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taillés dans le pliocène et le miocène du Portugal (1). Cette communication donna lieu aux mêmes interprétations et aux mêmes objections que la précédente.

A ces documents très-restreints et très-contestés se borne l'état présent du problème relatif aux silex tertiaires travaillés. La question des entailles sur les ossements d'animaux fossiles est notablement plus étudiée.

C'est encore au congrès de Paris, à la suite de la présentation de M. l'abbé Bourgeois, qu'un autre explorateur, M. l'abbé Delaunay, présenta les premières pièces de squelette offrant des incisions (2). C'étaient des os d'halithérium, mais la disposition et la forme de ces entailles ne réussirent pas à entraîner la conviction.

Le second document de même ordre appartient à M. Buck, qui, dans le crag pliocène de Suffolk, recueillit des dents de carcharodon qui paraissaient percées par la main de l'homme (3). Mais une étude minutieuse de M. Hughes a démontré que ces perforations sont dues à des causes naturelles sans doute, l'action de certains mollusques lithophages de la mer pliocène, opinion que M. Hamy a partagée entièrement au congrès de Bruxelles (4).

De son côté, M. Delfortrie, qui avait signalé l'existence de stries et d'entailles trouvées sur les côtes et les vertèbres de certains cétacés fossiles (halithérium et squalodon) dans le miocène supérieur aquitanien, dut bientôt abandonner l'hypothèse de l'action humaine. C'est ainsi qu'il reconnut comme parfaitement applicable à la forme et à la disposition des entailles l'intervention d'une dent pectinée, celle du sargus serratus, dont les restes se retrouvent dans le même terrain miocène (5).

Un autre document produit par M. le baron van Ducker (6) était relatif à des cassures ou incisions, retrouvées cette fois non plus sur des ossements de cétacés fossiles, mais sur des fragments de squelettes de mammifères terrestres dans un gisement célèbre de la Grèce, celui de Pikermi. C'étaient des os d'hipparion, d'antilope, de rhinocéros. On avait cru y reconnaître la

(1) Compte rendu, p. 95.

(2) Compte rendu, p. 74.

(3) Geological Magazine, juin 1872. London.

(4) Voy. Compte rendu au congrès de Bruxelles, loc. cit., p. 109.

(5) Actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, loc. cit., t. XXVII, sept. 1869. (6) Compte rendu de Bruxelles, loc. cit., p. 104,

trace des manœuvres d'un individu intelligent dans le but d'en extraire la moelle; mais l'opinion des savants les plus autorisés en cette question, MM. Capellini, de Mortillet et Gaudry, se prononça énergiquement contre cette interprétation.

Les cassures furent considérées comme l'effet de circonstances purement accidentelles.

Une autre pièce fut présentée à la Société géologique de France par M. Farge (1). C'était un fragment de radius d'halithérium recueilli dans le miocène moyen et portant une série d'entailles qui donnaient, tout d'abord, l'idée d'un travail humain. Mais la trouvaille, dans le même terrain, de dents de carcharodon megaladon, fit abandonner la première supposition, et l'on put aisément reconnaître que ces dents s'adaptaient parfaitement comme forme et comme mode d'action à la nature même des entailles attribuées d'abord au silex.

Enfin, cette année même, au congrès de l'Association française à Clermont, MM. Pomel et Lamotte (2) ont présenté un fragment de fémur de rhinocéros miocène sur lequel on remarquait des écaillures faites sur l'os à l'état frais. Ces écaillures ont été attribuées par l'auteur de la présentation, non à l'homme, mais à des petits rongeurs, des mustéliens, à incisives très-aiguës. M. de Mortillet, tout en repoussant aussi dans ce cas l'intervention de l'homme, est plus disposé à attribuer ces écaillures à un simple effet mécanique accidentel dû à des actions géologiques.

