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cations que je vous ai déjà faites sur la part probable des Tsiganes dans la diffusion des métaux et particulièrement du cuivre et du bronze, communications auxquelles il faut ajouter celle que j'ai adressée, l'année dernière, au Congrès de Budapest, par l'obligeant intermédiaire de notre savant secrétaire général, et que j'aurai l'honneur de vous présenter prochainement, je n'ai pas besoin de vous dire l'extrême intérêt qu'avait pour moi la découverte de M. Kopernicki, ni le vif désir que j'avais qu'il pût donner à ses recherches sur ce sujet la suite qu'il me faisait espérer, ni le soin que je dus prendre d'appeler son attention sur les détails qui me paraissaient les plus importants à éclaircir, ni enfin la pensée qui me vint tout naturellement que les envois que me faisait si obligeamment espérer de son côté M. Przybyslawski pourraient fournir une petite contribution intéressante à la prochaine Exposition uni. verselle. Je reviendrai sur tout cela à la fin de ma lecture. Ce qui est plus pressé, c'est de vous informer de la suite que M. Kopernicki a donnée en effet à ses recherches, et des résultats qu'elles lui ont déjà fournis.

M. Kopernicki a pu heureusement réaliser son projet d'aller passer quelques semaines de cet automne à Czortowiec, chez M. Przybyslawski; et il a consacré avec lui une semaine entière (du 10 octobre au 15 ou 16) à poursuivre les Zlotaria et à recueillir sur eux les renseignements contenus dans la lettre suivante, qu'il m'a écrite le 5 novembre, trois jours après son retour à Cracovie :

« ... Aujourd'hui j'ai hâte de vous rendre compte de mon excursion récente à la recherche des Zlotaria (improprement (1). appelés Dzvonkaria dans mes lettres précédentes) J'ai tout d'abord à faire appel à votre patience pour mon récit informe, qui doit être long et minutieux, afin de ne vous cacher aucun détail de mes observations, dans lesquelles vous choisirez vousmême tout ce qui vous paraîtra intéressant à communiquer à la Société d'anthropologie. >>

J'ouvre ici, messieurs, une parenthèse, pour vous répéter que tout m'a paru intéressant, et que je n'ai rien choisi, ne voulant pas me livrer à des remaniements dans lesquels on

(1) Comme je l'ai déjà remarqué, p. 503, et comme on l'induira de ce que dit plus loin M. Kopernicki (p. 517), ce nom n'est pas précisément « impropre », et il a aussi son intérêt.

risque toujours d'altérer la pensée de l'auteur. J'aurais pu, à la vérité, abréger le long exposé des démarches d'abord infructueuses de M. Kopernicki et de ses désappointements réitérés. Mais cette partie elle-même est à mes yeux d'un réel intérêt, non-seulement en ce qu'elle montre les difficultés de la tâche que notre savant collègue poursuit avec une louable obstination, mais aussi parce qu'elle peint des côtés de la nature bohémienne, qu'il est bon de connaître. J'espère donc que ces détails ne vous ennuieront pas : au besoin pourtant je vous demanderais la patience que l'auteur me demandait à moi-même ; car je dois vous prévenir que les résultats positifs ne viendront qu'à la fin, et qu'ils seront encore incomplets. Je reprends ma lecture :

Quelques jours avant mon départ, avec M. Przybyslawski, pour cette recherche, j'eus la bonne chance de rencontrer un homme très-capable de me donner les meilleurs renseignements au sujet des Tsiganes en général et des Zlotaria en particulier. C'était un gendarme qui a passé cinq ans entiers de son service en Bukovine, à poursuivre, me disait-il, ces voleurs-là, dans les districts limitrophes de la Bukovine et de la Galicie. D'après son récit, les principaux foyers des Zlotaria existaient à Sadogora (près de Czernovitz) et à Hlinniça (sur la rive droite du Pruth) en Bukovine, où ils habitaient en colonies composées de plusieurs familles. Les plus connues de celles-ci, dont il se rappelait encore les noms, s'appelaient Ursaluks (1), Sandaluks et Zlotars. En Galicie, me disait-il, il y eut un Zlotar à Kuty, petite ville arménienne à la frontière de la Bukovine sur la rive gauche du Czeremosz. Le même gendarme m'assurait également que les Zlotaria de Kuty et de Bukovine ne manquent presque jamais aux foires de Kossow.

