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à l'influence des causes qui modifient la nutrition générale ; à la suite de certaines affections chroniques, il subit une sorte d'amaigrissement, qui en diminue le poids et le volume; le vide que laissent dans le crâne les circonvolutions plus ou moins atrophiées est comblé sans doute par la sérosité sousarachnoïdienne, dont la quantité s'accroît proportionnellement; mais le liquide en excès s'écoule en grande partie au moment de l'autopsie, et de la sorte la balance ne fait pas connaître le poids de l'encéphale primitif, mais seulement celui d'un encéphale qui a perdu, pendant les derniers temps de la vie, une partie inconnue et souvent considérable de sa masse.

Si l'on songe à la grande fréquence des cas où la mort est précédée d'une maladie qui porte à la nutrition générale une grave atteinte, on reconnaîtra que cette circonstance introduit. une cause d'erreur dans les appréciations anthropologiques basées sur les pesées cérébrales. Cette cause d'erreur n'existe pas lorsque, au lieu d'étudier le poids, c'est-à-dire le volume du cerveau, on étudie la capacité du crâne, sur laquelle l'atrophie finale et variable de la substance nerveuse n'a pu exercer aucune influence.

Il n'en est pas tout à fait de même de l'atrophie sénile du cerveau. Ici, ce n'est pas seulement la sérosité qui comble. le vide produit par la diminution de la masse cérébrale. La boîte osseuse elle-même peut finir, à la longue, par subir une sorte de retrait; mais cette réduction, qui, d'ailleurs, est exceptionnelle, est fort peu de chose auprès de celle de l'encéphale (1); la grande abondance de la sérosité dans les cerveaux atrophiés par l'âge le prouve suffisamment. Ainsi, la capacité du crâne des vieillards n'est pas sensiblement inférieure à celle du crâne des adultes, et fournit sur le volume du cerveau de ces derniers une donnée peu trompeuse, alors que la balance donnerait des chiffres tout à fait insidieux. Il n'est pas inutile de rappeler que, passé l'âge de soixante ans, le poids moyen du cerveau est inférieur de 80 à 100 grammes à celui des cerveaux d'adultes. Si cette diminution était constante, si elle était proportionnelle à

(1) Il survient souvent, dans les parois crâniennes des vieillards, une atrophie du diploé; par suite de l'amincissement des parois, la cavité de la boite osseuse peut se trouver agrandie, quoique le volume du cerveau ait diminué. Le vide est encore comblé par la sérosité, qui est alors très-abondante.

l'âge, on pourrait en tenir compte pour corriger les relevés; mais elle varie beaucoup suivant les individus et suivant les conditions sociales; elle est plus grande, par exemple, chez les vieillards inactifs des hospices que chez ceux qui vivent de la vie ordinaire. Par conséquent, lorsqu'on veut étudier le poids du cerveau suivant les races, il est indispensable d'exclure de ce parallèle les individus qui ont dépassé l'àge mûr. Mais il faudrait en exclure encore, comme on vient de le voir, ceux qui ont succombé à des affections chroniques. D'exclusion en exclusion, la liste déjà si insuffisante des pesées cérébrales pratiquées sur des sujets étrangers aux races d'Europe deviendrait plus insuffisante encore; et il s'écoulera sans doute bien des années avant que la science possède les éléments nécessaires pour déterminer, par une étude directe, l'influence de la race sur le poids de l'encéphale.

En attendant que ce moment soit venu, le cubage des crânes fournit une donnée qui, pour n'être qu'approximative, n'en est pas moins très-valable. Il ne fait pas connaître exactement le volume du cerveau, puisque la capacité du crâne est toujours supérieure à ce volume; mais elle le surpasse d'une quantité qu'on peut, sans grande erreur, considérer comme lui étant à peu près proportionnelle, et l'on ne peut méconnaître l'importance du cubage des crânes sans nier du même coup la valeur anthropologique des pesées cérébrales.

