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siens valaient la peine d'être étudiés, qu'aucun procédé de cubage ne pouvait être assez mauvais pour donner aux blancs et aux nègres la mème capacité cranienne, et que les onces de mil devaient varier dans le même sens que les centimètres cubes de plomb.

J'ai donc additionné les colonnes des tableaux de Tiedemann, et, en récompense de mes peines, j'ai obtenu les résultats suivants, qui surprendront peut-être le lecteur :

A la page 22 commence le tableau des vrais nègres du sexe masculin, qui comprend 54 numéros. La somme s'élève à 2039 onces 4 drachmes 24 grains, et en divisant ce nombre par 54, on obtient une moyenne de 37 onces 6 drachmes 9 grains.

A la page 26 commence le tableau des Européens du sexe masculin. Il comprend 141 numéros, donne une somme de 5 775 onces 4 drachmes 21 grains, et une moyenne de 40 onces 7 drachmes 41 grains.

La différence est donc de 3 onces 1 drachme 32 grains en faveur des Européens.

Pour rendre l'appréciation plus facile, je réduirai ces chiffres en grammes, en rappelant que l'once médicinale de Nuremberg pèse 29,82, la drachme 5,72 et le grain 62 milligrammes. On trouve ainsi que le crane moyen des 54 nègres jauge 1 126,24 de mil, que le crâne moyen des 141 Européens jauge 1 221,38, et que la différence est par conséquent de 95o,17.

Or, quoiqu'il soit impossible, comme on le verra dans le paragraphe suivant, de déterminer rigoureusement le poids spécifique du mil, personne n'ignore que cette substance est beaucoup plus légère que l'eau. Un kilogramme de mil jauge environ 1 litre et demi dans les mesures graduées; une différence de poids de 95 grammes équivaut donc à peu près à une différence 142 centimètres cubes.

Par conséquent, d'après les tableaux de Tiedemann la capacité du crâne de l'homme d'Europe l'emporte d'environ 142 centimètres cubes sur celle du crâne nègre. D'après mes observations, recueillies par le procédé du plomb, le crâne de l'Européen mâle cube en moyenne 1520 centimètres cubes, et celui du nègre 1395. La différence est de 125, et correspond à peu près à celle qui précède (1).

(1) La différence entre la femme d'Europe et la négresse est sensiblement moindre et ne dépasse pas 70 cent. cubes. Pour les deux sexes réunis, elle est de 90 à 95.

Ainsi les tableaux à l'aide desquels Tiedemann a cru prouver que le crâne du nègre n'est pas inférieur à celui du blanc prouvent précisément le contraire. Ce premier résultat est assez piquant.

Mais en voici un autre qui n'est pas moins curieux. De toutes les substances employées pour jauger le crane, le mil est certainement la plus infidèle. Lorsque le cràne paraît plein, il suffit, pour y produire un vide notable, de lui imprimer une légère secousse, et en tapant plus ou moins fort, ou plus ou moins longtemps, on fait varier considérablement la jauge. Or il est probable que Tiedemann tapait plus consciencieusement que les autres expérimentateurs dont il avait mis la complaisance à contribution, car, si l'on relève spécialement sur ses tableaux les crànes qu'il a jaugés lui-même, et qui sont marqués d'une étoile, on trouve 13 nègres donnant une jauge moyenne de 39 onces 7 drachmes 10 grains, et 21 Européens donnant une jauge moyenne de 42 onces 4 drachmes 5 grains. Les 41 nègres qui restent ne jaugent plus que 37 onces 0 drachme 45 grains, et les 120 derniers Européens descendent à 40 onces 5 drachmes 51 grains. Ainsi, pour les blancs comme pour les nègres, Tiedemann a fait entrer dans le crâne environ 2 onces de mil de plus que ne l'ont su faire ses collaborateurs; c'est-à-dire à peu près 60 grammes, représentant quelque chose comme 90 centimètres cubes. Cela suffit pour juger le procédé ; et il est digne de remarque que la main de Tiedemann a été plus favorable à ses 13 nègres qu'à ses 21 Européens, car ces derniers, comparés aux 120 autres, n'ont gagné que 1 once 6 drachmes 32 grains, tandis que ses 13 nègres ont gagné sur les 41 autres 2 onces 6 drachmes 25 grains. Ses nègres ont donc eu 1 once de bénéfice de plus que ses Européens, c'est-à-dire environ 45 centimètres cubes. Peut-être a-t-il tapé sur eux d'une main plus ferme.—Qui bene amat bene castigat.—Il en est résulté que, sur les deux séries qui lui sont propres, la différence entre les deux races a été quelque peu atténuée. Ses Européens ne l'emportent plus sur ses nègres que de 2 onces 4 drachmes 53 grains, c'est-à-dire de 77,80 ou d'environ 117 centimètres cubes; mais c'est encore plus qu'il n'en aurait fallu pour dissiper les illusions de Tiedemann, si sa foi monogéniste n'eût mis un bandeau sur ses yeux.

