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de l'autre. Il existe aussi d'autres instruments moins usités, sifflets en os troués, etc.; mais un des plus curieux est composé d'une tête d'armadillo (tatou) dont les mâchoires sont lutées dans un humérus d'aigle: on souffle par le trou occipital. Ce singulier instrument est suspendu par un rang de perles au cou du musicien. Du reste, la musique ne figure que rarement dans les fêtes, qui ne consistent guère qu'en une forte absorp.. tion de chicha.

Les mariages ne donnent lieu à aucune espèce de cérémonie: quand les familles sont d'accord, le futur va passer une nuit chez la fiancée. Ils restent tout ce temps dans le même hamac sous la surveillance du père de la jeune fille. Puis le lendemain l'homme emmène la femme, et tout est dit.

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Pour les naissances, d'après les différents récits qui m'ont été faits, il y a lieu de penser qu'il n'y a rien de bien fixe. Je pense toutefois que le plus ordinairement les choses se passent ainsi la femme en couches reste dans son hamac, au milieu de sa case, sans qu'on s'occupe beaucoup d'elle, mais ne va pas accoucher dans le bois ou même dans la rivière, comme on me l'a raconté. Cette dernière assertion, si étrange qu'elle paraisse, n'avait, après tout, rien d'invraisemblable, chez un peuple qui se baigne deux ou trois fois par jour, et va satisfaire à tous ses besoins naturels au milieu du torrent. En tous cas, l'accouchement est facile, et presque aussitôt après la mère et l'enfant sont soumis à un bain froid; les suites de couches sont fort simples et la jeune mère se lève dès le lendemain.

La naissance d'un enfant ne donne, pas plus que le mariage, lieu à des cérémonies particulières. C'est à l'époque des premières et surtout des secondes règles, que le père de la jeune fille donne des fêtes, assez semblables du reste à celle que je vais raconter. La seule particularité est le bain que les matrones font prendre de gré ou de force à la jeune fille, et pendant lequel, armées de calebasses, elles lui jettent de l'eau sur la tête presque jusqu'à l'étouffer.

Témoin, pendant mon séjour, d'une fête de chicha, je crois ne pouvoir mieux faire que de transcrire ici les notes prises le jour même.

- Voilà deux jours que toutes les femmes du village sont occupées à fabriquer de la chicha; pas une qui ne travaille à moudre du mais ou à écraser des cannes; enfin ce matin les

provisions sont prêtes, la fête va commencer. Il paraît qu'une mise soignée est de rigueur, car toutes ces dames mettent leurs plus beaux bracelets, leurs colliers les plus distingués, et même, celles qu'on ne voit presque jamais peintes, travaillent avec ardeur à se défigurer. Enfin, vers les neuf heures, tous, revêtus de leurs plus beaux habits, se rendent dans une grande case située à l'extrémité du village. C'est le propriétaire de cet immeuble qui reçoit. Le motif de la fête est la construction d'une case. Disons, en passant, que ces cases, irrégulièrement dispersées, ont leurs parois en palissades de roseaux, leur toiture en feuilles de bananier et leur charpente assemblée avec des lianes. Quand cette charpente est achevée, le propriétaire invite ses amis à une borracheria générale, et le lendemain chacun vient l'aider à poser les feuilles de la toiture. Quel que soit du reste le motif de ces scènes d'ivrognerie, le programme varie peu. Tout le monde s'assied le long des parois, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre ; les grands vases pleins de chicha et recouverts de feuilles sont au milieu, et devant, quelques tabourets pour les notables du pays. Sans aucune cérémonie particulière, les femmes commencent à faire circuler des calebasses pleines, et ce n'est qu'après quelque temps de cet exercice que l'on se met à fumer; voici comment : une sorte de corde ou de rouleau, long de près de 1 mètre, de feuilles de cacao enduites de résines dont je n'ai pas pu savoir la provenance, est allumé à un de ses bouts et brûle assez tranquillement, en répandant une fumée âcre et aromatique. Celui qui fait les honneurs vient successivement vers chacun des invités, approche de ses narines le bout allumé et souffle violemment par l'autre bout, envoyant ainsi un épais nuage de fumée que l'autre reçoit avec une évidente satisfaction en présentant alternativement chaque narine. Cette scène se répète, le fumeur, si on peut lui donner ce nom, changeant de temps à autre, jusqu'à ce que tous les hommes présents aient participé à cette ineffable jouissance.

Pendant ce temps, la chicha ne cesse pas de couler à flots; et l'ivresse marche à grands pas. Ceux qui peuvent encore se tenir sur leurs jambes, se mettent à danser d'une façon assez monotone qui n'est guère qu'une sorte de trépignement sur place; l'homme et la femme se font vis-à-vis, mais sans se toucher. Ce n'est guère que pour cet exercice que les hommes

se coiffent de leurs chapeaux emplumés; encore est-ce, ici du moins, le très-petit nombre qui en possède. La danse dure jusqu'à épuisement complet des liquides; après quoi, laissant dormir les vaincus, ceux qui ont résisté jusqu'au bout, vont demander à l'anisado de finir ce qu'a si bien commencé la chicha.

Je terminerai cette trop longue note par le récit détaillé d'un enterrement auquel j'ai assisté d'un bout à l'autre, désireux de voir si je trouverais dans cette cérémonie les traces d'un culte quelconque dont je n'avais pu saisir la moindre manifestation. Cela exige, à vrai dire, une grande patience; mais les particularités m'ont paru intéressantes à rapporter. Ici encore, je me borne à retranscrire le récit que j'en ai fait le jour même de l'enterrement.

