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VII. DEDUCTIONS, CONCLUSIONS. A considérer dans leur ensemble les pays qui furent la Libye ancienne, l'Afrique du Nord et le Sahara de nos jours, ces pays paraissent n'avoir subi que des changements peu sensibles. Ils ont dégénéré cependant, quelques parties du moins, et ils se sont dépeuplés. L'homme est allé s'amoindrissant, dans les siècles modernes, sous l'empire de luttes sans trêve, au milieu des ruines accumulées et de toutes les dévastations commises par les dominateurs. Et, par une loi de corrélation nécessaire, le sol a suivi la fortune de l'homme. Cette contrée du Maghreb est toujours l'El-Khadra (la Verte) des Arabes de la conquête; mais les mêmes terres qui nourrissaient Rome sous les empereurs ne nourrissent même plus aujourd'hui leurs habitants.

Du Nil à l'Océan, de la Méditerranée au Niger, nous retrouvons à peu près les mêmes peuples qu'anciennement, qui n'ont guère fait que changer souvent de lieux et aussi de noms : les uns plutôt fixes, agriculteurs; les autres plutôt pasteurs et nomades. Et il est rationnel de croire que, sauf sans doute la proportion des blonds et leur répartition au milieu des populations actuelles, ils ont conservé en général la physionomie et les principaux traits qui caractérisaient leurs ancêtres. Nous ne savons rien de plus. Cependant, quant à leur moral, dans un passé déjà lointain, nous avons, pour nous le faire connaître, Ibn-Khaldoun lui-même. Et il faut voir quelles couleurs brillantes il emploie en retraçant le tableau de leur splendeur d'autrefois. « Nous croyons avoir cité, dit-il, une série de faits qui prouvent que les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux; un vrai peuple comme tant d'autres dans ce monde, tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains. » Il ajoute : « Citons ensuite les vertus qui font honneur à l'homme et qui étaient devenues pour les Berbères une seconde nature: leur empres sement à s'acquérir des qualités louables, la noblesse d'àme qui les porta au premier rang parmi les nations, les actions par lesquelles ils méritèrent les louanges de l'univers : bravoure et promptitude à défendre leurs hôtes et clients, fidélité aux promesses, aux engagements et aux traités, patience dans l'adversité,... éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux, respect pour les vieillards,... industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de l'oppression... » Il énu

2. SÉRIE. T. I.

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mère les hommes illustres, et ils sont nombreux, parmi les gouverneurs d'États, les fondateurs d'empires, les saints person. nages, les historiens et les autres savants que ce peuple a produits, et sur la gloire desquels il ne tarit pas (1). Or, si les appréciations du célèbre écrivain arabe, au point de vue ethnologique, ne méritent que très-peu de confiance, on reconnaîtra que cet éloge si pompeux des peuples dits berbères n'est guère suspect de la part de l'auteur. De semblables témoignages sont peut-être bons à rappeler, alors que l'on a si souvent méconnu les caractères de la nationalité de ces peuples et leur valeur, pour attribuer aux seuls Arabes tout ce qui vient des musulmans.

Assurément les premiers ne se sont jamais élevés dans les sciences autant que les seconds. Cela n'entrait pas dans l'orbite de leurs facultés du moment. On sait néanmoins qu'après avoir été les plus fermes soutiens des armes musulmanes en Espagne, ce sont leurs ancêtres en général qui, sous le nom de Maures, ont construit la plupart des monuments que l'on admire à Séville, à Cordoue, de même qu'à Fez, à Maroc, et dont on fait trop souvent honneur aux Arabes. Il serait curieux aussi de rechercher quels progrès ils avaient accomplis, notamment sous la domination des Almohades; mais on aime mieux doter la civilisation arabe de toutes les œuvres musulmanes, et ne rien laisser aux Berbères de la part du lion. Rappelons toutefois, en passant, que Tarec-Ibn-Ziâd, le vainqueur de Roderic, était Berbère. Le chérif Abd-el-Kader est aussi de cette origine, suivant M. Warnier, qui doit le savoir (2).

Ils sont bien déchus sans doute, nos modernes Kabyles. Et, si les historiens arabes reprochent aux Berbères d'avoir apostasié douze fois avant de subir la loi de Mahomet (5), c'est qu'ils avaient de bonnes raisons pour ne point accepter les préceptes du Koran. Mais il suffit de songer qu'ils sont courbés sous le joug depuis plus de mille ans. Que l'on nous montre un peuple conservant ses vertus antiques et ses lumières sous le poids d'une longue oppression! Ce qui demeure certain néanmoins, c'est que les guerriers d'autrefois revivent dans les Kabyles de nos jours; c'est que, bien différents en cela des

(1) Ouv. cit., t. I, p. 199–206. — Cf. Léon, ouv. cit., t. 1, p. 102 et suiv. (2) Ouv. cit., p. 47, note.

