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sans connexité. Tout ce que j'en dirai aujourd'hui, c'est que, à ma sollicitation, notre collègue polonais est disposé à publier en français ses études de langue tsigane, qui comprennent trois parties et comme trois ouvrages; 1° un recueil de trente contes et de quatre-vingt-dix chansons avec traduction interlinéaire; 2° un vocabulaire (assez riche et dressé avec un soin extrême); 3° une grammaire, s'appliquant également au dialecte spécial des Tsiganes de Galicie. Les deux premiers ouvrages sont presque achevés; mais, pour les publier, il faudra un éditeur français, qu'il s'agit de chercher, et que je ne désespère pas de trouver.

Mais je reviens à l'objet essentiel de la présente communication, en commençant par les quatre pages de la première des lettres mentionnées plus haut (Rabka, 21 juin dernier). Dans une lettre précédente, de Rabka (16 juin), qui m'arrivait après un silence de quatre années, M. Kopernicki m'annonçait la constatation qu'il avait faite de, l'existence « d'une classe à part de Tsiganes fondeurs en bronze et en laiton; ce qui est naturellement, ajoutait-il, un fait trèséloquent en faveur de votre grande thèse des Tsiganes ouvriers en bronze dans les temps préhistoriques; » et il me promettait des détails que m'a apportés en effet sa lettre du 21 juin. Avant de vous les lire, je remarquerai que quelquesuns de ces détails ont été modifiés par les informations ultérieures, mais que j'ai mieux aimé les laisser subsister en les accompagnant de quelques notes au bas des pages, que les supprimer ou les refondre, dans la crainte d'aller trop loin dans des rectifications toujours délicates, quelquefois même douteuses, et qui d'ailleurs ne porteraient presque jamais sur des points essentiels.

Voici donc ce que M. Kopernicki m'écrivait le 21 juin dernier :

« Je commence par ce qui doit vous intéresser le plus, la métallurgie tsigane. Les Tsiganes fondeurs en laiton et en bronze se trouvent principalement, sinon exclusivement, dans les districts sud-est de la Galicie, limitrophes de la Bukovine, qui forment ce recoin de notre pays qu'on appelle Pokucie.

du 4 octobre 1877, m'apprend que M. le docteur Kolina (de Posen), linguiste distingué, prépare la publication en français d'un travail important sur le dialecte des Tsiganes slovaques.

« J'ai appris leur existence pour la première fois au Congrès de Pesth (septembre 1876). Au moment où M. Broca faisait l'intéressante communication de votre mémoire sur la question de l'ancienneté des Tsiganes en Europe, se rattachant à la question des Tsiganes de l'àge du bronze que vous aviez déjà soulevée précédemment, un de mes compatriotes, assis à mes côtés (1), me dit qu'il avait plusieurs fois entendu parler de Tsiganes fondeurs de clochettes et de hachettes en bronze, existant dans les environs de Kolomyia, Ne croyant pas opportun de demander la parole pour annoncer ce fait important, mais incertain, j'ai pris à tâche de m'en renseigner positive

ment,

« Bientôt après mon retour à Cracovie, j'eus l'heureuse occasion d'y faire la connaissance d'un propriétaire de Pokucie, M. Lad. Przybyslawski (prononcer Pchibyslawski), qui m'a positivement attesté l'existence de ces fondeurs, en m'assurant les avoir vuş lui-même, eux et leurs produits, à savoir : des clochettes de bronze, de petites hachettes de bronze ou de laiton, des boucles de ceinture, et autres objets. Il était bien sûr que ces objets étaient coulés par les Tsiganes, mais il n'avait jamais eu occasion de les voir travailler. M. Przybyslawski étant un homme très-instruit et qui s'intéresse beaucoup à l'archéologie et à l'anthropologie, je lui ai expliqué de quoi il s'agit, et lui ai communiqué votre mémoire sur les Tsiganes de l'âge du bronze (2). Votre thèse et le rôle que peuvent jouer nos Tsiganes dans cette importante question l'ont tellement intéressé, qu'il m'a promis pour vous, non-seulement des renseignements des plus précis sur ces artisans, sur leurs appareils et leurs manipulations métallurgiques, mais aussi l'envoi de leurs produits avec les moules qui s'y rapportent.

«Malheureusement il dut bientôt faire un long voyage, et n'en revint chez lui qu'au commencement de l'hiver, lorsque les Tsiganes ne circulent plus dans le pays. Au commencement de mai dernier, étant invité par M. Przybyslawski, je me rendis chez lui pour y passer trois semaines à faire des fouilles archéologiques avec lui.