Tel était l'état de la question relative à l'existence de l'homme tertiaire, lorsque le savant géologue de Bologne vint soumettre à l'examen du congrès de Pesth des fragments d'os d'une espèce de baleine fossile appartenant à l'époque pliocène. C'est sur un certain nombre de documents géologiques absolument précis, du reste, qu'il fonde cette première détermination (3).

Ces fragments osseux étaient des débris de côtes, des radius, des corps vertébraux d'une extrême dureté et provenant d'in. dividus à l'état adulte.

Ils présentaient de nombreuses entailles, qui toutes occu

(1) Voy. Bulletin de la Société géologique, 1871, p. 265.

(2) Voy. Compte rendu Association française, session de Clermont, séance du 25 août, p. 659. 1876.

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(5) Voy. Terreni tertiari di una parte del versante settentrionale del Apennino appunti per la geologia della provincia di Bologna. Bologna, 1876. - Sulle balene fossile Toscane. Roma, 1876.- L'huomo pliocenio in Toscana, alla reale Academia dei Lincei. Maggio 1876. Roma.

paient invariablement les faces externes des côtes, les faces latérales des apophyses, la face externe du radius, c'est-à-dire constamment les parties les plus directement exposées aux actions mécaniques venant de l'extérieur. Aucune trace analogue ne se rencontrait à la partie concave des os sur les points soustraits naturellement aux mêmes actions.

La forme de ces lésions est spéciale et caractéristique; c'est une véritable entaille comme pourrait la produire un agent à la fois tranchant et contondant.

Ce premier point établi, il s'en présentait un autre d'une importance au moins égale: c'était de déterminer quels caractères affectaient ces diverses entailles ou incisions.

A cet égard on peut diviser les lésions osseuses, au point de vue de leur forme, en trois groupes. (Voir pl. XI, fig. 1 et 2.) Un premier groupe comprendrait les stries ou entailles simples plus ou moins profondes, mais ayant une direction se rapprochant de la perpendiculaire à l'axe de l'os.

Elles ont les deux lèvres égales, une profondeur uniforme ou un peu plus grande vers le milieu de leur étendue, et résultent incontestablement de l'action de l'extrémité acérée d'un corps piquant et tranchant.

Un second groupe se composerait des entailles obliques, c'est-à-dire de celles qui, dues certainement à l'effet d'une lame à la fois tranchante et contondante, auraient porté latéralement dans un effort brusque et unique.

La forme est ici tout à fait spéciale; c'est un angle dont le sommet répondrait au fond de la plaie et dont les deux côtés sont essentiellement différents. L'un de ces côtés, représentant l'une des lèvres de la plaie, est comme taillé brusquement et à pic, son arête est fine et nette, elle répondrait au choc d'attaque du corps tranchant; la lèvre opposée est, au contraire, plus large, formant un biseau inégal, étalé et rugueux, avec un bord irrégulier. C'est la partie éclatée de l'incision. Cette sorte de blessure doit être attribuée à un choc d'abord direct d'une lame tranchante aussitôt suivi d'un mouvement latéral ayant détaché brusquement une sorte d'éclat.

Dans un troisième groupe se place enfin la catégorie la plus curieuse des entailles, celles qui ont le plus frappé les membres du Congrès de Pesth, et les plus favorables aussi, en apparence au moins, à l'interprétation de M. Capellini. Ce sont les entailles

qui, situées sur le bord supérieur ou inférieur d'une côte ou sur la partie convexe d'un os long, sont manifestement courbes.

Or, une courbure de cette nature a paru impliquer, tout d'abord, une action intentionnelle et intelligente, car on ne pouvait être disposé à attribuer à une cause accidentelle une lésion de cette forme spéciale, c'est-à-dire présentant la trace d'un mouvement tournant. A cette interprétation présentée par le savant professeur et adoptée par plusieurs membres du Congrès, il nous semble qu'on peut opposer l'hypothèse d'un mouvement exécuté, non plus par l'arme assaillante, mais par l'animal assailli, qui, encore vivant au moment de l'attaque, aurait cherché par quelques manœuvres à se dérober à l'agent meurtrier.

