ce résultat ne peut être obtenu que par des expériences longues, eompliquées et difficiles (1).

2 JAUGEAGE A L'EAU. Ce procédé, qui fut le premier en date, et à l'aide duquel Saumarez, Virey et Palissot de Beauvois s'étaient efforcés de déterminer la capacité relative du crâne du blanc et du nègre, de l'homme et de la femme (2), n'avait été repris après eux que par Volkoff et paraissait oublié, lorsque Huschke, en 1854, essaya de le réhabiliter (3). Suivant cet auteur, l'eau avait, sur les substances solides et granuleuses, l'avantage de remplir le crane et de remplacer sans erreur le cubage par une simple pesée, chaque gramme d'eau représentant 1 centimètre cube. Il bouchait donc avec du papier ou avec de la cire tous les trous du crâne, à l'exception du trou occipital, et, croyant avoir ainsi transformé la voûte crânienne en un vase imperméable, il la jaugeait avec de l'eau. La capacité totale une fois déterminée par ce moyen, il mesurait de la même manière la capacité de la vertèbre frontale et celle de la loge céré

pouvant s'élever à 6 centimètres cubes, ou même plus. Mais, en vidant le mercure dans un vase avant de le peser, il devait (en être autrement. Il me paraissait trèsprobable, en effet, que le mercure, introduit dans l'oreille interne à la faveur d'une forte pression, ne repasserait pas aisément à travers les trous presque microscopiques du conduit auditif interne. L'événement a prouvé que cette supposition était exacte. Quoique je fusse bien certain d'avoir entièrement vidé toute la boîte crânienne, de n'y avoir pas même laissé un globule (de mercure, j'ai pu, au bout de quelques semaines, en retirer plusieurs grammes de ce métal, qui y était rentré par une sorte de suintement. En plaçant le crâne sur le côté, de manière à élever l'une des apophyses mastoïdes, je pouvais rendre le suintement plus rapide, et obtenir en une semaine jusqu'à 5 ou 6 grammes de mercure. Trois ans après l'expérience, j'ai pu en retirer encore 23 grammes en deux fois. J'évalue à environ 60 grammes la quantité de mercure que j'en ai ainsi extraite après coup. Cela fait environ 5 centimètres cubes, qui ne peuvent provenir que des cavités de l'oreille, puisque les parois du crâne sont éburnées et que toutes les ouvertures de la base du crâne ont été solidement bouchées.

(1) Mon savant collègue de la Société d'anthropologie, M. Nicolas de Khanikoff, a bien voulu, à ma demande, procéder de son côté à l'expérience du cubage au mercare, et je ne surprendrai personne en disant qu'il a obtenu des résultats parfaitement rigoureux. En cubant quatre fois de suite le même crâne, sous une température de 18 degrés, il a trouvé un maximum de 1502 centimètres cubes et un minimum de 1501,5. Cette différence d'un demi-centimètre cube est tout à fait insignifiante. (2) Voir plus haut, p. 69-70.

(3) Huschke, Schädel, Hirn und Seele. Iena, 1854, in- fol., p. 45.

belleuse de l'occipital. Pour cela, il pratiquait sur la voûte du crâne une coupe oblique, qui d'une part commençait au bregma, et d'une autre part aboutissait à l'écaille occipitale immédiatement au-dessus de la protubérance occipitale externe. Il détachait ainsi une petite calotte qui comprenait environ la moitié de la voûte crânienne et il pouvait, à travers cette large ouverture, jauger séparément, avec de l'eau, la loge frontale et la loge cérébelleuse. Retranchant alors de la capacité totale du crâne la somme des capacités de ces deux loges, il obtenait un reste qui représentait, suivant lui, la capacité de la vertèbre moyenne, ou pariétale.