Le procédé du mil et les tableaux de Tiedemanu avaient paru

en 1837. A cette époque, George Samuel Morton préparait déjà la publication de son grand ouvrage intitulé Crania americana. En étudiant les crânes des indigènes de l'Amérique, il fut naturellement conduit à chercher jusqu'à quel point la pratique si commune des déformations artificielles du crane nuisait au développement de la masse encéphalique. Il jugea donc nécessaire de mesurer la capacité du crâne, mais il faut croire que les procédés déjà connus du sable et du mil lui parurent défectueux, puisqu'il pria son ami J.-S. Phillips d'en chercher un autre.

Phillips substitua aux grains de mil les grains de moutarde blanche, qui sont tout aussi uniformes, et qui ont l'avantage d'être plus lourds et plus durs. L'innovation était jusque-là de médiocre importance; mais ce qui fut plus utile, ce fut la substitution du cubage direct aux pesées différentielles. Au lieu d'apprécier indirectement le volume de la substance jaugeante d'après son poids, Phillips versait cette substance dans un tube cylindrique et en déterminait directement le volume (1). L'opération était plus longue, sans doute; mais elle évitait le calcul de la réduction du poids en volume, ainsi que les erreurs dues à la variabilité du poids spécifique des substances végétales.

L'appareil instrumental imaginé par Phillips pour mesurer le volume de la jauge consistait en un tube cylindrique d'étain, de 2 pouces trois quarts de diamètre (69 millimètres) et de 2 pieds 2 pouces de haut (660 millimètres), fixé sur un pied et solidement cerclé de 2 en 2 pouces pour empêcher les déformations accidentelles. On y versait le grain de la jauge; on le tas sait par des secousses, et il ne s'agissait plus que de déterminer la hauteur de la colonne. A cet effet, on faisait descendre sur la surface du grain un disque en bois, fixé sur une baguette graduée de pouce cube en pouce cube (un pouce cube anglais vaut 16,586). La graduation de la baguette avait été faite préalablement par voie expérimentale, en versant dans le tube en étain des volumes d'eau déterminés, et mesurant la hauteur de la colonne d'eau à l'aide d'un flotteur. Ce procédé était sans doute le seul qui permît de cuber la jauge dans un tube opaque; mais il eût été bien plus simple. de remplacer ce tube en étain par un tube en verre, qu'on eût

(1) George-Sam. Morton, Crania americana. Philadelphie, 1859, in-fol., p. 523.

pu graduer directement au lieu de recourir à la complication inutile d'une graduation indirecte et mobile.

Morton ne se contentait pas de mesurer ainsi la capacité totale du crâne, il s'efforçait en outre de déterminer séparément la capacité de certaines régions du crâne. Dans le sens vertical, il divisait le crane en deux régions : l'une qu'il désignait sous le nom très-inexact de région coronale, et l'autre qu'il appelait sous-coronale. La région coronale était la partie de la voûte crânienne comprise au-dessus d'un plan plus ou moins horizontal mené par les deux bosses frontales et par les deux bosses pariétales. Un trait de scie passant par ces quatre points aurait permis de jauger aisément avec du mercure la capacité de la calotte dite coronale; mais Morton pensait avec raison que les mensurations qui nécessitent des coupes spéciales ne doivent pas être admises dans la craniométrie. Phillips imagina donc un appareil suspenseur qui permettait de rendre parfaitement horizontal le plan de la couronne, le vertex étant dirigé en bas, et de remplir de mercure la calotte crânienne jusqu'au niveau de ce plan. Un flotteur introduit à travers le trou occipital, et surmonté d'une tige, déterminait le niveau du mercure; et il ne s'agissait plus que de mesurer dans un vase gradué le volume du mercure employé. La capacité de la région sous-coronale s'obtenait en retranchant de la capacité totale du crâne celle de la région coronale.