Je sais bien que quelques auteurs, dominés par des doctrines physiologiques, philosophiques, ou mème métaphysiques, et croyant devoir repousser tout ce qui faisait naguère partie du bagage phrénologique, n'admettent aucun rapport entre la puissance intellectuelle et la masse encéphalique. Mais, sans discuter ici avec eux cette question de physiologie, je leur ferai remarquer qu'au point de vue de l'anatomie pure le volume du cerveau et la capacité crânienne méritent au moins leur attention comme caractère de races. Tout en maintenant que le poids du cerveau est l'un des plus importants des éléments multiples auxquels est liée l'intelligence, et que, par conséquent, toutes choses égales d'ailleurs, les conditions qui font croître ou décroître ce poids chez des individus de même race font varier dans le même sens la puissance intellectuelle, je reconnais que ce critérium a beaucoup moins de valeur lorsque l'on compare entre eux des individus de

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races différentes. Ainsi, quoique, d'une manière assez générale, la capacité moyenne du crâne soit moindre dans les races inférieures que dans les races supérieures, on se tromperait fort si l'on croyait que cette règle fût sans exception, si l'on croyait surtout que le classement des races par ordre de capacité crânienne donnât la mesure de la valeur relative de leur intelligence. Ce n'est pas seulement parce que la taille, si variable suivant les races, exerce une influence notable sur le volume du cerveau; c'est encore parce que chaque race a son type, caractérisé aussi bien par les proportions relatives des divers organes et des divers segments du corps que par la couleur de la peau, des yeux ou du système pileux, et parce que le volume du cerveau, l'ampleur de la boîte crânienne font partie de ce type au même titre que la longueur de l'avant-bras ou la largeur des fosses nasales. La détermination du volume du cerveau ou, ce qui revient au même, de la capacité crânienne est donc un des éléments essentiels de la description des races. On mesure avec soin les diamètres, les courbes, les angles céphaliques; on ne recule pas devant ce travail long et minutieux, parce qu'on sait que c'est ainsi seulement qu'on peut étudier et comparer rigoureusement les cranes, et parce qu'on sait, en outre, que les dimensions et les formes du crâne constituent des caractères anthropologiques de premier ordre. Tous ces diamètres, ces courbes, ces angles ne sont que les résultats d'un développement ostéologique que régit avant tout le développement du cerveau. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les crânes normaux avec ceux des idiots microcéphales et de constater les différences qui existent entre eux. Ces différences, dues incontestablement à l'arrêt de développement du cerveau des microcéphales, portent tout autant sur la forme du crâne que sur son volume, et si le volume du cerveau peut exercer une pareille influence sur la morphologie du crâne, n'est-il pas évident que la mensuration de la capacité de la boîte cérébrale est une des parties les plus indispensables de la craniométrie scientifique ?

Il n'est pas d'anthropologistes qui puissent conclure autrement; mais plusieurs cependant négligent entièrement le cubage du crâne, et ce dédain immérité doit être attribué principalement au peu de fixité, au peu de précision des procédés de mensura

tion et au peu de concordance des résultats obtenus par les divers observateurs. Lorsqu'on lit, par exemple, que Tiedemann a trouvé la capacité du crâne des nègres égale à celle du crâne des Européens, tandis que d'autres auteurs ont trouvé entre ces mêmes crânes une différence moyenne de plus de 100 centimètres cubes, on se demande tout naturellement si une recherche qui conduit à de pareilles contradictions est assez scientifique pour mériter quelque attention. Je montrerai bientôt, il est vrai, que Tiedemann a mal appliqué un mauvais procédé, qu'il a ensuite mal raisonné, et qu'il n'est pas étonnant qu'il ait mal conclu. Des accidents de ce genre se sont produits dans toutes les sciences et de là vient cet axiome: Non crimen artis quod professoris. Mais il y a quelque chose de plus grave: c'est que l'incertitude des résultats ne dépend pas seulement de la nature du procédé employé, et qu'elle dépend encore de la main de celui qui l'applique. Faites cuber le même crâne suivant le même procédé par deux personnes successives, et vous pourrez obtenir ainsi des différences de plus de 50 centimètres cubes. Enfin, ce qui est pis encore, faites cuber plusieurs fois de suite le même crane par la même personne, et vous pourrez obtenir encore des différences presque aussi grandes que dans le cas précédent. Dès lors, quelle confiance peut-on accorder à des résultats aussi instables? et pourquoi perdre son temps à pratiquer une mensuration qui exige une installation assez compliquée, pour ne nous donner, en définitive, que des renseignements trompeurs?

