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anciennes dont nous trouvons les restes enfouis dans le sol, ces connaissances appliquées aux races existantes, ont déjà donné et donneront de plus en plus des résultats vraiment scientifiques. Ces études, du reste, sont à l'ordre du jour en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Amérique et ailleurs. Elles permettent de faire l'histoire de l'homme mieux que ne l'ont faite la tradition, la fable, les religions et tout ce qu'on avait considéré jusqu'ici comme le plus positif.

Pour ne parler que des résultats obtenus déjà par l'anthropologie relativement à la Celtique et à la Gaule, voici quels me paraissent être les principaux de ces résultats.

On n'a pas encore trouvé au centre de l'Europe des restes de singes enfouis dans le sol. C'est l'homme lui-même qui s'y montre à l'époque quaternaire et même tertiaire de la géologie, en même temps que des faunes et des flores qui ont disparu de la surface du sol par suite de révolutions géologiques. La mâchoire d'Issel, trouvée en Ligurie; le crâne trouvé dans la brèche de l'Olmo, près d'Arezzo; les crânes de Neanderthal, de Canstad, de Brux, d'Esguishem (1), démontrent l'ancienneté de l'homme préhistorique en Europe; mais l'anthropologie y trouve de plus la mesure du peu de développement intellectuel de l'homme de ces époques, dont le front est fuyant et aplati, les arcades sus-orbitaires très-développées, les fosses temporales profondes. Ces crânes sont essentiellement dolichocéphales.

La dolichocéphalie est commune chez les primates comme chez les hommes primitifs; on ne commence à trouver la brachycéphalie que chez quelques peuples préhistoriques.

Quant à la taille de ces hommes primitifs, elle était petite. ou moyenne, quoique le squelette de Cro-Magnon offre un exemple de taille assez élevée.

L'archéologie et l'anthropologie s'unissent donc pour admettre qu'avant les époques historiques l'Europe, et conséquemment la Celtique et la Gaule, ont été peuplées par une race autochthone dont on peut, jusqu'à un certain point, tracer les mœurs et le degré d'intelligence. C'est l'âge de la pierre taillée; et même, avant de se faire des armes avec le silex taillé en esquilles par le choc ou par le feu, l'homme a dû

(1) Ces pièces, originales ou moulées, se trouvent dans le musée d'anthropologie,

se servir de la pierre brute. L'usage seul du feu montre déjà un degré bien avancé d'intelligence.

Les alluvions quarternaires anciennes de Saint-Acheul, dans la Somme; Sotteville-lès-Rouen, dans la Seine-Inférieure ; Vaudricourt, dans le Pas-de-Calais; Vendôme, dans le Loiret-Cher; Bois-du-Rocher, dans les Côtes-du-Nord.

Les plateaux Beaumont, dans la Vienne; Tilly, dans l'Allier; la Vallette, dans la Haute-Garonne ; Saint-Sauveur, dans la Dordogne; Pouillon, dans les Landes (1). Tous ces dépôts sur des points divers de l'ancienne Gaule y montrent la présence de l'homme aux époques géologiques où vivaient le grand ours, le mammouth et autres animaux qui n'existent plus.

Les époques dites de Moustier, de Solutré, de la Madelaine, où la pierre est un peu plus façonnée, nous montrent l'homme encore sans abri ou habitant les cavernes.

L'époque néolithique ou des dolmens nous montre la pierre apprêtée par le polissage, c'est-à-dire postérieure à la précédente, mais antérieure encore aux anciens Celtes et aux Gaulois du temps de César; par conséquent, on ne peut pas mesurer le temps qui a séparé la première apparition de l'homme en Gaule des premières notions qu'ont données de cette contrée les Grecs et les Romains.

Si, laissant ces temps reculés, on veut étudier la Celtique et la Gaule aux premiers temps historiques, l'anthropologie est encore d'un grand secours; ainsi, M. Broca, en combinant la craniologie à la statistique, a confirmé l'exactitude de la division qu'a faite Jules César des Gaules en Belgique, Celtique et Aquitaine.