(1) M. J. Lepkowski, professeur d'archéologie à l'Université de Cracovie.

(2) Communications faites à la Société d'anthropologie dans les séances des 18 novembre et 2 décembre 1875, (Voir les Bulletins, ou le tiré à part, publié chez Leroux, rue Bonaparte, 28.)

« Quelques jours avant mon arrivée à Czortowiec (1), l'aimable propriétaire, qui y demeure, avait eu le soin d'engager le premier Tsigane fondeur qui s'était présenté dans le village à y revenir huit jours après avec tous ses ustensiles, pour couler un grand nombre de clochettes, de plaques, de hachettes et d'autres objets divers, dont il faisait semblant d'avoir un besoin urgent. Nous étions donc préparés à étudier de nos propres yeux tous les détails de cette métallurgie tsigane. Hélas! pendant tout mon séjour en Pokucie, il n'a presque pas cessé de pleuvoir à torrents, de sorte que, d'une part, nos fouilles ont à peu près échoué, et, d'autre part, notre Tsigane fondeur n'a point paru! Heureusement M. Przybyslawski n'avait pas manqué de recueillir sur ce métier tous les renseignements qu'il avait pu, et que voici :

« Les Tsiganes fondeurs n'ont rien de commun avec les Tsiganes forgerons, et on leur donne un nom particulier, celui de Dzwonkarze (mot polonais signifiant fabricant de clochettes), - en tsigane a Dzvonkaria (au singulier, Dzvonkaris) » (2), comme me l'a dit un forgeron tsigane. Il est très-difficile de savoir leur nombre et leurs demeures, peu fixes assurément, parce qu'on ne les voit que voyageant d'un endroit et d'une foire à l'autre, tantôt avec leurs produits tout fabriqués, tantôt

(1) Czortowiec, pres Obertyn, en Pokucie, est un grand village de 3629 habilants, dont la moitié appartient à M. Przybyslawski.

(2) On verra, dans la seconde communication de M. Kopernicki (p. 306 et 316-317), que leur nom principal est Zlotar, au pluriel Zlotari, mot ruthénien signifiant orfévre. C'est le nom que les 'T'siganes fondeurs ont eux-mêmes adopté sous la forme Zlotar, et quelquefois Zlotaris au nomin. sing., Zlotaria au nomin. pl. — Le nom Dzwonkar (littéralement clochettier), pl. Dzwonkari en ruthénien, Dzwonkarz, pl. Dzwonkarze en polonais, deviendrait en tsigane Dzvonkar ou Dzvonkaris, pl. Dzvonkaria; mais il n'est pas sûr que les Tsiganes fondeurs s'en servent euxmêmes dans leur langue. L'emploi respectif de ces deux noms, l'un et l'autre slaves, particulièrement ruthéniens, dépend des lieux et des races. Dans l'extrême sud-est de la Galicie et sur toute la lisière occidentale de la Bukovine, où le fond de la population rurale est presque exclusivement rathénien, c'est le nom de Zlotari qui est partout appliqué par tous les paysans à nos Tsiganes fondeurs; et, comme c'est là leur siége habituel, ce nom est aussi, je le répète, celui que nos fondeurs ont adopté. Dans les districts de la Galicie qui s'éloignent plus ou moins de la Pokucie, les Ruthènes, qui y forment encore la plus grande partie de la population, les appellent tantôt Zlotari, tantôt Dzwonkari. Mais partout, même en Pokucie, les Polonais, qui n'ont pas le mot Zlotar, les appellent ordinairement Dzwonkarze. Et il se peut très-bien que nos fondeurs, lorsqu'ils s'aventurent dans quelque région où ce dernier nom domine, se l'appliquent quelquefois eux-mêmes, et lui donnent même dans leur langue une forme tsigane.

à la recherche de vieux objets de bronze ou de laiton à refondre sur place ou à échanger.

« Les objets qu'ils préparent eux-mêmes pour la vente ou qu'ils coulent à la commande, sont: 1° les clochettes de différentes espèces et grandeurs, destinées à être attachées au bétail qu'on fait paître dans les forêts, au harnais des chevaux et à d'autres usages; 2° les hachettes, qui étaient jadis très-recherchées des montagnards pour servir de têtes de cannes; 3° les boucles de ceintures, les plaques d'ornement pour les larges ceintures que portent les paysans et les montagnards; 4° les broches (fibules) dont les montagnards se servent pour agrafer le devant de leurs chemises; 5o les petites croix, très-recherchées par les filles, qui les portent au cou enfilées avec des perles; 6o enfin des cure-pipes, qui sont comme de longues aiguilles (1).

