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nobles ou libres doivent être distinguées, sous ce rapport, des tribus soumises ou serves, ainsi que le fait remarquer Barth, dont les études portent principalement sur les Touâreg du Sud. Il dit que « les Imoscharh (au singulier Amoscharh) ont le teint assez clair; » et ailleurs, que d'autres Touâreg ont « la physionomie expressive et le teint blanc (1). » On voit assez par tout cela combien est peu fondée l'opinion de ceux qui, demeurant fidèles à la vieille théorie des climats, comme par exemple MM. Rameau et Pruner-Bey, n'hésitent pas à soutenir que les Touareg « sont en général beaucoup plus foncés en couleur que ne le sont les Kabyles (2). » Quelles que soient les ardeurs de leur soleil, il reste acquis, ce nous semble, qu'ils naissent plus blancs de peau que ces derniers.

Quant aux Kabyles ou Berbères blonds, ou plutôt roux, on les rencontre notamment au Maroc « dans certaines hordes de Schellouhs ou Berbers occidentaux, et chez la plupart des habitants des montagnes d'Er-Rif (les Riffins), » comme le dit Berthelot. Et il rapporte, ainsi que M. d'Avezac, et à peu près dans les mêmes termes, que « c'est peut-être chez les Schellouhs ou chez quelques Touâreks qu'on doit trouver dans sa plus grande pureté, parmi les populations actuelles, la primitive race des Mazygh. » Berthelot pensait aussi que de cette race « sortirent probablement les anciens Gétules (3). » Mais, d'après les remarques qui suivent, sur les caractères physiologiques de ces peuples, il nous paraît que ce seraient les Schellouh ou Chlouah qui devraient être plutôt rattachés aux Kabyles, et les Amazigh Beraber aux Touareg, aux Maziques, aux Gétules et Mélano-Gétules.

D'après Jackson, les Chlouah sont un peuple tout autre que les Beraber, moins fort et moins athlétique. Et, comparant ensuite la langue et les mœurs des anciens Guanches avec celles des Chlouah actuels, il cherche à prouver que ces indigènes, et non les Beraber, sont la souche des Guanches (4). Mais Berthelot est porté à croire, contrairement, que « les Berbers de race

(1) Ouv. cit., t. 1, p. 136-37, t. III, p. 305 et pass.

(2) Dans les Bull. de la Soc. d'anthropol., 1863, t. IV, p. 120-21, cf. p.372-75. et pass.

(3) Berthel., ouv. cit., ub. sup., t. II, part. 1, p. 94, 120.- D'Avez., dans l'Encyclopéd. nouv., art. BERBERS, p. 607; Paris, 1836.

(4) Op. cit., p. 141-42, 230-52.

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blonde furent la souche originaire de ces Guanches au teint blanc et aux cheveux roux, si répandus dans la partie occidentale de l'archipel canarien avant la conquête de ces îles (1).. Or nous avons vu qu'il existait dans la population des Canaries deux types différents, vraisemblablement les deux types radicaux de la souche atlantique; et, de savoir lequel fut ou ne fut pas ce type originaire ou la souche des Guanches, nul ne saurait le dire. Il y a plutôt lieu de penser qu'ils furent dès le principe coexistants et inséparables.

Il est bon de remarquer ici que le chef romain Suétonius Paulinus, lors de son expédition à travers l'Atlas, dans ces mêmes contrées, rapporte, suivant Pline, que près de là se trouvaient des peuples appelés Canariens, Canarii, parce qu'ils mangeaint du chien. Voici le texte : Quippe victum ejus animalis promiscuum his esse, et dividua ferarum viscera. Pline dit aussi que les îles Canaries sont ainsi nommées à cause de leurs grands chiens, a multitudine canum ingentis magnitudinis (2). Ce rapprochement de noms est curieux, en ce qu'il semble indiquer que toutes les populations canariennes peuvent bien avoir été de même origine. Et ce qui ne l'est pas moins, c'est que l'usage de manger des chiens est encore assez général à Tougourt et dans les oasis du Zab ou des Zibân; tandis que le même usage n'existe nullement chez les Touâreg (3). La population sédentaire de ces oasis se compose de Kabyles, et leurs ancêtres ou leurs prédécesseurs dans les mêmes lieux étaient sans doute des Gétules; seulement, ces Gétules, qui furent tour à tour appelés Numides et Mauritaniens, n'habitaient qu'une très-faible portion des immenses régions qui constituaient la grande Gétulie des anciens auteurs. On sait, du reste, que les îles Canaries paraissent se rattacher au système de l'Atlas, dont elles seraient des prolongements, et qu'elles n'auraient pas toujours été séparées du continent africain.

