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C'est une tâche réservée aux linguistes, et qui nous paraît bien difficile; car là où les uns ne voient que des analogies, les autres ne voient que des différences. Et, par exemple, Jackson, qui séjourna seize ans dans le Maroc, et qui vit de près les Chlouah (Schellouh) et les Berâber, dit, après avoir conversé avec des centaines d'entre eux, que leurs deux langages (Shelluh and Berebber) sont si différents, so totally dissimilar, qu'il n'est pas un mot du premier vocabulaire qui ressemble au mot qui lui correspond dans le second (1). Le consul Grâberg di Hemsö dit de même que ces deux peuples ne peuvent s'entendre sans interprète, senza l'ajuto d'un interpetre (2). D'autres auteurs néanmoins ne sont pas de cet avis. Mais si l'on est loin d'être d'accord, c'est qu'il reste beaucoup d'études à faire sur ces idiomes comparés.

Enfin il importe de se souvenir que les caractères de l'écriture berbère (tifinar' ou tefinagh) ont été conservés dans la langue des Touareg, et qu'ils ressemblent beaucoup à ceux des inscriptions libyques (3). Car on sait que cette écriture, si heureusement retrouvée dans le Sahara, a disparu dans le Tell, au point qu'il n'en reste rien. Battue en brèche par les dominations romaine et vandale, elle a été emportée et complétement anéantie par le fanatisme sauvage des conquérants arabes, étouffant ainsi toute trace des connaissances anciennes chez les Kabyles. « Il ne faut donc point s'émerveiller, disait déjà Léon, si les lettres d'Afrique sont perdues, ni pour quelle occasion, depuis neuf cents ans en çà, les Africains usent de lettres arabesques (4). » Les traductions berbères que l'on avait faites du Koran, même écrites avec l'alphabet arabe, ont été détruites comme impies. Et c'est ainsi que tout ce qui s'écrit chez les Kabyles est en langue arabe, la seule qui soit en usage dans les zâouïa (maisons d'école), la seule dans laquelle il soit permis de prier. Le système de numération n'est pas non plus représenté de la même manière chez les Touareg et chez les Kabyles du Tell, ces derniers ayant adopté presque entièrement pour les neuf unités les dénominations arabes, tandis que les premiers ne leur empruntent que les nombres

(1) An Account of the Empire of Marocco, p. 222-23; in-4°, London, 1814. (2) Ouv. cit., p. 77.

(3) Hanoteau, ouv. cit., préf., p. xxvii.

Duveyrier, ouv. cit., p. 586 et suiv. (4) Ouv. cit., t. I, p. 75. — Cf. Venture, Gramm., etc., cit., préf., p. xix.

de six à neuf. Le système numérique est d'ailleurs purement quinaire chez les Rouâgha, les Souâfa (de l'Ouâd-Soûf) et les Châanba, de même que chez les Beni-Mezâb; ce qui porte M. Reinaud à penser que tel était le système primitif de numération des indigènes (1).

Nous avons donné quelques raisons qui tendent singulièrement, selon nous, à faire établir une distinction de race entre les Kabyles et les Touâreg. Revenons maintenant sur les populations aux cheveux blonds et au teint blanc que l'on a de toute antiquité signalées dans les mêmes lieux, et auxquelles on n'avait pas fait une assez large part.

IV. RACES BLONDES ANCIENNES.-La grande inscription de Karnak nous a fait connaître qu'une partie au moins des peuples libyens était de race blonde. Ce témoignage est sans appel, et il remonte aussi haut que possible dans le passé. Il n'est pas dit dans la version d'Isidore de Séville que les Gètes ou Gétules fussent blonds, mais dans le sens de cette version cela n'est pas douteux. Quant au Périple de Scylax, on a vu qu'il appelle Libyens les hommes beaux et blonds qui peuplaient les côtes voisines de la Petite-Syrte. Quels étaient ces Libyens? Tout près de là se trouvait l'île Meninx, nommée aujourd'hui Djerba (Gerbeh), où croissait le lotos, et que Strabon, après Ératosthène, considère comme la terre des Lotophages, mentionnée par Homère, et dont les fruits merveilleux faisaient oublier aux compagnons d'Ulysse le retour dans la patrie (2). Au douzième siècle, Édrisi disait de cette île qu'elle << est peuplée de Berbers, généralement bruns de couleur, enclins au mal, et qui ne parlent aucune autre langue que le berber; » puis, en son temps, Marmol nous apprend que ces Berbères parlaient « un Arabe corrompu (3). » Mais ce qui est remarquable, c'est que, de nos jours, ce langage berbère est

(1) Notices sur les Dictionn. géograph. arabes et sur le syst. prim. de la numérat., etc., p. 45 et suiv.; broch., Paris, 1861. Cf. Pruner-Bey, Sur les syst. primitifs, etc., dans les Bull. de la Soc. d'anthropol., 1861, t. II, p. 457

et suiv.

