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opération, qui est assez longue, se fait du côté des pieds, le mari de la défunte s'agenouille sur le bord de la fosse, et écartant le foulard de coton imprimé qui couvre la figure, il commence, en passant la main sur le visage de la morte, une cantilène plaintive que reprennent en diapason suraigu toutes les femmes qui viennent à ce moment sous le rancho. Le corps est enveloppé dans une cotonnade blanche et dessus sont jetés divers petits instruments qui servent à filer le coton. On prend les deux bâtons taillés qui servent de quenouille, et on en plante un aux pieds et l'autre à la tête, après quoi on en brise l'extrémité. On pratique alors sur le côté droit de la fosse, à la hauteur du sein du cadavre, une petite excavation dans laquelle on fiche un bâton auquel s'entortille une corde enduite de résine, que l'on allume de façon à avoir deux petites flammes. On place ensuite les autres bâtons transversaux, et dessus, de nouvelles planches de pirogue, de façon à former un toit complet. A ce moment, la douleur cesse sur toute la ligne et les larmes sèchent comme par enchantement; seuls, le mari, la fille et un cousin de la morte, couchés plutôt qu'assis et la tête couverte de leurs foulards, continuent à grogner sourdement.

On étale alors sur le toit une pièce d'étoffe blanche, puis toutes les robes de la morte, dont on découd les deux coutures latérales pour les étendre. Divers petits effets d'habillement sont placés dans les coins pour empêcher la terre de tomber dans la fosse. Une écharpe rouge et jaune en coton imprimé, et qui n'est autre chose qu'une pièce de trois foulards, est posée sur le tout, et finalement recouverte d'une grande pièce de cotonnade bleu sombre, comme celle qui sert à faire les robes. Puis on rejette sur la fosse la terre qui ne forme jamais une couche de plus de 15 à 20 centimètres d'épaisseur. Pour la tasser, on répand dessus une grande calebasse de chicha et on la bat avec des bâtons. Tout le monde redescend ensuite au village en causant de ses affaires, les hommes s'arrêtent dans la rivière à prendre leur bain; mais les femmes se croient, paraît-il, obligées en rentrant à leurs cases de recommencer leur charivari.

Ajoutons, comme trait de mœurs, que trois semaines après la fille de la morte, qui avait poussé tout le temps d'affreux cris de désespoir, accouchait du fait même de l'époux inconsolable, sans que personne y trouvât rien d'extraordinaire.

A chaque mort qui survient dans une case, on suspend à la

toiture un bec de toucan; mais je n'ai pu me faire expliquer l'idée, superstitieuse sans doute, qui détermine l'usage de ces sortes d'amulettes dont on voit pendre quelquefois un grand nombre au toit des vieilles cases.

Quant aux sépultures, elles ne sont point abandonnées aussitôt après l'enterrement, loin de là. Dès le jour même ou le lendemain, on apporte sous le rancho des oranges, des cannes à sucre, du maïs, des calebasses de chicha, des plats de faïence et jusqu'à des tabourets. Ces offrandes sont souvent renouvelées, et même sur des tombes déjà anciennes, elles indiquent toujours une visite récente. Pour les vieilles sépultures, il est impossible de les trouver, il n'existe pas de nécropole, on ne peut tirer des Indiens aucun renseignement, et sans doute, la frêle construction funéraire ayant succombé aux intempéries des saisons, la forêt vierge a repris son empire et couvre la dépouille des morts de son silence éternel.

SUR LES

ANCIENS PEUPLES DE L'EUROPE CENTRALE

ET EN PARTICULIER DES GAULES

(BASQUES, CELTES, GAULOIS, PÉLASGES, BRETONS, AUVERGNATS, CORSES)

Par M. le docteur Ant. MATTEI.

· (Lu à la Société d'anthropologie le 22 novembre 1877.)

Dans une des dernières séances de la Société d'anthropologie, M. Henri Martin avait proposé de mettre à l'ordre du jour la question des Celtes, anciens habitants des Gaules, et de donner le nom de celtisés aux peuples qui sont venus habiter ultérieurement la même contrée. M. Broca, prenant la parole, a signalé la confusion qui a suivi la mauvaise interprétation donnée au mot Celte, et pour lui la Celtique n'était que celle que Jules César a indiquée dans ses Commentaires. M. Bertrand et quelques autres membres sont intervenus, mais sans approfondir la question, et je ne sais pas si la Société est disposée à la développer. Du reste, cette question n'est pas neuve pour la Société d'anthropologie, les procèsverbaux en font foi; mais elle est loin d'être épuisée, je dirai même qu'elle est loin d'être complétement éclaircie.

Si j'ai demandé la parole, ce n'est certes pas avec la prétention d'aplanir tous les doutes, toutes les difficultés; c'est pour résumer tout ce que nous savons de plus certain sur la question, exprimer quelques desiderata, et enfin pour compléter un sujet que j'ai traité devant la Société, l'étude des premiers peuples qui ont habité la Corse (1).