Déjà M. Amédée Thierry (2) et M. William Edwards (3) avaient, par l'aspect extérieur, trouvé en France deux principales races: la grande de taille, la tête allongée, le front spacieux et élevé, le menton saillant, la peau blanche, les yeux clairs et les cheveux blonds; c'est la race kymrique ou belge de Jules César, établie dans le nord-ouest de la France.

L'autre race, de taille moyenne ou petite, ayant le front

(1) Voir le Tableau archéologique de la Gaule, par M. de Mortillet. (2) Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, 3 vol. in-8. Paris, 1828.

(5) William Edwards, Mémoires de la Société d'ethnologie, t. I, Sur les caractères physiologiques des races humaines,

bombé, fuyant sur les tempes, le nez droit, le menton rond, la tête ronde, les yeux bruns, la peau brune et les cheveux de couleur foncée: c'est la race dite celtique, occupant le centre et l'ouest de la France.

M. Broca, ne s'arrêtant pas à de simples appréciations extérieures, a relevé la statistique de la France, en notant quels sont les départements où il y a le plus d'exemptions par défaut de taille (1), et par la simple vue de la carte qu'il en a faite, on est reporté à la division de Jules César. C'est dans les montagnes de l'Auvergne, c'est dans la Basse-Bretagne que se trouvent les départements où la taille est le plus petite. C'est dans l'Est, le Nord et l'Ouest, en dehors de la Bretagne, que se trouvent les tailles les plus élevées. Les chiffres ne laissent plus matière à discussion.

Mais c'est la craniométrie qui devait surtout confirmer le fait, c'est-à-dire que les habitants à petite taille sont presque tous brachycéphales; les hommes à haute taille, au contraire, sont dolichocéphales. On peut par conséquent affirmer que la Celtique de Jules César a conservé encore sa race, la race celtique, comme la Belgique a conservé la sienne, bien entendu. avec des nuances résultant du mélange de ces deux races entre elles, ainsi qu'avec celles des invasions du moyen âge.

Si la question de langue présentait de l'obscurité au point de faire croire que la langue celtique est difficile à retrouver, il n'en serait plus de même de la race celtique. En Auvergne, cette race est encore aujourd'hui la plus nombreuse, et on y parle cependant une langue romane; en Basse-Bretagne, elle est encore assez nombreuse, et on y parle cependant le gallig, appelé à tort celte, puisqu'il vient surtout des Gaels, des Galli ou Galates.

Si la linguistique montre ici quelque faiblesse, elle acquiert la plus grande prépondérance à propos du basque. Ainsi, voilà un peuple dont la langue indique une ancienneté incontestable dépassant l'arrivée des langues indo-européennes, un peuple qui est désormais confiné dans les Pyrénées comme dans une forteresse, et qui cependant n'offre pas de caractères anatomiques bien distinctifs.

Les Basques sont aussi de taille moyenne ou petite; ils ont

(1) Broca, Race celtique ancienne et moderne: Arvernes et Armoricains, Auvergnats et Bas-Bretons, in Revue d'anthropologie, 1873, p. 577, etc.

des formes ramassées et vigoureuses, le crâne dolichocéphale, les cheveux bruns comme les yeux. On les distingue facilement des Catalans, grands, secs et bruns, qui sont allés s'installer à côté d'eux; mais on ne les distinguerait pas si facilement d'autres peuples du Midi en dehors de leur langage.

Le midi de la France, l'Espagne, l'Italie et les îles adjacentes offrent divers types.