(2) Strab., lib. XVII, cap. 1, § 17; édit. fr., 1. V, p. 478. - Hom., Odyss., lib. IX, v. 91 et seq. Cf. Hérodote, lib. IV, cap. CLXXVII. Pline, lib. V, cap. vII. (5) Édr., ouv. cit., t. I, p. 281.- Marm., ouv. cit., t. II, p. 540.

<< spécialement le dialecte schellouhh, ainsi nommé à Gerbeh, au rapport de M. Delaporte et de M. Flachenacker, aussi bien que dans les montagnes de Marok (1); » et c'est ensuite que les populations qui portent ce nom dans le Maroc, et qui parlent ce dialecte, sont en partie blondes, comme nous le verrons.

Il est connu d'ailleurs que les anciens habitants des îles Fortunées, les vaillants Guanches, appartenaient à deux races ou deux types distincts, par la stature, la forme de la tête, par les mœurs, et notamment par la couleur de la chevelure, les uns étant bruns et les autres roux ou blonds. On sait que ces anciens Guanches, qui revivent en partie dans les Canariens actuels, et dont il reste encore, selon Golberry, «< un petit nombre de familles pauvres et presque ignorées » dans le pays (2), parlaient des dialectes berbères, et qu'ils ne sont point séparés ethniquement des peuples continentaux, habitants de l'Atlas (5). Déjà l'un des plus anciens récits que l'on connaisse sur ces îles, celui des Maghrourin, partis de Lisbonne, avant le douzième siècle, constate que dans l'une d'elles, qui doit être celle de Lancerote, les aventureux navigateurs « virent des hommes de haute stature, de couleur rousse et basanée, portant des cheveux longs (littéral. non crépus); et des femmes qui étaient d'une rare beauté (4). » D'autre part, au milieu du quatorzième siècle, lors de l'expédition envoyée dans ces parages sous Alphonse IV, de Portugal, le narrateur dit des indigènes : Et crines habent longos et flavos usquè ad umbilicum ferè, et cum his teguntur. Les chroniqueurs qui viennent ensuite et les historiens contemporains de la conquête, analysés par Berthelot, font des observations semblables (5). De là passons au désert.

Voici dans quels termes Procope rapporte le témoignage du chef indigène Orthaïas dont nous avons déjà parlé : « Ce prince m'a asseuré plusieurs fois qu'au delà des terres qui luy appartenoient (à l'ouest de l'Aurasius), il y avoit de vastes solitudes,

(1) D'Avezac, lles de l'Afrique, part. 1, dans l'Univers, p. 35; Paris, 1848. Cf. Malte-Brun, Précis de géograph. univ., t. V, p. 541; in-4o, Paris, 1840-1842. (2) Voy. (en 1785-87), dans la collect. Walckenaer, Hist. génér. des voy., t. V, p. 320; Paris, 1826.

(3) Berthelot, Mém. sur les Guanches, dans les Mém. de la Soc. ethnolog., t. II, part. 1, p. 97 et suiv., 111 et suiv.; Paris, 1841-1845.

(4) Édrisi, ouv. cit., t. II, p. 26-27.

(5) Ouv. cit., ub. sup., t. II, part. 1, p. 121-23, t. I, part. 1, p. 131-52, 172 et pass. — Cf. d'Avezac, ouv. cit., part. 11, ub. sup., p. 18-19, 158.

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au bout desquelles il y avoit des peuples qui n'estoient pas noirs comme les Maures, » - ὥσπερ οἱ Μαυρούσιοι μελανόχροοι, «mais of qui avoient le teint blanc et les cheveux blonds, »λλæ λɛuxoí άλλα λευκοί τε λίαν τὰ σώματα καὶ τὰς κόρας ξανθοί (1). Etaient-ce la des descendants des Gétules? Était-ce la postérité des Leuco-Éthiopiens de Pline et de Ptolémée, ainsi que paraît le croire M. Broca (2)? Mais, alors que Pline les place au loin, par delà les Gétules, Ptolémée indique leur position beaucoup plus loin encore, au pied du mont Ryssadius, près de l'Océan, nous l'avons dit (sup., p. 23). Aussi a-t-on considéré ces derniers Leuco-Éthiopiens comme étant «< clairement » les ancêtres des Foulah (3). Ne se peut-il d'ailleurs que les Éthiopiens blancs et les Gétules noirs n'aient été en divers lieux que des populations plus ou moins mêlées, comme cela se voit encore pour certains Touâreg? Quoi qu'il en soit, ces nomades blancs et blonds dont parle Procope, antérieurs aux Vandales, et probablement très-anciens occupants, erraient dans des déserts comme nos Touareg, auxquels ils ressemblaient au moins par la couleur du tégument; et l'on pourrait croire que ceux-ci sont de leur descendance. Desmoulins avait émis ce doute; et pour lui les Touareg n'étaient pas seulement blancs, ils avaient les cheveux blonds (4). Mais il est vrai que l'on ne signale plus guère cette couleur des cheveux chez les Touareg actuels, tandis qu'elle est assez fréquente chez les Kabyles.

