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veux noirs et lisses. On a remarqué que les trois chefs touareg venus à Paris, en 1863, avaient le crâne « presque arrondi (1). » Leurs mains sont petites et bien faites. M. Duveyrier dit que leurs pieds seraient également beaux, « si le gros orteil, effet ou cause de la chaussure employée, ne faisait une saillie désagréable à l'œil (2). » Leur teint est naturellement blanc, plus ou moins hâlé. Leurs femmes sont belles.

Pour les Kabyles, ils ont une taille moyenne, des formes trapues, musculeuses et sèches, l'allure simple et négligée; un front étroit et peu découvert, les arcades sourcilières proéminentes; leur type crânien est en général faiblement dolichocéphale. On a dit que leurs os du crâne sont épais, que le frontal est ordinairement rugueux à sa surface (5). Ils ont des yeux grands, bruns, quelquefois roux ou gris, le nez moyen, épaté, déprimé à sa racine, arrondi par le bout; les pommettes saillantes, les oreilles larges, les lèvres épaisses, la barbe fournie en avant, rare en arrière; les cheveux noirs, châtains ou roux; le contour du visage plus arrondi qu'allongé; la jambe bien faite, les pieds de volume moyen, mais souvent mal conformés; le teint plus ou moins brun, parfois d'un ton relativement clair. Leurs femmes en général ne sauraient prétendre à la beauté.

(1) Bonnafont, Notice sur les trois chefs Touaregs, etc., dans les Bull, de la Soc. d'anthropol., 1863, t. IV, p. 106-107.

(2) Ouv. cit., p. 382.

(3) Bodichon, Considérat. sur l'Algérie, p. 78-79; Paris, 1845.

Pour notre part, nous avons plusieurs fois recueilli dans les cimetières kabyles (en même temps que des humérus perforés à la fossette olécrânienne) des os du crâne très-épais et très-lourds. Et nous nous sommes demandé si ce ne serait point là un caractère ethnique. On sait que beaucoup de crânes très-anciens présentent cette particularité, de même que le crâne en général des peuples incultes et fortement constitués. Serres avait fait une observation de ce genre sur d'anciens crânes du type gall trouvés d'une épaisseur extraordinaire, sans qu'il en fût ainsi pour d'autres du type kymri (Sur le monum. et les ossem. celt., découverts à Meudon, etc., dans les Compt. rend. hebd. de l'Acad. des scienc., ann. 1845, t. XXI, p. 618). Cela rappelle Hérodote signalant la différence entre les crânes des Perses et ceux des Égyptiens, les premiers tendres et les autres durs (lib. III, cap. xu). Mais il ne faut pas oublier cette remarque de Larrey, savoir: que les os de la tête des Arabes « sont plus minces et à la fois plus denses... que chez les autres peuples. » Et il ait que si l'on pouvait mesurer la pesanteur spécifique de ces os des vrais Arabes, a cette pesanteur serait assurément reconnue plus grande, toutes choses égales d'ailleurs, que chez les individus des autres nations...» (Relat. méd. de camp. et voyages, p. 281, 283; Paris, 1841.) Il y a là tout un champ de recherches à faire, et dont la science profiterait.

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Le Targui (singulier de Touâreg) est grave au moral comme au physique, tandis que le Kabyle est remarquable par sa mobilité de corps et d'esprit. Le premier est fier à l'excès, et non moins superstitieux, car il est couvert d'amulettes. Il ne vous baise jamais la main «< comme les autres musulmans, dit le voyageur Lyon, pas même celle du sultan (1). » Il est essentiellement nomade et pasteur de ses maigres troupeaux, apte aux voyages, infatigable sur son rapide chameau (mahari); tandis que le second, excellent agriculteur, est fortement et instinctivement lié au sol, et se construit en maçonnerie des demeures stables. Les Touâreg ne connaissent aucune industrie, et n'ont d'autres professions que de trafiquer, de guider les caravanes, surtout de les piller, si l'on en croit les témoignages recueillis par Daumas, mais auxquels on oppose des témoignages contraires (2). « C'est par eux, suivant M. Carette, que le Nord de l'Afrique est approvisionné d'esclaves (3). » Les Kabyles sont aussi colporteurs et commerçants par caractère et par nécessité, mais ils sont tout particulièrement artisans et industriels; ils ont un goût inné pour le travail des métaux comme pour celui de la terre. Ils greffent les arbres fruitiers, fabriquent leurs étoffes, leurs instruments aratoires, leurs armes, leurs munitions de guerre; ils ont des moulins, des pressoirs, des forges, des usines.