Quand même ce procédé aurait réellement donné, ce que je nie, les capacités respectives des trois vertèbres crâniennes, on devrait le rejeter absolument parce qu'il exige une coupe toute spéciale, et la moins instructive de toutes, une coupe qui exclut les autres et qui mutile gravement le crâne. Mais on peut se demander du moins si le jaugeage à l'eau, appliqué au crâne entier, mérite la confiance que Huschke lui a accordée.

Lorsque j'ai commencé mes expériences sur ce procédé, j'étais certain d'avance qu'il serait infidèle. Le mercure ne passe que dans les trous; mais l'eau s'imbibe dans le tissu même des os, et s'y imbibe en quantité variable et indéterminée. Mouillez avec un linge, pendant une minute seule. ment, la surface extérieure de la voûte du crâne, essuyez-la aussitôt, et vous constaterez à la balance que le poids du crâne s'est accru de 8 ou 10 grammes.

La différence fournie par la pesée du crâne vide et celle du crâne plein d'eau est donc tout à fait trompeuse. Essayera-t-on de vider le crâne dans un vase et de peser directement l'eau qu'on en retire? Autre erreur bien plus grande encore; car il reste toujours, sur la face interne du crâne, surface qu'on ne peut essuyer, une très-grande quantité d'eau. On peut donc, suivant que l'on procède par pesée directe ou par pesée différentielle, obtenir un chiffre bien supérieur ou bien inférieur à la capacité réelle du crâne. C'est ainsi que diverses expériences faites sur le crâne étalon m'ont donné 1 511, 1323, 1594, 1420 et 1 445 grammes. Il n'est cependant pas impossible d'éliminer les causes qui produisent d'aussi grandes variations. J'y suis parvenu de la manière suivante :

On commence par remplir le crâne d'eau. Au bout de quelques heures, lorsqu'on suppose que l'imbibition des parois est à peu près complète, on vide le crâne. On le laisse égoutter jusqu'au lendemain. Il est probable qu'alors la couche de liquide qui était restée sur la paroi interne est imbibée ou évaporée, que par conséquent la cavité est bien vide. Il est probable en outre que l'eau qu'on versera de nouveau dans cette cavité ne s'imbibera pas d'une manière notable, pendant la durée de l'expérience, puisque les couches internes de la paroi crânienne sont encore presque saturées d'eau. On pèse donc le crâne vide; puis on le remplit; on le pèse de nouveau, et on fait la différence.

J'ai fait cette expérience à plusieurs reprises sur le crâne étalon, tel que je l'avais préparé pour la troisième expérience du jaugeage au mercure. J'ai évité ainsi le premier temps de l'opération, celui qui consiste à boucher hermétiquement tous les trous du crâne. Je ne m'explique pas comment Huschke a pu croire qu'il bouchait tous ces trous avec du papier ou de la cire (mit Papier oder Wachs); il oubliait sans doute que la lame criblée, toujours située au-dessous du plan du trou occipital, lorsque le crâne est retourné pour le jaugeage, laisse couler le liquide dans les fosses nasales, d'où il retombe dans les sinus frontaux et sphénoïdaux. Je n'avais pas à me préoccuper de cette cause d'erreur avec le crâne étalon, dont les fosses nasales avaient été oblitérées par une coulée de plâtre.

Le crâne étalon reposant sur sa base, l'eau y a été introduite à travers le trou percé sur le vertex. Les précautions ont été prises pour empêcher ce liquide de mouiller la face extérieure du crâne.

Les résultats ont été passables. La différence des pesées m'a donné une première fois 1410 grammes; une seconde fois, 1 402; une troisième, 1414. Ces variations sont légères; elles n'atteignent pas 1 pour 100 de la capacité jaugée. Mais, pour les réduire à ce taux minime, il faut accumuler plus d'opérations, prendre plus de précautions et perdre plus de temps que lorsqu'on pratique le jaugeage au mercure. Ces expériences ont été faites sous des températures de 18 et de 20 degrés, c'est-à-dire de 10 degrés environ au-dessus du maximum de densité de l'eau; à la température de + 4 degrés

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