Morton divisait en outre le crâne, d'avant en arrière, en deux chambres, l'une antérieure, l'autre postérieure. Un plan plus ou moins vertical, passant par le bord antérieur du trou occipital, et perpendiculaire au plan de la couronne, établissait la séparation de ces deux chambres. Le crâne suspendu dans le même appareil, la face en bas, on se proposait de jauger la chambre antérieure, c'est-à-dire la partie de la boîte crânienne située au-dessous du plan de suspension; mais ici le procédé du mercure n'était plus applicable, car ce liquide se serait écoulé à travers les orbites, la lame criblée et les trous de la base du crâne. Ce fut donc au moyen des graines de moutarde blanche, et par un procédé d'ailleurs extrêmement défectueux, que Phillips et Morton jaugèrent la chambre antérieure. La capacité de la chambre postérieure s'obtenait par différence, comme dans le premier cas (1).

(1) Crania americana, p. 254-256.

J'ai mentionné ces essais relatifs au cubage partiel du crâne pour constater la priorité qui appartient à Morton et à son collaborateur Phillips. Ils ont été repris depuis sur d'autres bases et suivant d'autres procédés par Huschke (1) et par Lucæ (2), qui ont cherché à déterminer la capacité relative des trois vertèbres crâniennes, mais qui n'ont pu perfectionner ainsi la méthode de Morton sans pratiquer des coupes sur le crâne. Ce grave inconvénient n'est nullement compensé par l'intérêt assez médiocre des résultats obtenus jusqu'ici. Quant à Morton, il est probable qu'il n'avait pas été satisfait de ses essais de cubage partiel, puisqu'il n'en parla plus dans ses publications ultérieures. Je reviens maintenant au cubage général du crâne.

Les cubages publiés dans les Crania americana avaient été faits suivant le procédé de Phillips (graines de moutarde blanche). Mais plus tard Morton reconnut que ce procédé était infidèle, et pour le corriger il remplaça les graines de moutarde par le plomb de chasse d'un huitième de pouce anglais de diamètre (un peu plus de 3 millimètres). Il apnonça ce changement dans l'Introduction de son catalogue, publiée en 1849 (3). Il ajouta qu'ayant cubé de nouveau, au moyen du plomb, les séries de crânes mentionnées dans son précédent ouvrage, il avait obtenu des différences notables et que ces contradictions étaient imputables à la différence des procédés (4).

Cette fois, Morton se flattait d'avoir enfin obtenu la capacité absolue du crâne en pouces cubes (5). « Je ne puis m'empêcher, disait-il, d'exprimer ma satisfaction de la remarquable exactitude de cette méthode, puisqu'un crâne de 100 pouces

p. 46.

(1) Huschke, Schädel, Hirn und Seele, Iéna, 1854, in-fol., (2) Lucæ, Zur Morphologie der Rassen-Schädel, Abth. I, s. 25, et Abth. II, s. 11. Francfort, 1861 et 1864, in-4°.

(5) Catalogue of Skulls of Man and the Inferior Animals in the Collection of Sam.-G. Morton. Philad., 1849. Cette introduction a été réimprimée par M. Aitken Meigs en tête de son Catalogue of Human Crania in the Collection of the Academy of Natural Sciences of Philadelphie. 1857, in-8°.

(4) Catalogue de Meigs, Introd., p. 16-17.

(5) Loc. cit., p. 16. Les mots capacité absolue sont soulignés dans le texte. On remarquera que Morton ne mesurait que les pouces cubes et ne se préoccupait pas des fractions. Par conséquent, ses mesures étaient prises seulement à un centième près ou environ, car le pouce cube anglais vaut un peu plus de 16 centimètres cubes (16cc,586).

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