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Ligures, les Ibères et les Basques sembleraient plutôt y avoir formé des peuplades, des colonies isolées.

D'ailleurs, tout en regardant ce rapprochement ethnique des Ligures, des Ibères et des Basques brachycéphales comme étant assez admissible, il importe toutefois de faire remarquer qu'outre certaine diversité anthropologique notée par le baron de Belloguet, entre les descendants actuels des Ligures et ceux des Ibères (1), quelques passages d'auteurs anciens semblent révéler une différence ethnique entre ces deux peuples. En effet, Plutarque parle de Ligures, Atyvstvo, mêlés aux Ibères, "Iêŋpes, de la côte méditerranéenne (2), et Scylax de Caryande, dans la région de notre littoral située à l'ouest du Rhône, a grand soin de distinguer également les Ligures et les Ibères, Λίγυες καὶ Ἴβηρες, qu'il dit être mêlés (3). Enfin, ainsi que me le faisait remarquer M. d'Avezac, Sénèque, en constatant qu'en Corse, île peuplée de Ligures et d'Hispaniens, on retrouve des coutumes, des vêtements et voire même certains mots témoignant d'une provenance cantabre, bien que la langue ait été modifiée par l'immixtion de celles des Grecs et des Ligures (4), semble autoriser à penser que la langue ligure différait notablement de la langue ibérienne des Cantabres; remarque qui a d'autant plus d'importance que, suivant les numismates ibériens ou celtibériens, entre autres M. Boudard, l'adoption des caractères dits celtibériens ne paraît s'être étendue qu'à des peuples ibériens ou celtibériens de la péninsule hispanique et à quelques peuplades de la partie méridionale ou ibérienne de notre IberoLigurie méditerranéenne, mais nullement aux peuplades de la Celto-Ligurie et de la Ligurie italienne (5).

Ainsi donc, quoique assez vraisemblable, la parenté ethnique des Ligures et des Ibères est encore insuffisamment dé

montrée.

Reste encore à examiner l'hypothèse de l'origine celtique des Ligures.

(1) Roget de Belloguet, Ethnogénie gauloise, p. 217,310, conclusion 7, et ailleurs. (2) Plutarque, Vie de Paul Emile, § vi (passage rapporté précédemment). (3) Scylax, Périple, § ш, p. 17, coll. Didot (passage précédemment rapporté). (4) Transierunt deinde Ligures in eam, transierunt et Hispani: quod ex similitudine ritus apparet. Eadem enim tegumenta capitum, idemque genus calceamenti, quod Cantabris est, et verba quædam : nam totus sermo, conversatione Græcorum Ligurumque a patrio descivit. (Sénèque, Consolatio ad Helviam, cap. vi, p. 71, coll. Nisard, éd. Dubochet.)

(5) P.-A. Boudard, Numismatique ibérienne, carte, Paris, 1859, Leleux.

Nicolas Fréret, l'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions, considérait comme Celtes les Ligures ainsi que les Ombres, dont les noms auraient eu en celtique la signification d'homme de mer, LLY-GOUR, et de noble ou vaillant, AMBRA (1).

En faveur du rapprochement des Ombres et des Ligures, peutêtre doit-on rappeler que Plutarque remarque que les Ligures de l'armée que Marius conduisait contre les Ambrons, alliés des Teutons, se donnaient eux-mêmes le nom ethnique d'Ambrons (2); et pareillement, que Pline considère les Caturiges, anciens habitants des environs d'Embrun dans les hautes Alpes, comme des Insubres exilés, comme les ancêtres des Ligures Vagiens des alentours du mont Viso (3). Mais ces Ombres, 'Op.spot, dont d'ailleurs la parenté avec les Ambrons, "Ap.&poves, et surtout avec les Insubres, 'Ivocúpot, venus en partie des Gaules, est insuffisamment démontrée, paraîtraient différer anthropologiquement des Ligures. Quelques crânes d'anciens Ombres recueillis près de Bologne, l'ancienne Felsina, ont permis à M. Calori de constater que, quoique brachycéphales

(1) Fréret, Œuvres complètes, complétées et rédigées par de Septchênes, t. IV. p. 201, Recherches sur l'origine et l'ancienne histoire des peuples d'Italie : colonies celtiques, etc., Paris, an VII (1799).

Depuis Fréret, l'origine celtique des Ombres a été admise par beaucoup d'ethnographes, entre autres par Amédée Thierry, qu'on a vu néanmoins regarder les Ligures comme étant de race ibérienne (a). Cependant ces Ombres, Oupci, Umbri, dont les Vilombres, Ovikupci, semblent devoir être rapprochés ethnographiquement plutôt que les Insubres, Insubri, İvocú¤pa (b), de provenance au moins en partie transalpine (c), auraient été considérés, dit Pline, comme le plus ancien peuple de l'Italie, comme un peuple ayant survécu à des inondations diluviennes (d).

(2) Σφὰς γὰρ αὐτοὺς οὕτως (Λαβρωνες) ὀνομάζουσι κατὰ γένος Λίγυες, Plutarque, Marius, § xxi, texte et trad. de Dohner, p. 496, coll. Didot.