<«< D'après ces renseignements, l'itinéraire de notre expédition était Kossow, Kuty, Hlinniça et Sadogóra (2) (voyez la carte de la Pologne par Dufour et Wrotnowski en 1850:- Hlinniça y est nommé Klinica) (3).

(1) Nous retrouverons ce nom sous la forme Ursulak; celui de Sandaluks ne reparaîtra pas.

(2) Ou Sadagóra, car dans le pays on écrit des deux manières ce nom, qui est marqué Sadagura sur les cartes allemandes.

(5) Sur les lieux habités par les Zlotars, comparer à ces renseignements et à ceux qui sont épars dans les pages suivantes, l'indication page 505, et celles contenues dans mon Post-scriptum, §§ 1, 5, et note du § 15.

« Nous partimes, M. Przybyslawski et moi, le 10 octobre, c'est-à-dire la veille de la foire annuelle de Kossow. Cette foire, qui ne dure que deux jours, fut cette fois-ci à peu près manquée, à cause du mauvais temps qu'il faisait. J'y attendis impatiemment et toujours en vain le son de la clochette au moyen de laquelle les Zlotaria ont l'habitude d'annoncer leur présence à la foire; je les cherchai dans tous les recoins les plus boueux de la foire, mais, hélas ! sans plus de succès; car aucun n'y parut. Les habitants de Kossow, étonnés eux-mêmes de cette absence des Zlotars, m'assuraient qu'ils n'y manquaient jamais précédemment.

« Dépité de cet insuccès, j'avais peu de chance de les trouver à Kuty, éloigné d'une demi-lieue seulement de Kossow. Nous partimes cependant pour cet endroit le 12 octobre après midi.

« Arrivés là, nous apprîmes aussitôt qu'un vieux Zlotar, très- · habile, nommé Hryc (Grégoire) Gadzymynink, qui y demeurait deux ou trois ans auparavant, était déjà mort, et qu'il n'y avait dans ce moment à Kuty que deux familles de forgerons tsiganes. Quant à Wysznitz, un petit bourg de Bukovine, vis-à-vis de Kuty, on ne savait pas nous dire si les Zlotaria y existent, comme quelqu'un nous l'avait fait espérer à Kossow.

<< Après ce deuxième échec, nous fimes appeler un des forgerons tsiganes de Kuty, pour qu'il nous racontât quelque chose du Zlotar Gadzymynink, ainsi que de ceux qu'il connaissait ailleurs.

<< Au bout d'une demi-heure, on nous amena un Tsigane très-pur sang, un sauvage à peu près, de petite taille, tout noir et très-sale, aux cheveux noirs hérissés. Malheureusement il fut tellement timide et méfiant, que, malgré nos manières les plus prévenantes et nos questions les plus discrètes, il ne voulut nous rien dire au sujet des Zlotaria. Tant qu'il s'agissait de haches de fer et de faucilles, que nous feignîmes lui vouloir commander, il nous parlait volontiers et nous offrait ses services; mais à toute autre question il ne nous répondait que négativement. Interrogé si, au besoin, il ne travaille pas en bronze ou en laiton, il nous déclara que « c'est le métier des laïessi (1) qui courent le monde; » quant à lui et ses voisins,

(1) Nom donné en Roumanie, et particulièrement en Moldavie, à tous les Tsiganes qui ne sont ni Rudari (classe qui se subdivise en Aurari=orpailleurs et en Lin

ils ne s'en occupent point, « étant forgerons de l'endroit, qu'ils ne quittent jamais. » Au sujet des Zlotaria de Bukovine, en reniant énergiquement toute relation avec eux, il nous fit entendre néanmoins qu'ils existent à Hlinniça et à Sadagora. Comme il est évidemment impossible qu'il ne sache pas quelque chose des Zlotaria de Kuty, avec lesquels il avait habité pendant plusieurs années, j'ai lieu de penser que, le successeur de Gadzymynink étant emprisonné quelque part pour un vol, et notre forgeron nous prenant pour des fonctionnaires de la police chargés d'une enquête secrète, il eut la sage précaution de renier toute sorte de relations avec les Zlotaria. Ayant abandonné ce sujet, délicat pour notre hôte et stérile pour nous, j'ai passé la soirée à étudier la langue de ce Tsigane. Ceci allait beaucoup plus facilement: en fumant nos cigares et en buvant notre vin, il me dicta un bon nombre de mots et de phrases qui m'ont beaucoup appris sur les particularités du dialecte bukovinien.