Quoi qu'il en soit, il a paru résulter du siége et des dispositions de ces entailles diverses qu'elles ne pouvaient être attribuées qu'à une action calculée et intelligente, dans le but de dépouiller de ses tissus un cétacé échoué, pour en tirer un parti quelconque, c'est-à-dire au silex manié par la main de l'homme.

Quelques objections se produisirent pourtant au sein du congrès de Pesth; on chercha à invoquer l'action de quelques causes accidentelles, des frottements d'un cétacé échoué et ballotté sur des pointes de rocher, et aussi les attaques possibles de certains poissons armés de dents aiguës ou tranchantes. Ces observations, toutefois, se firent très-timidement, tant paraissait ardente et profonde la conviction du savant professeur. L'impression générale qui résulta de cette communication fut que le problème de l'existence de l'homme tertiaire avait fait un grand pas vers la solution conforme aux idées de M. Capellini. Ajoutons que M. Broca, dans le cours de la discussion, parut se rallier, au moins provisoirement, à cette opinion.

Nous n'avons pas, pour notre compte, pris part, au congrès de Pesth, à cette importante discussion; mais, revenu à Paris et ayant compulsé avec quelque attention les pièces de cet intéressant procès, des doutes très-sérieux surgirent dans notre esprit et nous prîmes la résolution de soumettre au contrôle de l'expérience les principales données du problème.

L'idée qui dirigea ces tentatives fut de chercher si dans les espèces de la faune marine comtemporaine des cétacés pliocènes, quelques individus ne seraient pas pourvus d'armes offensives, spéciales, susceptibles de produire, par une action

directe, des lésions comparables à celles qui ont été attribuées au silex humain.

Nous ne nous arrêtâmes pas, bien entendu, aux espèces pourvues d'un système dentaire régulier. Nous avons, plus haut, établi l'invraisemblance d'une telle action, et M. Capellini avait, d'ailleurs, répondu d'avance à cette objection.

Nos recherches devaient donc s'adresser à des animaux pourvus d'armes isolées, uniques, et agissant sans morsure, sans effets doubles, symétriques et opposés.

Dès le début de nos investigations, il nous fut possible de rencontrer un nombre assez considérable d'espèces pourvues d'un rostre occupant la partie antérieure de la tête et pouvant exercer une action tranchante ou contondante, parfois même tranchante et contondante à la fois.

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L'existence, à l'époque pliocène, de ces espèces ne devait être de notre part l'objet d'aucun doute. La paléontologie moderne a établi, en effet, d'une manière incontestable, la permanence de la faune pliocène, qui se retrouve jusqu'aujourd'hui sans modification sensible. M. P. Gervais a démontré (1) - principalement en ce qui concerné les poissons du miocène et du pliocène européen que leurs espèces sont, dans un grand nombre de cas, identiques à celles des mers actuelles. Une autre de nos autorités scientifiques les plus considérables, M. Gaudry, professe la même opinion. Mais il faut ajouter, en outre, que les espèces fossiles de cette période sont nombreuses; citons, par exemple, les différentes variétés d'espadons ou genre xiphias, dont le museau offre un prolongement du vomer et de l'intermaxillaire en forme de lame comprimée transversalement, tranchante des deux côtés et terminée par une pointe aiguë semblable tout à fait à une lame d'épée ou de sabre. Puis viennent le genre eucheiziphius (Rutimeyer), armé d'un rostre arrondi et pointu (il a été trouvé à l'état fossile dans les sables marins pliocènes de Montpellier); le genre cœlorynchus, à rostre arrondi, du tertiaire inférieur; les espèces du genre machæra, à côté desquelles se confondent précisément l'espadon, les histiophorus de Cuvier, à rostre également dentelé et aigu, etc.

Nous avions aussi invoqué l'intervention possible d'une

(1) Zoologie et paléontologie générale, p. 233; 1869.

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