(5) Ibn Khaldoun, ouv. cit., t I, p. 28, 198, 215 et pass.

Arabes, ils sont en général de fidèles observateurs de leurs engagements; c'est qu'il existe entre eux et nous des points. de contact sans nombre, et que, pour l'Algérie en particulier, ils sont l'élément par excellence sur lequel repose l'édifice de notre domination. On l'a dit bien souvent et bien vainement : ne craignons pas de le redire.

Le peuple du désert aura conservé, selon toute vraisemblance, avec moins de mélange, avec une indépendance complète, des mœurs plus pures, un caractère plus élevé que le Kabyle. Et il paraît en effet que l'on trouve chez lui plus de distinction, plus de civilisation relative. On a vu d'ailleurs que, par plusieurs grands traits de leurs mœurs et de leur constitution sociale, les Touareg different beaucoup des Kabyles, comme si les uns ou les autres, en les supposant de souche unique, eussent retenu des coutumes étrangères à leur propre race et qu'ils se seraient assimilées, mais qui peuvent être considérées, même dans ce cas, comme témoignant de facultés originellement distinctes.

Suivant que les familles ou les populations auront été plus ou moins atteintes et pénétrées par les immigrations anciennes ou par les Arabes de Mahomet, il sera donc plus ou moins difficile de rencontrer dans ces populations des types purs, que la corruption moindre du langage pourrait aider à découvrir. Et comme les immigrations ont, en général, suivi leur cours d'Orient en Occident, nous disons en général, ce doit être dans ce même ordre qu'elles auront laissé le plus de traces. Il est très-remarquable que la langue kabyle subit une progression décroissante de l'est à l'ouest, de telle sorte que, parlée encore aux environs de Cherchel et de Teniet-el-Had, on ne la retrouve plus, à l'extrémité de la province d'Oran, qu'au delà de Sebdou (1). Toute la population kabyle, du reste, est généralement moins dense à l'est qu'à l'ouest du Maghreb, dans le beylik tunisien qu'au Maroc.

Mais, sans aucun doute, le temps, ce grand purificateur des races, a beaucoup fait pour tarir le sang étranger, quand il est venu se mêler au sang indigène. Les groupes métis connus des anciens, s'ils ont existé, n'existent plus, et les Kouloughlis disparaissent, Ainsi les diverses occupations par la conquête au

(1) Hanoleau, ouv. cit., p. 281 et carte.

ront passé comme des flots, en n'altérant que la surface ethnique. Enfin, ce qui n'est pas contestable, c'est que dans la Kabylie et ailleurs, dans leurs retraites inaccessibles, vrais nids d'aigle, les fiers habitants de ces montagnes représentent encore assez fidèlement l'homme des âges passés. Et, à plus forte raison, les Touareg, dont les immenses et stériles parcours n'ont jamais tenté la conquête, et qui sont demeurés libres entre eux, ontils été peu modifiés par les croisements. C'est donc dans la comparaison de ces types purs chez les uns et chez les autres, bien plus que dans la comparaison des idiomes, que l'on doit chercher la solution du problème de leur parenté réciproque.

En nous résumant, et pour conclure, nous pensons qu'il aurait existé dès les plus anciens temps, et qu'il existe encore dans le nord de l'Afrique, dans le Sahara et aussi dans les îles Canaries, deux types fondamentaux de races qui peuvent être considérées comme des rameaux de la souche atlantique, autochthone de l'Atlas: l'une généralement rousse ou blonde et l'autre aux cheveux bruns.

Quelles que soient les altérations survenues (dans la chevelure en particulier) à la suite des mélanges anciens et modernes, non-seulement avec les Palestiniens et les Arabes, mais entre eux-mêmes, nous croyons qu'il est permis de voir principalement dans l'ensemble des groupes kabyles et dans les Touareg actuels soit plutôt l'une, soit plutôt l'autre des deux races anciennes.

Tout ce que nous savons des Touareg, auxquels il faudrait, de même qu'aux Kabyles, restituer leurs vrais noms (ceux qu'ils se donnent), autorise à croire qu'étant d'un autre type, ils sont d'une autre race que les Kabyles. Et, après avoir signalé quelques-uns des grands traits différentiels qui nous semblent séparer les deux peuples, nous appelons de tous nos vœux des études scientifiques nouvelles, notamment sur les Imôhagh et autres Sahariens du grand désert, populations encore peu connues, presque mystérieuses, qui proviendraient en général des anciens Gétules de la grande Gétulie, et qui doivent être distinguées ethniquement, aujourd'hui comme dans l'antiquité, des diverses familles kabyles, qui représenteraient plus particulièrement les anciens Libyens.

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