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Fortunées et avoisinant les plus brûlantes contrées, sub sole magis haud procul ab ardoribus (1). A l'est, suivant Strabon, ils s'avançaient jusqu'aux Syrtes, et au-dessus d'eux était le pays des Garamantes (2), nom qui rappelle l'expédition de Cornélius Balbus. Leur capitale, l'ancienne Garama, Tapán, est aujourd'hui Djerma, dans le Fezzân.

Hérodote et Diodore ne parlent point des Gétules. Mais, si pour Hérodote il n'y avait dans l'Afrique du Nord que des Libyens, pour Diodore (environ quatre siècles après), les Libyens ne formaient que l'ancienne race indigène, la plus populeuse de cette contrée; puis venaient les Numides, qui habitaient, dit-il, une grande partie de la Libye jusqu'au désert: Postremi tandem erant Numidæ, Nop.ades, vastos Libyæ tractus usque ad deserta occupantes (3).

Ici l'appellation de Numides semble comprendre ceux qui portèrent le nom de Gétules. Selon Méla aussi, après les Gétules est un vaste désert inhabitable, au delà duquel on place d'orient en occident les Garamantes, puis les Augiles, les Troglodytes, et enfin les Atlantes (4), ainsi nommés de la montagne Atlas (5). Mais les Gétules s'étendirent beaucoup avec le temps: Sed postea, dit Cellarius, per Mauretaniam Numidiamque nouas sedes occupauerunt, ut nullis fere finibus hæc natio circumscripta et contenta fuerit (6).

Les Libyens, au contraire, étaient répandus sur les plages de la mer libyque, propius mare Africum agitabant (7), et dans les régions qui furent appelées Afrique propre, Numidies, Mauritanies, bornées au sud par les montagnes au delà desquelles s'étendait la Gétulie proprement dite.

Les Gétules menaient, les uns la vie sédentaire, dans des chaumières, les autres la vie errante: Super Numidiam Gætulos accepimus partim in tuguriis, alios incultius vagos agitare (8). Silius Italicus fait mention de leurs cabanes, ma

(1) Salluste, op. cit., loc. cit. Cf. Pline, lib. V, cap. iv, in fine.

(2) Lib. XVII, cap. ш, § 19.

(3) Lib. XX, cap. LV.

(4) Loc. cit., cf. cap. vii.

(5) Hérodote, lib. IV, cap. CLXXXIV.

(6) Notitiæ orbis antiqui, lib. IV, cap. vi, t. II, p. 220, cf. p. 221; in-4o, Lipsiæ,

1706.

(7) Salluste, op. cit., loc. cit.

(8) Salluste, ibid., § 19.

palia; et ce sont pour lui des nomades et des cavaliers habiles.

Nulla domus; plaustris habitant: migrare per arva

Mos, atque errantes circumveclare penates.

Hinc mille alipedes turmæ..... (1).

Ils sont distingués dans l'antiquité sous une foule de noms, tels que Autololes vers l'Océan, Daræ plus à l'est, Perorsi au sud, etc., enfin Melano-Gætuli: sans doute autant de colonies ou de rameaux provenant des premiers Gétules.

Pour les Libyens, ils étaient plus attachés au sol; ils habitaient des demeures fixes. Et, suivant la remarque de Salluste, ils étaient moins belliqueux que les Gétules: Libyes, quam Gætuli, minus bellicosi (2). Aussi voit-on les farouches Gétules, genus hominum ferum incultumque, guerroyer non-seulement sous Jugurtha et Juba l'Ancien, mais parmi les troupes romaines en Afrique, et déjà dans l'armée d'Annibal, en Italie (3).

Il faut se garder d'omettre les Maziques ou Mazices (gentes mazica), Mátxes de Ptolémée, qui occupèrent au delà du mont Zalacus le sud-est de la Numidie césarienne, et qui furent encore une nation puissante au temps où le comte Théodose eut à les combattre, lors de la grande révolte de Firmus, bellicosum genus et durum, ainsi que le dit Ammien Marcellin (4). Ce serait, en effet, ce même peuple dont une inscription du temple principal de Karnak a dernièrement révélé l'existence antique, sous le nom de Mas'uas' (Machouach), grande nation de la Libye, et qui fit, conjointement avec le peuple des Rebu ou Lebu (Libyens proprement dits), une invasion formidable en Égypte, où les attendait du reste une sanglante défaite.