(5) Pline, Hist. nat., 1. III, chap. vi, § 1, p. 161, chap. xx, § 3, p. 174, et chap. xx, p. 175, texte et trad. lat. de Littré, coll. Nísard, éd. Dubochet (trois passages précédemment rapportés).

(a) Am. Thierry, Histoire des Gaulois, Introduction et liv. 1, ch. 1.

(δ) ἐνσούβρων, οἳ εἰσὶν ἀπὸ δύσεω; Κενομανών : Νουαρία, Μεδιολάνιον, Κώμον, Τίκινον, ὀμβρῶν πόλεις, οἳ εἰσὶν ὑπὲρ τοὺς Τούσκους : Πίτινον ; ἐγούιον, Αἰσίς,...

Ουϊλομβρῶν, οἱ εἰσὶν ἀνατολικώτεροι Ομβρῶν ; Άρνα, Ισπελον, Τοῦδερ, . . . Σπωλητίον, . . . Ναρνία. Piolémée, Géog., I. III, cap. 1, p. 178-182, texte et trad. latine de Wilberg. 1838, Essendiæ. Ομβρικοὶ : μετὰ δὲ Σαννίτας ἔθνος ἐστὶν Ομβρικοὶ, καὶ πόλις ἐν αὐτῇ Αγκών ἐστι. Scylas, Périple, $ 16, p. 24.

(c) Tite Live, Histoire, .V, cap. xxxiv, t. III, p. 132-4, texte et trad. de Dureau de Lamalle (passage précédemment rapporté).

(d) Umbri eos (Siculos et Liburnos) expulere, hos Etruria, hanc Galli: Umbrorum gens antiquissima Italiæ existimatur, ut quos Ombrios a Græcis putent dictos, quod inundatione terrarum imbribus superfuissent. (Pline, Hist. nat, I. III, cap. xix, coll. Nisard, p. 173, éd. Dubochet.)

comme ces derniers, ils sembleraient plutôt appartenir au type illyrien-albanais, à la race pélasgo-épirote (1).

Quant à l'origine celtique des Ligures, admise par Fréret, M. Broca vient de lui fournir un puissant argument anthropologique, en signalant une certaine analogie de conformation céphalique entre les habitants brachycéphales de la partie de notre pays qui correspond à l'ancienne Celtique, particulièrement de l'Auvergne et de la basse Bretagne, où se parlent encore les dialectes celtiques (2), et les Ligures antérieurement décrits, très-brachycéphales. Toutefois, à l'appui de la dualité ethnique des Ligures et des Celtes, on peut invoquer d'assez nombreux témoignages d'auteurs anciens. Strabon a bien soin de distinquer les Celtes des Ligures, lorsqu'en parlant d'une partie de notre littoral méditerranéen il dit que les habitants, après s'être appelés Ligures, prirent le nom de Celto-Ligures (3), double nom qui semble révéler l'immixtion en cette région d'un nouvel élément ethnique, de l'élément celtique occupant le centre de notre pays. Le même auteur, en parlant des peuplades des Alpes, indique d'une manière plus explicite encore cette dualité ethnique, lorsqu'il remarque que ces peuplades ligures et celtiques sont de races différentes, bien que les premières aient adopté le genre de vie des secondes (4). Enfin, Festus Avienus semble également différencier complétement les Ligures des

(1) Luigi Calori, Della stirpe che ha populata l'antiche necropoli alla Certosa di Bologna. Bologna, 1873, in-folio. Compte rendu de Broca dans Revue d'anthrop, t. III, p. 297, 1874.

(2) Broca, La race celtique ancienne et moderne: Arvernes et Armoricains, Auvergnals et Bas-Bretons (Revue d'anthrop., t. II, p. 577-628, 1873).

Ainsi que je l'ai exprimé déjà (a), je serais très-disposé à admettre que, malgré certaine analogie de conformation brachycéphalique, les descendants des Celtes different de ceux des Ligures par une brachycéphalie moindre, par une capacité crânienne plus considérable et par quelques autres caractères anthropologiques suffisants pour faire supposer l'ancienne coexistence dans notre Europe occidentale de plusieurs races brachycéphales différentes, ainsi d'ailleurs que l'admettent M. Broca lui-même (b), MM. de Quatrefages et Hamy (c).

(5) Strabon, Geogr., 1. IV, chap. vi, § 3, p. 169, coll. Didot (passage précédemment rapporté).

(4) ἔθνη δὲ κατέχει πολλὰ τὸ ὄρος τοῦτο Κελτικὰ πλὴν τῶν Αιγύων· οὗτοι δ ̓ ἔτεροεθνεῖς μὲν εἰσί, παραπλήσιοι δὲ τοῖς βίαις. Strabon, 1. II, ch. v, § 28, p. 106, coll.

Didot.

(a) G. Lagneau, Association pour l'avancement des sciences, session de Lille en 1874, section d'anthrop., p. 547.- Bull, de la Soc. d'anthrop, 2o sér., t. IX, p. 53, 1874, etc. (b) Broca, Association pour l'avancement des sciences, session de Lille en 1874, section d'anthrop., p. 550.