Hornemann, à la fin

V. TOUAREG BLancs et Kabyles blonds. du dernier siècle, appelle les Touareg «la nation la plus intéressante de l'Afrique. » Il observe que, divisés en plusieurs tribus, parlant la même langue, « leur couleur et leur manière de vivre semblent prouver que leur origine est très-différente. » Il décrit ceux de la nation des « Kollouvy » (Kêl-Ouï), selon lui, de la tribu des « Hhagarâ, » et il dit que « les tribus occidentales sont blanches, autant que le permettent le climat et leur manière de vivre. » Il ajoute : « Les kollouvyens qui attei

(1) Op. cit., lib. II, cap. x; trad. fr. cit., p. 329.

(2) Dans les Bull. de la Soc. d'anthropol., 1860, t. I, p. 162-64.

(3) Rennell, Observ. sur la géograph. de l'Afrique, dans Mungo Park, Voy. dans l'intér. de l'Afrique, trad. fr., t. II, p. 349-50; Paris, an VIII.

(4) Hist. nat. des races humaines, p. 172; Paris, 1826.

gnirent la région d'Asben, firent la conquête d'Aghadès et se mêlèrent avec d'autres nations. Ils sont de différentes couleurs,... » les uns noirs, sans ressembler aux Nègres, d'autres jaunâtres, comme les Arabes. « Les touâryks ne sont pas tous mahométans. Dans le voisinage du Soùdân et du Tomboctoù, habitent les tagama, qui sont blancs et idolâtres. » Plus loin, il dit : « Plusieurs des touâryks, voisins de Tomboctou, sont blancs. Une autre de leurs tribus, établie près du Bornoù, est de la même couleur, ainsi que les arabes de la côte septentrionale de l'Afrique (1). »

Pour l'Anglais Lyon, les Touareg sont la plus belle race d'hommes qu'il ait jamais vue. « Ils sont blancs, dit-il, car ce n'est qu'à la chaleur du climat qu'ils habitent, qu'ils doivent un teint fortement basané, et les parties de leur corps qui sont constamment couvertes sont aussi blanches que la peau de bien des Européens (2). » D'après Daumas, les Touareg « sont grands, forts, minces et de couleur blanche, même ceux qui campent sous Timbek'tou. » Il ajoute que leurs femmes «< sont très-belles et très-blanches: blanches comme une chrétienne, » et que « quelques-unes ont les yeux bleus, » ce qui est fort admiré (3). M. Bonnafont se borne à dire qu'ils sont « de sang blanc, » et qu'ils «se gardent soigneusement de toute alliance avec la race nègre, qu'ils méprisent souverainement (4). » Il est incontestable néanmoins, d'après ce que l'on en sait avec certitude, que si les Touareg du Nord sont relativement blancs, leur teint est plus ou moins foncé dans le Sud, par suite de fréquents croisements avec les Négresses. « Blanche est leur peau dans l'enfance, dit M. Duveyrier; mais le soleil ne tarde pas à lui donner la teinte bronzée spéciale aux habitants des tropiques. Chez les serfs, une teinte plus foncée de la peau est souvent due au mélange du sang noir avec le sang blanc... Quelques-uns ont des yeux bleus, mais cette nuance se rencontre peu fréquemment (5). » Il paraît en effet que les tribus

(1) Ouv. cit., part. 1, p. 171, 150-52, 154, 170.

(2) Ouv. cit., ub. sup., p. 112-13.

(5) Ouv. cit., p. 324, 326-27. — Cf. Id., la Grande Kabylie, p 20; Paris, 1847. - Daumas et Ausone de Chancel, Le Grand Désert, p. 126, 134, 139-40; Paris, 1861.

(4) Ouv. cit., ub. sup., t. IV, p. 115.

(5) Ouv. cit., p. 382.

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