L'étude des anciens peuples qui ont habité le centre de l'Europe, et en particulier les Gaules, peut être rattachée à deux périodes distinctes, que j'appellerai la période historique et la

(1) Voir les Bulletins de la Société d'anthropologie, 1877.

période scientifique; je vais suivre chacune de ces périodes, que nous verrons se subdiviser plus ou moins par les développements.

PÉRIODE HISTORIQUE.

Cette période commence avec les premières notions de l'histoire pour durer jusqu'à la fin du siècle dernier.

Parmi les Grecs, Homère, les auteurs des chants orphiques, tout en célébrant les voyages d'Hercule, de Janus, des Argonautes dans l'Occident, conviennent que ces voyageurs phéniciens trouvèrent les continents et les îles déjà habités.

Ce fait, auquel on ne s'est pour ainsi dire pas arrêté, me paraît être capital, car les historiens, jusqu'au siècle dernier, considéraient les Phéniciens comme les hommes qui les premiers ont peuplé ou tout au moins découvert l'Occident.

Les excursions des marins de la Phénicie, de la Phocée et de la Grèce n'ont pas discontinué depuis, et nous savons que des colonies, des villes ont été les conséquences de ces excursions. Sagonte, Syracuse, Carthage, Marseille vantent une origine orientale; la Corse elle-même a eu sa part de ces colonies. C'est-à-dire que si les Phéniciens et les Pélasges n'ont pas été les premiers habitants de la Méditerranée occidentale, ils ont au moins fourni anciennement un élément de population dont on n'a pas tenu, je crois, assez de compte en ethnographie.

Aux poëtes de la Grèce ont succédé les historiens, qui ont fait la géographie du monde connu telle qu'elle était comprise de leur temps, et qui se bornait presque aux bords de la Méditerranée. Hérodote, Aristote, Diodore de Sicile nous disent qu'on plaçait comme dernières limites l'Inde à l'orient, la Celtique à l'occident, la Scythie au nord et l'Éthiopie au sud (1).

Quant aux détails, nous trouvons sur les bords de la Méditerranée occidentale l'Ibérie, Marseille ayant derrière elle toute la Celtique, la Ligurie, l'Étrurie, le restant de la péninsule italique ou Grande-Grèce, et enfin les îles. La Celtique était donc une grande contrée dont on ne connaissait que les limites méridionales.

Jusqu'ici il n'est pas question de la Gaule; mais Strabon, qui avait déjà connaissance de la Grande-Bretagne, commence

(1) Voir Alexandre Bertrand, Celles, Gaulois et Francs, in Revue d'anthropologie, 1873, p. 234, 422, 629.

à parler des Galates, peuples qu'il place sur les bords du Danube.

Polybe, au deuxième siècle avant l'ère chrétienne, entre dans de plus grands détails. Il répète ce qu'on avait dit de la Celtique, vaste contrée s'étendant au nord et à l'ouest, mais il place les Galates ou Galli sur les deux versants des Alpes. Ce peuple, guerrier, entreprenant, s'étend au loin; il fond sur l'Italie et prend Rome en 590 (av. J.-C.), va du côté de l'orient jusqu'en Grèce, en Asie Mineure; du côté de l'occident, il pénètre dans la Celtique et dans la Méditerranée comme sur l'Océan ; il va même jusqu'aux îles. Voilà les notions que nous fournissent les auteurs grecs. Arrivons aux Romains.

Tite-Live et Jules César, deux contemporains, se complètent mutuellement. Les Gaulois occupant encore le versant oriental des Alpes, c'est là que commencerait la Gaule (Cisalpine); mais c'est du versant occidental surtout qu'on la fait partir, pour aller jusqu'à l'Océan, aux Pyrénées et au Rhin. C'est-à-dire que la Gaule des Romains était la Celtique des Grecs.

Jules César, qui parcourut la contrée dans toute son étendue et qui eut à lutter avec ses habitants, divise les peuples de la Gaule en trois groupes distincts, formés chacun de la confédération de plusieurs peuples dont il donnait le nom, comme avaient essayé de le faire Polybe et Tite-Live. Ces trois confédérations sont 1° le peuple belge, occupant le nord de la Gaule entre le Rhin, les Alpes, la Seine et l'Océan; 2o le peuple aquitain, occupant le sud-ouest de la Gaule entre les Pyrénées, l'Océan et la Garonne; 3° le peuple qui, de son propre aveu, s'appelait celte, occupant le centre de la Gaule, entre la Seine, la Garonne et l'Océan; enfin 4° il fallait ajouter la Province narbonnaise au sud de la Gaule, entre les Cévennes, les Pyrénées, les Alpes et la Méditerranée. C'est-à-dire qu'aux premières années de l'ère chrétienne la Celtique n'était plus qu'une partie de la Gaule, sans doute parce que les Celtes, serrés par les Galates ou Belges et par les autres peuples environnants, s'étaient concentrés surtout dans les forêts et les montagnes de l'Auvergne.

Voilà la Gaule, ou plutôt les Gaules, que Rome devait dominer pendant longtemps, et si elle devait en rapprocher les habitants, elle n'a pas pu les confondre en un seul peuple.

A la chute de l'empire romain, les barbares du Nord, puis

2e SÉRIE. - TOME I.

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