Ibn-Khaldoun, sans mentionner aucune tribu de ce nom, parle, d'après les généalogistes, d'un Mâzigh, fils de Canaan et ancêtre de Berr, dont seraient descendus les Beranès, l'une des grandes branches de la nation berbère, l'autre branche étant celle de Botr, issue d'un autre Berr, qui était fils de Caïs et

(1) Punica, lib. III, v. 290 et seq.

(2) Op. cit., § 18.

(5) Salluste, op. cit., § 80, 99. — (Hirtius), Comment. de bell. afr., § 32, 35, 55, 61, 93.- Tite-Live, lib. XXIII, cap. xvш.

(4) Ptol., op. cit., lib. IV, cap. 11.

- Amm., lib. XXIX, cap. v.

petit-fils de Ghailan (1). Notons cette distinction des Berbères encore en deux souches fondamentales, qui nous reportent avec quelque vraisemblance aux Libyens et aux Gétules des auteurs anciens.

Quant aux vieux Maziques, ils sont placés par Hérodote à l'ouest du fleuve Triton, sous le nom de Maxyes, Miques, et probablement peu différents des Maces, Mázat, riverains ou peu éloignés de la mer (2). Némésien, poëte né à Carthage, nous apprend que le Mazace, dans ses déserts, élève d'excellentes races de chevaux (3); et ils peuvent être considérés tout au moins comme alliés des Gétules, dont ils étaient voisins vers les Syrtes: Máxx........... пepì thy Zóрtiv,-Maxaïo: cuptīta: (4). En effet, Iarbas, ce roi célèbre des Gétules, Gætulus Iarbas (Iarbah), lors de la fondation de Carthage, est appelé par le scoliaste Eustathe roi des Numides ou Nomades et des Maziques, Νομάδων καὶ Μαζίκων Basiλeds (5). Par suite, Volney identifie les Maziques avec les Gétules, en même temps qu'avec les Berbères et les Kabyles, ces peuples se donnant, dit-il, en leur langue, le nom de Amzir, au pluriel Mazir, ou de Amzig et Mazig (6). Et Saint-Martin croit voir en outre dans les anciens Gétules les ancêtres des << Touariks >> modernes. Il ajoute que « cette nation, qui présente une grande affinité avec les Berbères, en est cependant distincte, comme les Gétules étaient distingués des Libyens (7). » Aujourd'hui, la plupart de ceux que nous nommons Touareg s'appellent eux-mêmes Imôcharh ou Imôhagh, de mème que les Berbères du Maroc et d'autres se donnent encore le nom d'Amazigh, ainsi que nous l'avons dit.

Faisons remarquer en passant que Strabon signale la ressemblance des Gétules avec les Arabes nomades. « Entre les Gætules, dit-il, et le rivage de la Méditerranée, il y a un grand

(1) Ouv. cit., t. I, p. 168-69, cf. introd., p. xIV-XV.

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(2) Lib. IV, cap. CLXXV et seq., CXCI, cxc, lib. V, cap. XLII. Scylax, Peripl., Nasamones et Macæ, p. 45; in-4°, Amstelod., 1639.-Denys le Périégète, De situ orbis, v. 214-17.

(3) Cyneget., v. 259 et seq., in Poet. lat. min., in collect. Lemaire, t. I, p. 125. (4) Diodore, lib. III, cap. XLIX. Ptolémée, op. cit., lib. IV, cap. ш. (5) Virgile, Eneid., lib. IV, v. 326, cf. pass.- Eust., Comment. in Dionisii Periegetæ, op. cit., p. 30; in-4°, ann. 1577.

(6) L'Hébreu simplifié, etc., p. 175-76; Paris, 1820.

(7) Observ. sur un passage de Salluste, etc., dans les Mém. de l'Acad. des inscript. et belles-lettres, ann. 1839, t. XII, p. 201-202, cf. pass.

nombre de plaines, de montagnes, de lacs étendus, de fleuves... Ces peuples... ont plusieurs femmes et beaucoup d'enfants: du reste, ils ressemblent aux Arabes nomades. » Toutefois le même auteur en dit autant des Maurusiens, des Massaisyles et des Libyens en général, qui se ressemblent pour les usages et « sous les autres rapports (1). » Il y avait sans nul doute entre toutes ces populations de grandes analogies, soit morales, soit physiques. Et d'ailleurs, dès les plus lointaines époques de l'histoire, les possesseurs du sol avaient été plus ou moins pénétrés, comme nous le verrons, par des colonies syro-arabes qui, elles aussi, trouvèrent là des contrées et des mœurs, un genre de vie qui se rapprochaient des leurs.