Gråberg di Hemsö décrit avec soin les Berâber (qui s'appellent eux-mêmes Amâzirgh ou Amazigh) et les Schellouh ou Chlouah, les uns et les autres étant aussi, selon lui, senz'alcun dubbio, fort différents. En effet, les premiers sont de stature

(1) Ouv. cit., ub. sup., t. II, part. 1, p. 141.
(2) Pline, lib. V, cap. 1, lib. VI, cap. xxxvi.
(5) Guyon, Voy., etc., cit., p. 242, cf. p. 255.

Duveyrier, ouv. cit., p. 401.

moyenne et de formes belles, athlétiques, nerveux, robustes. La rareté de leur barbe les distingue de tous les autres Amazigh, et particulièrement des Chlouah. Ils sont vifs et spirituels. Leur teint est blanchâtre, carnagione subalbida, et leurs cheveux assez souvent blonds, non di rado biondi, en sorte qu'on les prendrait quelquefois pour des habitants de l'Europe boréale, plutôt que pour des Africains, per paesani dell'Europa boreale, piuttosto che per abitanti dell' Affrica. Les Chlouah, au contraire, surtout au midi de la ville de Maroc, ceux qui vivent dans des cavernes ou des maisons d'argile, diffèrent essentiellement des Berâber, non-seulement par le langage, comme nous l'avons dit plus haut, mais parce qu'ils sont moins robustes, de couleur plus brune, più fosca, et parce qu'ils ont une disposition naturelle pour les arts et les métiers, de beaucoup supérieure à celle des Berâber. A ces traits différentiels comparés ne croirait-on pas reconnaître des Touareg et des Kabyles? L'auteur identifie les Schellouh avec les Massyliens et les Massaisyles de l'ancienne Mauritanie Tingitane. Et il dit que les Amazigh et les Schellouh, qui vivent les uns près des autres, n'ont aucun commerce ensemble, et qu'il n'y a pas un seul exemple d'unions entre eux par mariage. Il fait remarquer, d'ailleurs, que les Amâzigh, improprement appelés Berâber, descendent des plus anciens habitants de toute l'Afrique septentrionale, connus sous les noms de Gétules et MélanoGétules, de Màzigh, Mazisci ou Mazyces, et qui furent les ancêtres de tous ces peuples et de ceux de Sahara (1).

C'est ici le lieu de rappeler ce que dit Pline, savoir que la Tingitane, à la suite des guerres et après l'extinction presque totale des Maures ou Maurusiens, ses principaux habitants, n'était plus occupée que par les Gétules de différentes tribus (2). Nous avons déjà vu (sup., p. 16) que, suivant Grâberg, les Chlouah aussi prétendent être les descendants directs des aborigènes du Maghreb; mais les Amazigh et les Chlouah n'auraient-ils pas raison les uns et les autres? Ce qui paraît hors de doute, c'est qu'ils constituent deux peuples distincts au physique, au moral, par le langage, et qu'ils ne se croisent pas entre eux.

Notons, avant de quitter le Maroc, où l'on signale beaucoup (1) Ouv. cit., p. 69-77, cf. p. 295-97.

(2) Lib. V, cap. 11.

de blonds parmi les indigènes, que les Visigoths d'Espagne possédaient la Mauritanie Tingitane, et qu'il ne serait pas impossible qu'ils y eussent laissé des restes qui se seraient ajoutés aux races blondes anciennes. De même, les Normands avaient devancé les Espagnols dans la conquête des îles Canaries; et peut-être y trouverait-on encore quelques traces de leur type blond.