Les Touareg passent pour être rusés, patients, mais sans autre loi que leur intérêt; le Kabyle est un type d'honneur et de loyauté, un hôte sûr, un allié d'une fidélité peu commune. Chez ceux-là, l'homme demeure monogame, et se marie rarement avant trente ans, la femme avant vingt ans, et celle-ci dispose de sa main. Les Kabyles se marient parfois dès l'âge de quatorze à quinze ans avec des filles de dix ans, qui sont vendues par leurs parents; la polygamie n'est point exclue de leurs mœurs. Aussi les femmes sont-elles beaucoup plus considérées chez les premiers que chez les seconds. La femme targuie sait presque toujours lire, écrire, et paraît

(1) Voy. dans l'intér. de l'Afrique septentr., en 1818-1820, dans la Collect, des voy. mod. trad. de l'angl., t. XIX, p. 115; Paris, 1822.

(2) Ouv. cit., p. 327-30, cf. 5. p.

Duveyrier, ouv. cit., p. 583-85, 453.

Hanoteau, ouv. cit., préf., p. xxn−XXII,

(3) Rech. sur la géograph. et le comm. de l'Algérie mérid., liv. I, p. 107, dans l'Explor. scientif. de l'Algérie; Paris, 1844.

même plus instruite que l'homme, dont elle est au moins l'égale (1). Nous voyons aussi que la culture de l'esprit, les notions sur les sciences, sont en général moins négligées chez les Touareg que chez les Kabyles.

Chose singulière, alors que les Kabyles sont méprisés par les Arabes, qui ne daignent pas apprendre leur langue, et qui les traitent véritablement en peuple conquis, les Touareg, au contraire, méprisent les Arabes, « dont ils se disent les seigneurs (2). » D'ailleurs, la forme du gouvernement, sorte de monarchie féodale et héréditaire, dans laquelle le pouvoir se transmet ordinairement par les femmes, au fils aîné de la sœur aînée du chef (3), est très-aristocratique chez les Touareg, tandis que l'organisation sociale est égalitaire et toute républicaine chez les Kabyles. Là les tribus se divisent en tribus nobles ou ihaggaren et tribus vassales, connues sous le nom d'imr'ad (pluriel d'amr'id) (4); ici l'esclavage n'existe pas.

Puis, sans parler du vêtement comparé, des armes, de la manière de combattre, chez les uns et chez les autres ; sans parler d'autres traits de mœurs, comme la pratique de l'inoculation, inconnue ou peu usitée dans le Sahara, et si répandue de temps immémorial en tout pays kabyle (5), si nous ajoutons que le Targui porte de grandes moustaches à la manière turque, laisse croître une touffe de cheveux du front à la nuque, qu'il porte un anneau de pierre au bras, un poignard d'avant-bras, un grand anneau d'oreille, dans sa jeunesse ; qu'il fume, prise ou chique beaucoup (6), usages que nous ne voyons pas régner de même chez les Kabyles, nous aurons constaté qu'il existe à tous ces égards entre les deux nations des différences réellement considérables.

Enfin l'on sait que les Touareg sont aussi les porteurs du lithâm (El-Moldthemin, les voilés), nom que leur ont donné les Arabes.

(1) Duveyrier, ouv. cit., p. 359,388, 420 et suiv.- Hanoteau, ouv. cit., préf., p. xix. (2) Daumas, ouv. cit., p. 328, cf. p. 324.-Cf. Hanoteau, ouv. cit., préf., p. xx. (3) Duveyrier, ouv. cit., p. 393-97.- Cf. Barth, Voy. et Découv. dans l'Afr. septentr. et centrale, 1849-55, trad. fr. par P. Ithier, t. I, p. 205; Paris, 1860-1861.Notre Essai sur les croisem. ethniques, dans les Mém. de la Société d'anthrop., t. II, p. 287 et suiv.

(4) Hanoteau, ouv. cit., préf., p. xiv-xv. et suiv. Barth, ouv. cit., t. I, p. 157-58. (5) Duveyrier, ouv. cit., p. 434-35. 1. IV, p. 111.

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Cf. Duveyrier, ouv. cit., p. 529, 334

Cf. Bonnafont, ouv. cit., ub. sup.,

Guyon, Voy. d'Alger aux Ziban, p. 243-44; Alger, 1852.

(6) Duveyrier, ouv. cit., p. 592-93, 432, 412-13.

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D'après Ibn-Khaldoun, ils proviennent des tribus de « Guedala, de Lemtouna, de Messoufa, de Outzila, de Targa (d'où Touâreg), de Zegaoua et de Lamta. » « Ces peuples, ajoute-t-il, sont les frères des Sanhadja (1). » Et c'est ainsi qu'au temps de Jean Léon, suivi par Marmol, et qui rapporte ce qu'il a vu, les Africains du désert de Libye ou Sahara, «par les Latins appelés Numidi », étaient les cinq peuples : « Zénaga, Guenziga, Terga, Lemta et Berdeva. » Léon dit qu'ils n'ont d'autre monture que des chameaux; qu'«ils portent en tête un linge noir avec partie duquel ils se couvrent le visage, cachant toutes les parties d'icelui, hormis les yeux, et vont ainsi accoutrés journellement; » puis, que « leurs femmes sont fort charnues, mais aucunement brunes, ayant les parties de derrière fort pleines et moufflettes,» ainsi que les mamelles (2). Voilà bien nos Touareg.