Ainsi, l'Italie seule offre presque la répétition de la France. Le type kymrique s'observe dans la Toscane, pendant que le Piémont et la Ligurie ont des hommes de taille moyenne et brachycéphales comme les Celtes, d'après les observations récentes de M. Nicolucci. Dans le sud de l'Italie, au contraire, dans les campagnes de Naples, on trouve une race petite offrant les caractères méridionaux encore plus prononcés que chez les Celtes et que chez les Basques, mais dolichocéphale. Enfin, le milieu de l'Italie offre en très-grande majorité ce qui me paraît être le type pélasge, c'est-à-dire des hommes de taille plus avantageuse que petite, la face ovale et régulière, le nez droit, la bouche moyenne, le front bombé et spacieux, quoique le crâne soit dolichocéphale; les yeux comme les cheveux de couleur foncée. Le type grec en est le plus beau modèle. C'est cette même race qui domine de nos jours dans le midi de la France, comme elle y dominait sans doute dans la province narbonnaise et dans l'Aquitaine aux temps anciens.

Après deux mille ans bientôt de la division établie dans les Gaules par les Romains, en Belgique, Celtique, Aquitaine et Narbonnaise, on pourrait, pour ainsi dire, justifier encore cette division, malgré la domination romaine, malgré les invasions barbares du moyen âge, venant du Nord et de l'Orient; ce qui prouve la ténacité des races quand elles embrassent des masses considérables, tandis que les langues des peuples changent plus facilement, et disparaissent même à la suite. des invasions et des gouvernements qui en imposent de nouvelles pendant plusieurs générations consécutives. Pour ne citer qu'un exemple, la Celtique a conservé le type de ses habitants en Auvergne, en Basse-Bretagne, et elle n'a pas conservé sa langue. Le gaulois, parlé dans les Iles-Britanniques, comme le breton en France, peut se rapprocher du celtique, mais nous ne pouvons pas dire que ce soit la langue même des Celtes.

L'Espagne, ou Ibérie des anciens, parlait-elle une seule langue? les Cantabres ne parlaient-ils que le basque? C'est ce qu'il est impossible d'affirmer. De nos jours la péninsule ibérique offre un mélange inextricable de races, par suite des dominations et des invasions qui s'y sont succédé les Romains, les Goths, les Vandales, les Arabes, et si la langue en a subi des modifications, c'est la langue romane qui a prévalu.

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Le peuple basque, avec sa langue, a fait seul exception. En se confinant dans les Pyrénées, il s'est isolé, et malgré cela sa langue perd tous les jours du terrain, soit sur le versant français, soit sur le versant espagnol; mais si cette langue a tant résisté, cela dépend, à mon avis, de sa nature, laquelle n'est pas seulement diverse, mais opposée aux langues indo-européennes, pendant que toutes ces langues, ayant entre elles une foule d'analogies qui descendent jusqu'au détail, se transforment facilement les unes dans les autres.

J'arrive à ce que je voulais dire sur la Corse, et en parlant de cette île je parlerai en quelque sorte de la Sardaigne et de la Sicile, qui complètent l'Europe occidentale.

Depuis que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Société un travail sur les premiers habitants de la Corse, mes idées ne se sont guère modifiées, au moins pour l'ensemble. Elles demandent cependant quelques éclaircissements concernant les détails, éclaircissements qui seront le complément de ce que je viens de dire sur la Celtique et sur la Gaule.

La Corse a eu ses temps préhistoriques, comme on en trouve la preuve, du reste, dans toute l'Italie (1), et si on n'y a pas encore trouvé les preuves de l'époque de la pierre taillée, on y a trouvé des dolmens, des haches, c'est-à-dire les preuves de l'époque de la pierre polie; or, comme la Corse est une île assez éloignée des continents, c'est que l'homme à l'époque néolithique naviguait en pleine mer. S'il s'agissait d'un seul habitant ou d'un petit nombre de personnes, on pourrait admettre que le trajet eût été fait à la nage, mais on ne peut pas admettre ce trajet pour toute une population.

Jusqu'ici on n'a trouvé en Corse qu'un tumulus, et dans ce tumulus on n'a pas trouvé de squelette; il n'y avait qu'une hache en bronze. Dans des urnes funéraires, on a trouvé avec

(1) Pigorini, Matériaux pour l'histoire de la paléoethnologie italienne, in-8°, Parme, 1874. (Bibliographie.)

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