Pour la Kabylie et tous les lieux occupés par les Kabyles, nous savons que les individus au teint blanc assez clair et aux cheveux blondsou roux s'y rencontrent fréquemment. Déjà, vers la fin du dernier siècle, l'auteur d'un mémoire sur Kollo s'exprimait ainsi : « Les Collins sont en général blonds, grands, robustes (1). » M. Bibesco dit même que, dans le Djerdjera, les Kabyles sont blonds « aussi souvent » que bruns (2). Mais à cet égard nous manquons d'observations précises et recueillies sur divers points. Un renseignement plus récent nous apprend que, dans le Rif et dans l'intérieur du Maroc, chez les Amâzigh et chez les Chlouah, les blonds sont approximativement dans la proportion de 1 sur 10 habitants (3). Le type blond est également juxtaposé au type brun au milieu des Kabyles du Sahara algérien. On s'accorde à reconnaître que, chez les Beni-Mezâb, ce type n'est pas du tout rare ; et Daumas, entre autres, constate qu'ils « sont très-blancs, » que beaucoup d'entre eux « ont les yeux bleus et les cheveux blonds (4). »

Voilà beaucoup de blonds africains. Et néanmoins, en présence de tous ces faits, si l'on réfléchit à la proportion relativement peu élevée de ces blonds actuels, comparativement à ce qu'elle devrait être d'après les témoignages anciens, qui nous montrent chez les vieux Libyens des, opulations considérables de race blonde, on se prend à douter que tous ces types blonds se soient perpétués sans s'altérer, sans se modifier très-notablement; et l'on se demande si les types blonds n'auraient pas une fixité moindre que les types bruns, et si, dans le croisement, les

(1) Dans Poiret, Voy. en Barbarie, lett. XIX, dans la Collect. de voy. faits aut. du monde, etc., t. V, p. 125; Paris, s. d.

(2) Les Kabyles du Djurjura, dans la Revue des deux mondes, ann. 1865, t. LVI, p. 568.

(3) Faidherbe, Sur les Tombeaux mégalith., etc., cit., ub. sup., sér. u, t. ¡V, p. 556-37.

(4) Le Sahara algérien, cit., p. 52.

races blondes ne seraient pas dominées, et peut-être avec le temps plus ou moins absorbées par les races brunes. Nous avons des raisons de penser qu'il en est ainsi, tout au moins pour certains climats, même dans le croisement entre races indigènes ou naturalisées dans les lieux qu'elles habitent. Mais c'est une question dont les développements ne sauraient trouver ici leur place.

Toujours est-il, comme nous l'avons dit en commençant, que l'ancien nom des Maziques, Mágves, etc., Mazices, etc., n'est autre que celui d'Amâzigh (pluriel, Imâzighen), qui signifferait libre, et qui correspond à ceux d'Imôcharh, d'Imôhagh et d'Imajirhen, dont la racine signifie également : il est libre, il est indépendant, etc. (1). Ce nom générique, tous les peuples appelés Berbères se le donnent ou l'acceptent, comme nous les nommons Atlantes, et tout en portant des noms particuliers, qu'il serait également nécessaire de leur conserver. Enfin cette dénomination commune ne serait-elle pas plus spécialement applicable à la race de ces habitants du désert, ainsi qu'aux Amazigh marocains, qui représenteraient en général les Gétules et les Maziques, tandis que les populations kabyles proprement dites et aussi les Chlouah représenteraient plutôt la race des Libyens? C'est ce qui tend à ressortir de cette étude et de nos recherches. On jugera.

VI. CHAOUIA ET BLONDS DE L'AURÈS. — C'est particulièrement dans la zone centrale de la province de Constantine qu'il faut aller chercher les Chaouïa, tribus dont parle déjà Marmol, sous le nom de Chaviens. Marmol nomme aussi des Chaviens « dans les campagnes de Témécen, » et qui proviendraient des « Zénetes (2). » Peyssonnel fait mention de ces mêmes tribus, réfugiées dans les montagnes de l'Aurès, qu'il visitait en 1725. Et voici comment il les caractérise: Ces peuples «ont le sang blanc, de grands cheveux et sont bien faits; ils parlent. une langue particulière, que les Arabes, les Turcs ni les chrétiens ne peuvent entendre s'ils ne l'ont apprise: on l'appelle la langue chauvia. » Leurs mœurs sont aussi très-différentes de celles des populations qui les entourent. Il dit qu'on les

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(1) Duveyrier, ouv. cit., p. 518, 527. Cf. Barth, ouv. cit., t. I, p. 133 et suiv, et pass.

(2) Ouv. cit., t. I, p. 81, 69, cf. t. II, p. 158

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