<< Tous ces objets sont coulés en laiton ou en bronze (2). Dans le premier cas, les fragments de vieux laiton sont fondus sans qu'on y ajoute rien; dans le dernier cas, au vieux laiton ou bronze, fondu ou à fondre, ils ajoutent, sans les peser, de petits morceaux de cuivre, d'étain et de zinc, dans les proportions nécessaires (3). Le métal est fondu dans une grosse cuiller de fer (4) qu'ils chauffent sur des charbons à l'aide de soufflets.

«Les moules creux sont préparés en pâte d'argile (5), exprès pour chaque objet à couler. Ces creux sont moulés sur des objets étalons que les fondeurs portent avec eux, ou sur des modèles qu'on leur donne à reproduire, ou enfin sur des

(1) On trouvera, dans la seconde communication de M. Kopernicki (p. 517), une nouvelle énumération, un peu plus complète, mais qui n'infirme point celle-ci, et il faut encore les compléter toutes deux par quelques détails des paragraphes 3, 4 et 13 de mon Post-scriptum.— La seule remarque importante à faire, c'est qu'ordinairement le bronze n'est employé, du moins aujourd'hui, que pour les clochettes (qui exigent un métal particulièrement sonore). Voir toutefois, dans le paragraphe 4 de mon Post-scriptum la mention de certaines pièces pour machines à battre qui se feraient quelquefois en bronze.

(2) Voir la note précédente.

(3) La question des proportions, avec ou sans pesée, n'est pas éclaircie non plus dans la lettre suivante. Mais voir Post-scriptum, §§ 7, 8.

(4) Pour le coup, ce détail est inexact, ou, du moins, ne répond pas à la manière de procéder la plus habituelle: nous verrons que les Zlotars emploient des creusets de graphite, installés sur des fourneaux improvisés, qui sont également décrits.

(5) En sable argileux serait plus exact. Voir la lettre suivante.

modèles en bois qu'ils fabriquent ex tempore (1). Sorti de son moule, l'objet coulé est d'abord limé et ensuite poli avec de la poudre de brique (2).

<< Pendant que nous étions à Horodnica (sur le Dniester) pour y faire nos fouilles, j'y ai appris d'un forgeron tsigane qui ni lui ni aucun des forgerons n'entendent rien au métier de dzvonkaris. Il m'assura aussi qu'une colonie de Dzvonkaria se trouve près de Czernowitz, dans un village nommé Doliniany (3).

«Tels sont les renseignements que je suis en état de vous donner, en attendant mieux, sur nos Tsiganes fondeurs en bronze. Je dis en attendant mieux, puisque d'abord j'espère recevoir de M. Przybyslawski de nouveaux renseignements plus précis aussitôt qu'il aura eu l'occasion d'étudier personnellement cette industrie tsigane; ensuite, il est très-probable et presque certain que, ma saison de bains finie, vers le 15 sep. tembre, je me rendrai de nouveau à Czortowiec pour cinq ou six semaines, afin de poursuivre nos recherches archéologiques et nos fouilles à Horodnica. Dans ce cas, je suis décidé à ne pas quitter la Pokucie sans avoir visité les Dzvonkaria de Doliniany, et sans en emporter la connaissance parfaite de la métallurgie tsigane, avec ses produits et ses ustensiles, avec la liste de tous les noms tsiganes qui s'y rapportent, etc. Je ne tarderai pas alors de vous remettre tout cela pour le présenter de votre part à la Société d'anthropologie. »>

Quelque incomplètes que fussent encore les informations qui précèdent, j'avais eu l'intention de vous les communiquer à la séance du 2 août (la dernière avant les vacances). L'ordre du jour très-chargé en a décidé autrement, et je ne le regrette pas, ayant reçu depuis des informations beaucoup plus étendues et plus certaines; mais je regrette beaucoup que le même obstacle ait rejeté ma lecture jusqu'à la séance actuelle (4).

Je n'ai d'ailleurs pas besoin de vous dire, après les commu

(1) Ce dernier détail, qui a de l'intérêt, et qui est confirmé par les informations suivantes (p. 521), semble contredit dans le Post-scriptum, § 12.

(2) Dans la lettre suivante (p. 526), M. Kopernicki dit que la pièce est finie ‹ à l'aide de la lime, du burin et du polissoir ».

(3) Ce lieu n'est plus mentionné dans la lettre suivante; mais il y est question de Sadogora, qui est également près de Czernowitz.

(4) Je regrette encore plus qu'une longue indisposition m'ait forcé ensuite à remettre la fin de cette lecture jusqu'au 7 mars, époque si voisine de l'Exposition.

2 SERIE. -T. I.

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