Mais cette coutume du voile, qu'ils ne quittent jamais, ni pour manger ni pour dormir, caractérise-t-elle exclusivement les Touareg? M. Duveyrier dit que si, par imitation, les chefs arabes et autres des contrées voisines, les gens d'In-Sâlah, de Ghadâmès, de Rhât, les Arabes nomades du Touât et les Teboû, ont aussi << la figure voilée ou couverte, les Touareg sont réellement les seuls chez qui l'usage du voile est général et passé dans les mœurs (5). » Toutefois cet usage n'existait pas seulement, bien des siècles avant l'islamisme, chez les ancêtres de ces mêmes peuples (les Sanhadja, selon Ibn-Khaldoun) et dans ces mêmes contrées, mais encore en Arabie. Caussin de Perceval parle d'Arabes. anciens qui cachaient leur figure sous le litham, « mouchoir dont les Bédouins se couvrent la tête, et dont ils ramènent un bout sur le bas de leur visage, de manière à ne laisser paraître que leurs yeux. » Et il raconte que Mahomet allant à la Mekke, et ayant été arrêté par les Mekkois, on lui dépêcha Orwa, qui « trouva le prophète entouré de ses principaux disciples, dont la plupart avaient la figure cachée sous le lithâm (4). »

Tous ces peuples berbères sont unis, dit-on, par les liens d'un langage commun, les dialectes de la langue berbère :

(1) Ouv. cit., t. II, p. 64-65 et note, cf. t. I, p. 212, 116, note.

(2) Léon, ouv. cit., t. I, p. 48-49, 52-55, cf. p. 4, 9, t. II, p. 135 et suiv.Marm., ouv. cit., t. I, p. 73-74, t. III, p. 45 et suiv.

(5) Ouv. cit., p. 591.

(4) Ouv. cit., t. III, p. 179, t. II, p. 554.

voilà le grand mot, et, si nous ne nous trompons, l'argument souverain. Nous avons vu (sup., p. 19) ce que disent Léon et Marmol de la langue des indigènes. D'un autre côté, Venture, qui composait son livre en 1788, disait encore que la langue berbère est parlée depuis les montagnes de Sous, près de l'Océan, jusque dans le royaume de Tunis, et que « cette langue, à quelque petite différence près, est aussi celle que l'on parle dans l'île de Girbéh, à Monastyr et dans la plupart des bourgades répandues dans le Ssahhrà, entr'autres dans celles de la tribu des Bény mozàb (1). » Néanmoins les dialectes de la langue commune sont loin de se ressembler tous. Et d'ailleurs on sait assez que l'unité même du langage ne prouverait nullement l'unité de filiation ethnique. C'est ainsi que nous avons vu des Berbères adopter l'arabe, et que des Arabes ont adopté le berbère, au point de méconnaître leur propre origine. Puis, tous les vestiges des peuples qui sont venus s'abattre à diverses époques sur le Maghreb, n'ont-ils pas oublié leur langue primitive, pour parler aujourd'hui l'un ou l'autre de ces deux idiomes?

Les principaux dialectes dits berbères sont le kabyle, le temahaq et le tamachek' (targuia du Nord et du Sud), le chaouïa, le zenatïa, le mezâbïa, le chlouah ou schelha et le tamazigh ou tamȧzirgh (au Maroc), tous plus ou moins pénétrés de termes arabes. Tel est notamment le kabyle algérien, tombé presque à l'état de patois (2). C'est d'ailleurs un caractère propre à la langue arabe de s'imposer dans le contact avec les autres idiomes, et de les déposséder. Au contraire, ainsi que le fait remarquer M. Hanoteau, le tamachek' est le seul de tous les dialectes berbères « qui soit resté à peu près pur de mélange avec l'arabe (3). » Cette observation est fort importante.

Nous ne saurions entrer dans la discussion des titres à l'identité de famille, que présentent entre eux ces dialectes.

(1) Gramm. et Diclion, abr. de la langue berbère, rev. par Am. Jaubert, préf., p. xvi¡; in-4o, Paris, 1844; — Id., Notice sur la langue berbère, dans le Voy. de Hornemann dans l'Afriq. septentrion., trad. fr. annot. par Langlès, part. 1, p. 413; Paris, an XI. Cf. Marsden, Observat. sur la langue de Syouah, ibid., p. 405

et suiv.

(2) Maury, la Terre et l'Homme, p. 473, 480; Paris, 1857.

(3) Ouv. cit., préf., p. xxvII., cf. p. xxi.

2e SERIE.-T. I.

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