Cette objection est sérieuse. On remarquera pourtant que les erreurs, même les plus grandes que l'on puisse commettre dans le cubage des crânes, sont limitées, et que le plus imparfait des procédés de cubage, lorsqu'il est appliqué avec quelque attention, donne une idée incomparablement plus juste de la capacité relative des crânes que ne le ferait la comparaison des courbes ou des diamètres. Les tableaux de cubage publiés jusqu'ici par divers auteurs sont donc bien loin d'être sans valeur. Etant obtenus par des moyens différents, ces tableaux ne sont pas comparables entre eux, mais on peut attacher une importance très-réelle aux résultats constatés par un même auteur. C'est ainsi que le grand relevé de Morton, complété par son élève distingué, M. Meigs, de Philadel

phie (1), et le relevé non moins étendu et plus détaillé qui termine le Thesaurus craniorum de M. Barnard Davis (2), comptent au nombre des plus précieux documents de la craniologie.

Si l'on considère toutefois que la capacité du crâne est trèsvariable, dans une même race, suivant les individus et suivant les sexes; que la moyenne d'une race ne peut, par conséquent, être considérée comme valable que lorsqu'elle est déduite d'une très-longue série ; que, sous ce rapport, il n'existe aucune collection complète, où toutes les races soient représentées par des séries suffisantes, qu'il faudrait donc, pour arriver à des chiffres certains, pouvoir fusionner en un seul relevé tous les relevés partiels des diverses collections publiques ou particulières de l'Europe et de l'Amérique, on comprendra la nécessité d'adopter un procédé uniforme, exact autant que possible, mais surtout assez constant dans ses résultats pour que les faits recueillis par des observateurs différents puissent être groupés et comparés avec sécurité.

L'exactitude, ici, importerait moins que l'uniformité. Il est clair, toutefois, que si l'on peut espérer qu'un procédé soit généralement accepté, c'est à la condition seulement de démontrer qu'il est plus exact que les autres, car, lorsqu'une habitude est une fois prise, on n'y renonce que pour mieux faire.

Après avoir expérimenté un grand nombre de fois tous les procédés qui ont été usités jusqu'ici, j'en ai choisi un qui est loin d'être irréprochable, mais qui permet cependant, à l'aide de certaines précautions, d'obtenir des résultats suffisamment fixes et suffisamment exacts; en le comparant, sous ce double rapport, à tous les autres procédés, je me suis convaincu qu'il leur était bien supérieur. Mon but sera atteint si je réussis à faire pénétrer cette conviction dans l'esprit du lecteur.

(1) Aitken Meigs, Catalogue of Human Crania, in the Collection of the Acad. of Nat. Sc. of Philadelphia. Philad., 1857, in-8°. Voir Introd., p. 17, pour les relevés de Morton, et p. 5-11 pour ceux de Meigs.- Voir aussi Meigs, the Cranial Characteristics of the Races of Men, dans Indigenous Races of the Earth. Philad., 1857, grand in-8°, p. 257.

(2) Barnard Davis, Thesaurus craniorum. Lond., 1867, 1 vol. in-8°. On consullera encore avec fruit les tableaux publiés par M. Mantegazza dans ses deux mémoires sur l'indice céphalo-spinal et sur l'indice céphalo-orbitaire, dans Archivio per l'antropologia, vol. I, p. 45 et 153. Florence, 1871, in-8°. Voir encore Welcker, Veber Wachsthum und Bau des Schädels. Leipzig, 1862, in-fol., p. 35-41.

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