(c) De Quatrefages et Hamy, Crania ethnica, p. 129, etc.

Celtes, lorsqu'il montre ces Ligures chassés par les Celtes du voisinage des îles Estrymnides, des îles Sorlingues (1). Les auteurs anciens distinguaient donc parfaitement les Ligures

des Celtes.

Arrivé à la fin de ce trop long travail, si l'on cherche à en résumer brièvement les principaux résultats, on voit que les Ligures se sont élevés vers le nord au moins jusqu'à la Loire et jusqu'auprès des îles Estrymnides ou Sorlingues, peut-être dans les îles Britanniques; mais que rien ne semble autoriser à admettre leur présence comme strate ethnique générale dans une région continentale située plus au nord-est, correspondant à la Gaule Belgique, à la Belgique actuelle; que des Ligures occupèrent les régions méridionale et orientale de l'Ibérie, l'Espagne; que ces Ligures en chassèrent les Sicanes, et

(1) Festus Avienus, Oro maritimæ, vers 125-132, p. 112, texte et trad. de Despois et Saviot (passage précédemment rapporté).

A propos de ce passage de Festus Avienus relatif à l'expulsion des Ligures par les Celtes, passage qui a servi à Am. Thierry à fixer approximativement au seizième ou dix-septième siècle avant J.-C. la migration des Celtes du nord au sud des Pyrénées, je ferai remarquer que cette date. importante dans ces temps reculés si difficiles à évaluer chronologiquement, est loin d'être certaine. En effet, Fréret, se basant sur le passage de Denys d'Halicarnasse (a) dans lequel il rappelle que, suivant Philiste de Syracuse et Hellanicus de Lesbos, les Sicules étaient arrivés dans I'lle alors appelée Sicania, quatre-vingts années ou trois générations avant la guerre de Troie, avait assigné à cette immigration des Sicules la date approximative de 1364 ans avant J.-C. (6). Tenant compte d'une part de cette date approximative de l'immigration sicule, d'autre part de l'antériorité de l'immigration des Sicanes dans cette même ile, Amédée Thierry, du rapprochement du passage de Thucydide relatif aux Sicanes précédemment chassés par les Ligures de la côte orientale de l'Ibérie, l'Espagne (c), et de celui de Festus Avienus parlant des Ligures chassés par les Celtes (d), crut pouvoir fixer au seizième ou dix-septième siècle avant J.-C. « la double migration des Celtes en Espagne et des Ligures en Gaule (e) ». Or, ainsi que je l'ai fait observer ailleurs (f), cette dernière approximation offre beaucoup d'incertitude par suite de l'insuffisance de corrélation et de l'impossibilité d'apprécier le temps écoulé entre l'expulsion par les Celtes des Ligures du voisinage des îles Estrymnides au nord-ouest de l'Europe, l'expulsion par les Ligures des Sicanes de l'Ibérie, l'immigration de ces derniers, et plus tard celle des Sicules en Sicile.

(a) Denys d'Halicarnasse, 1. A, § XXII, p. 26, 27 (passage précédemment rapporté). (b) Fréret, OEuvres complètes, rédigées par de Septchênes, t. IV, p. 189, an VII. (c) Thucydide, Histoire, I. VI, § 1, p. 244, texte et trad. lat. de Haasius, coll. Didot (passage précédemment rapporté).

(d) Festus Avienus, Ora maritimæ, vers 125-132, p. 112, texte et trad. de Despois et Saviot (passage précédemment rapporté).

(e) Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, Introduction, p. 22, et l. 1, ch. 1, p. 121 du tome 1, éd. 1862.

(f) G. Lagneau, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, article CELTES, p. 702, 1873; - Bull, de la Soc. d'anthrop., 2o sér.. t. II, p 212, etc., 1867.

occupèrent principalement le littoral méditerranéen depuis les Pyrénées jusqu'à la Macra; mais que dans la région comprise entre ces montagnes et le Rhône ils se mêlèrent aux Ibères, et que dans celle comprise entre ce fleuve et les Alpes ils se mêlèrent aux Celtes; - que ces Ligures occidentaux, ainsi que les Ibères de l'Hispanie et les Bebrykes de la région nord-est des Pyrénées, paraissent avoir eu des relations ethniques avec les Ligures orientaux habitant la Colchide, ainsi qu'avec les Ibères du versant sud du Caucase et avec les Bebrykes du nord de l'Asie Mineure; que les Ligures brachycéphales, au point de vue anthropologique, sont complétement différents d'une race dolichocéphale, de provenance atlantique ou africaine, ayant antérieurement occupé le sud-ouest de l'Europe;

que les Ligures, par leur conformation brachycéphalique,se rapprochent des Celtes, mais que la distinction admise dans l'antiquité entre ces deux peuples semble devoir les faire considérer comme appartenant à deux races différentes; - enfin, que les Ligures brachycéphales peuvent avoir de grands rapports avec les Ibères et les Basques brachycéphales; mais que, cependant, si des auteurs anciens paraissent confondre les Ligures avec les Ibères, quelques autres semblent les différencier complétement.

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