Nous pouvons donc constater, d'après ce qui précède, que l'on ne saurait, sans un certain effort, assimiler et confondre en un seul ces deux peuples gétule et libyen des anciens auteurs, et qui nous paraissent avoir été distingués historiquement, même dès l'ancienne Égypte. Plus loin, nous montrerons que les peuples actuels qui peuvent être considérés comme leurs représentants dans les siècles modernes, les Touâreg et les Kabyles, ne sont pas non plus semblables entre eux autant qu'on veut bien le dire, en les nommant improprement et collectivement Berbères.

Nous allons donner maintenant un aperçu des populations qui, dans les temps les plus reculés, auraient quitté leur patrie pour venir occuper ces belles contrées; et nous tâcherons d'apprécier quels ont été les effets de ces invasions diverses sur l'ensemble de la constitution des races actuelles.

II. IMMIGRATIONS ET LEURS EFFETS. — D'après la lumière nouvelle que vient de jeter sur l'ethnographie de l'Afrique du Nord la découverte de l'inscription de Karnak, il faudrait peut-être placer avant toute autre immigration celle des Mas'uas', dont nous avons déjà parlé, et qui, de concert avec d'autres peuples, notamment des Libyens, firent irruption sur l'Égypte dans le quatorzième siècle avant notre ère. On suppose qu'ils auraient été d'une origine septentrionale; mais d'où venaient ces hommes, caractérisés de race blonde, et à quelle époque avaient-ils, pour la première fois, abordé les rivages libyens?

(1) Lib. XVII, cap. 1, § 19; édit. fr., t. V, p. 480, cf. p. 459.

C'est ce que l'inscription ne dit pas, que nous sachions. Il est singulier néanmoins qu'Isidore de Séville fasse venir les Gétules des Goths (descendants de Magog), sous le nom de Gètes. Cela rappelle que, d'après certains indices, on a cru pouvoir assimiler aussi le nom de Gétules à celui de Gaëls (en irlandais, Gaoidheal), et identifier entre eux et avec les Ligures les peuples que représentent ces noms (1). Mais passons. Voici les paroles d'Isidore: Getuli Getæ dicuntur fuisse, qui ingenti agmine à locis suis nauibus conscendentes, loca Syrtium in Libya occupauerunt: et quia ex Getis venerant, deriuato nomine Getuli cognominati sunt. Il ajoute Africam autem initio habuere Libyes, deinde Afri, post hæc Getuli, postremum Mauri et Numides (2). Cette intervention, de source étymologique, des Gètes, assimilés aux Goths, en admettant qu'ils fussent sortis de la Scandinavie (d'où ils n'étaient pas originaires), et ayant les caractères des races blondes, s'accorderait avec l'observation de Scylax, qui mentionne sur les côtes de la Petite-Syrte une population d'hommes blonds, Πανί, absque fuco pulcherrimi, — ξανθοί ἄπλαστοι, καὶ κάλλιστοι, flavi, qui sont appelés Libyens (3). Et elle viendrait en aide à ce que Procope rapporte, sur la foi d'un chef indigène du voisinage de l'Aurès, nommé Orthaïas, savoir qu'il y avait de son temps, au delà d'un immense désert, une race d'hommes très-blancs de corps, avec des cheveux roux ou blonds, Eav0oí (4). Elle se rattacherait même, dans ces parages, à l'existence ancienne des Kabyles blonds, peut-être aussi des Touâreg au teint blanc, ces populations ayant été regardées comme primitivement étrangères au sol africain.

Enfin il semblerait que cette version d'Isidore dût se concilier avec le document de Karnak, d'après lequel, au commencement du règne de Merenptah, fils de Ramsès II, des flots de peuples aux cheveux blonds et aux yeux bleus avaient tenté de conquérir l'Égypte. C'étaient, comme nous venons de le voir, des nations libyennes, et ce sont ces peuples que les

(1) Roget de Belloguet, Ethnogénie gauloise, Types gaul., etc., p. 285, 286, 297 et suiv., 303, 310; Paris, 1861.- Cf. Olivier, Rech. sur l'orig. des Berbères, dans le Bullet. de l'Académie d'Hippone, Bone, 1868, no 5, p. 46, 49, 85.

(2) Origin., lib. IX, cap. 11.

(3) Op. cit., Lotophagi, p. 47; cf. not. Vossii, ibid., p. 22.

(4) De bell. vandal., lib. II, cap. xIII.

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