Hier est morte la tante de Mono (le Singe): des cris affreux, ou plutôt d'atroces glapissements poussés par les femmes, ont annoncé ce triste événement et ont duré presque jusqu'à la nuit. Ce matin j'étais à déjeuner, lorsque la reprise de ce chœur funèbre m'a appris que le cortége se mettait en marche. Le corps est simplement posé dans un hamac et recouvert d'étoffe bleue et le hamac attaché par ses araiguées à un fort bâton est porté par deux hommes. Le point où l'on mène la défunte est situé sur la même loma qu'un autre groupe de ranchos funéraires, mais un peu au-dessous. Là, sur la lisière d'une plantation de cannes à sucre est dressé un assez grand rancho qui contient déjà, paraît-il, plusieurs corps de cette même famille. Au moment où j'arrive avec le chef, trois ou quatre hommes sont occupés à couper des feuilles d'héliconia pour renouveler la toiture qui ne dure guère. Le bâton qui supporte le hamac est déposé, reposant à chacun de ses bouts sur un fort pieu fourchu, planté en terre. Une baguette de caña blanca prend assez exactement la longueur du corps, pour la largeur on mesure deux empans, et un homme trace avec son machete la mesure de la fosse et commence à entamer la surface; deux autres vont couper des pieux, qu'ils taillent en pointe, et se mettent à l'aider. De temps en temps un homme, armé d'une calebasse, enlève la terre et la rejette à côté. Avec de pareils moyens d'action, le travail devait durer; et en effet, il ne dura pas moins de quatre heures. Quand la fosse est arrivée à la profondeur voulue, qui est à peu près la hauteur du sein,

on trace de nouveau tout autour une ligne de 10 à 15 centimètres en dehors et on creuse sur 25 à 50 centimètres. Aux deux extrémités on évide encore assez fortement le milieu de cet épaulement pour laisser passer les araignées du hamac. On taille également avec soin la place où se mettront les bâtons destinés à soutenir la toiture. On plante alors profondément, SÉPULTURE DES INDIENS DE PAYA.

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Coupe suivant la ligne ponctueé, de la tombe fermée

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2, où est placé le corps.

LEGENDE. 1, bâtons qui supportent le hamac. -3, bâtons qui supportent la toiture. 4, plafond de la tombe.-5, pieux qui maintiennent les bâtons 1.- 6, plancher sur lequel sont posées les offrandes. -7, excavation où est la lumière.-8, quenouilles brisées. 9, vêtements de la morte.

aux quatre coins de l'épaulement, de forts rondins destinés à maintenir les bâtons des bouts qui supportent le poids du hamac. Quand tout est prêt, on polit un peu les parois de la fosse avec le machete, et l'on jette dedans des morceaux de vieux paniers enflammés pour la sécher. Durant tous ces préparatifs, les hommes (ils étaient au nombre d'une quinzaine) étaient couchés à l'ombre du rancho, ou étendus sur

des feuilles d'héliconia. Pendant que deux travaillaient à la fosse, trois ou quatre tressaient avec l'écorce du caña blanc les petites corbeilles funéraires et un jeune homme, prenant une calebasse et appliquant sur le fond sa main droite ouverte en dessinait le profil avec son couteau. Le reste suçait des morceaux de canne à sucre ou dormait, sans avoir l'air de penser en rien à la morte. Un d'eux même avait apporté son fusil, et s'amusait à tirer les oiseaux qui venaient se percher par là. Pour les femmes, qui étaient environ une douzaine, jeunes et vieilles, et dont trois ou quatre auraient pu passer pour jolies, comme les hommes occupaient le rancho, elles avaient nettoyé à coups de machete une place à l'ombre du bois, avaient allumé un grand feu et organisé une vaste fabrication de chicha qu'elles apportaient de temps en temps à leurs maris ; mais elles ne restaient pas avec eux, avec qui du reste elles ne mangent jamais, et formaient avec quelques enfants un petit groupe parfaitement distinct à cinq ou six pas de nous. Pendant ce temps, les langues allaient bon train, et on ne se gênait pas pour rire à tout propos. Quand le feu allumé dans la fosse s'est éteint, on jette au fond une planche (un morceau de vieille pirogue) qui couvre à peu près exactement toute sa surface et l'on commence à déposer les offrandes. Au bout du côté de la tête sont placées deux assiettes vides en faïence; au pied, un rang de perles rouge sombre (couleur fort à la mode). De chaque côté sont placées deux corbeilles de caña, les unes de grosseur à y loger le poing, d'autres un peu plus grandes. Ces corbeilles, dont la tresse est la même que celle de nos siéges de canne, sont pleines de petits paquets soigneusement pliés dans des morceaux de feuilles de balisier et liés avec un brin d'écorce. Une brassée de mauve sauvage est placée au pied, un machete au milieu; les bracelets et colliers de perles de la défunte également au milieu et l'on finit de couvrir la surface de la planche avec de ces mêmes petits paquets qui contiennent différents vivres, riz, maïs, etc., etc., et qui sont attachés deux par deux, chacun à un bout d'un petit bâton de 20 centimètres environ. Il y en a certainement plus de cent. Les hommes vont alors chercher le corps et l'apportent sur la fosse ; ils dégagent les araignées du pieu de transport et les enfilent nouées par quatre ou cinq aux bâtons transversaux des bouts. On commence par faire le côté de la tête, et pendant que la même

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