« Après avoir passé la nuit à Kuty, nous partimes le matin pour Hlinnica. A Sniatyn (ville de district en Galicie, sur la frontière de la Bukovine, à deux lieues de Hinniça), nous apprîmes que nous allions trouver infailliblement à Hinniça toute une petite colonie de Zlotaria. Vous pouvez vous imaginer toute ma joie à cette nouvelle, après mes récents échecs, qui commençaient à m'inspirer des doutes sérieux sur ces Zlotaria dont on me parlait partout, et qu'on ne pouvait trouver nulle part.

« Le lendemain, vers midi, nous descendîmes à l'auberge de Hlinniça (à un quart d'heure de route de Niepolokoutz, station du chemin de fer de Lemberg à Czernowitz). C'était dimanche, nous eûmes donc la bonne chance de trouver à l'auberge même trois Zlotaria (1) qui s'y amusaient avec les villageois. L'apparition de deux personnes étrangères dans un endroit écarté du pays devait naturellement exciter la curiosité des paysans et l'inquiétude des Zlotaria, qui ont toujours à craindre quelque enquête. Arrivés à Hlinniça, nous devions gurari fabricants d'ustensiles de bois, etc.), ni Ursari (conducteurs d'ours), ni Vatrassi (esclaves domestiques avant l'affranchissement). Cette classe des Laïessi était la tourbe et la masse la plus nombreuse. Elle comprenait tous les métiers, à commencer par celui de forgeron. (Voir Kogalnitchan, les Cigains, 1837, p. 13.) (1) D'après la liste qu'on trouvera plus loin, ce devaient être Wasil Boiko, Wasil Zlotar et Olexa Ursulak.

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donc agir avec prudence et réserve, afin de ne pas compromettre notre affaire. Mon compagnon s'en tira avec un tact admirable. Sous prétexte d'avoir grand besoin d'un bon fon deur en laiton pour lui commander quelques pièces pour sa machine à battre le blé, il s'adressa à un Tsigane qui se trouvait à l'auberge, en lui demandant s'il n'était pas Zlotar et s'il pourrait lui faire les pièces dont il avait un besoin urgent. Tous trois lui ayant offert leurs services, ils furent invités à venir dans notre chambre. Après y avoir arrangé l'affaire de sa machine à battre, M. Przybyslawski passa aux clochettes dont il avait également besoin. Enfin il tira l'un après l'autre de son sac de voyage différents petits objets de laiton, anneaux, croix, plaques, agrafes et pendants d'oreilles, achetés à Kossow, et les présenta aux Zlotaria en leur demandant s'ils savaient aussi faire de pareilles choses? Ceux-ci, au premier coup d'œil jeté sur ces objets, reconnurent leur origine, et déclarèrent avec mépris que c'étaient les produits des Huculs (1) (montagnards ruthéniens des Carpathes), et qu'ils étaient capables de fabriquer des objets beaucoup plus parfaits. Alors M. Przybyslawski leur dit qu'il était fort content de l'apprendre, et qu'étant grand amateur de pareils objets, il voulait les inviter à venir chez lui à Czortowiec, mais qu'il désirait se convaincre auparavant ici s'ils sont en effet tellement habiles dans leur métier. Il fit apporter un sac plein de débris de vieux objets de cuivre, de laiton, de zinc, d'étain et de maillechort, qu'il avait eu soin de prendre avec lui en partant de Czortowiec, et il proposa aux Zlotaria de lui couler quelques objets en notre présence. Ceux-ci s'excusèrent de ne pouvoir travailler ce jour de dimanche, mais ils promirent volontiers de le faire pour le lendemain.

« Il fut donc convenu que nous reviendrions le lendemain. à Hlinniça, qu'un des Tsiganes nous attendrait à l'entrée du village pour nous conduire directement chez eux, où ils nous montreraient leurs ustensiles et tous les procédés de leur métier; après quoi deux Zlotaria, qui seraient engagés à cet effet, viendraient dans quelques jours à Czortowiec avec tous leurs ustensiles. L'affaire arrangée de cette façon, nous passâmes encore deux heures à Hlinniça à causer avec nos Tsiganes de

(1) Prononces Houtsouls.

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