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qui représentaient alternativement les types berbères, arabe, vandale et même grec; des proportions non moins différentes dans l'habitude du corps; enfin toutes les nuances de la couleur, depuis la teinte noirâtre jusqu'à celle des races blondes. Cette tribu, où se trouvent aussi des Kabyles et des Arabes, avait peu d'influence, malgré sa force numérique, et elle était peu estimée, en raison de son origine chaouia (1). Nous avions fait une remarque du même genre sur les spahis de Constantine, anciens cavaliers du bey, Turcs, Kouloughlis et surtout Arabes, chez lesquels ces derniers nous ont offert une variété de types extraordinaire, alors qu'il n'en était pas ainsi pour les Turcs et pour les Kouloughlis. Beaucoup de tribus présentent un phénomène semblable. Telle est, en particulier, celle des Ameraoua, en pleine Kabylie, ancienne colonie militaire, sous le régime turc, composée non-seulement de Kabyles, d'Arabes, de Kouloughlis, de Nègres, mais réceptacle d'une foule de réfugiés et de renégats de diverses nations. D'autres encore, comme celle des Beni-Amer, dans la province d'Oran, celles des Eumour et des Hel-ben-Ali, dans le Zab septentrional, sont formées de colonies venues de points fort éloignés les uns des autres et d'origine, de mœurs différentes, en même temps que de l'élément primitif, qui est la famille du fondateur (2). Mais, malgré ces différences, tous ne considèrent pas moins la tribu comme leur cité, le corps auquel ils appartiennent, chaque fraction conservant son individualité distincte, et cette agrégation n'amenant point la fusion.

Il est aussi des tribus arabes que la tradition fait descendre des Berbères (comme il en est de berbères que la tradition fait descendre des Arabes), tandis que beaucoup d'autres sont composées d'Arabes et de Berbères ou Kabyles. Édrisi parle déjà de tribus berbères auxquelles un long voisinage a fait adopter l'usage de la langue arabe, « de sorte, dit-il, que les deux peuples n'en forment plus qu'un (3). » La langue arabe! toujours la langue, qui fait le peuple! Cela, comme on voit, n'est pas nouveau. Pellissier fait cette remarque à l'égard de certaines peuplades des montagnes du littoral, aux envi

(1) Tabl. de la situat, des établissem. français en Algérie, ann. 1844-1845, p. 457. (2) Carette et Warnier, Notice sur la div. territor. de l'Algérie, ibid., ann. 18441845, p. 595-95.

(5) Ouv. cit., t. I, p. 204.

rons de Bône, qui sont « d'origine Kbaïles, mais Arabes de langue (1). » M. Hanoteau observe, en outre, que les Berbères ont la singulière manie « de renier leur origine pour se donner des généalogies arabes. » Et il dit que certaines tribus notoirement berbères se croient arabes; que des fractions d'origine arabe ont complétement adopté les mœurs et la langue des Kabyles. Il cite, entre autres, l'exemple du cercle de Djidjelli, dans lequel l'arabe seul est en usage, alors que « la presque totalité de la population est incontestablement berbère.» La province d'Oran abonde en faits semblables (2). C'est ainsi, comme le montre M. Warnier, qu'un très-grand nombre de tribus kabyles parlent arabe, ont «< la prétention de se donner une origine arabe, réputée plus noble, » passent trop souvent pour arabes, bien que conservant tous les attributs de leur race, et seraient véritablement prises pour telles, si l'on n'avait égard qu'au langage. C'est ce que l'on a nommé Berbères arabisants, par opposition à ceux qui gardent l'usage de leur langue nationale, et qui sont dits Berbères berbérisants (3).. Ibn-Khaldoun avait appelé Arabes arabisants les Arabes purs, et il nommait Arabes barbarisants, Mostadjem, ceux dont le langage était altéré par des barbarismes (4).

Il faudrait pouvoir apprécier sinon quel rôle ont joué les populations immigrées, du moins quelles traces elles ont laissées, problème encore suffisamment difficile, et dans lequel le champ des conjectures reste ouvert. Ce que nous en avons dit cependant, en insistant même sur les faits qui paraissent contraires, prouve que si ces vieux envahisseurs et ces primitives immixtions ont eu jadis une influence considérable sur la constitution des peuples dans ce pays, et que s'il en subsiste surtout des noms, la population dans son ensemble n'en demeure pas modifiée aujourd'hui autant qu'on pourrait le penser. En effet, sauf des nuances entre la plaine envahie et la montagne où n'a pas pénétré la conquête, entre l'Est et l'Ouest, et beaucoup de différences individuelles, traces dernières d'anciennes intrusions et d'anciens mélanges, le Kabyle du Tell algérien est à peu près partout le même ; et il est permis de

(1) Ouv. cit. (1836), t. II, p. 64.

(2) Ess. de gramm. de la langue tamachek', p. 281; Paris, 1860.
(3) Warnier, l'Algérie devant l'empereur. p. 12, 14; Paris, 1865.
(4) Ouv. cit., t. 1, p. 7, cf. introd., p. i-v.

croire que ces divers peuples, aventureux et venus de loin, auront fini par succomber dans la lutte avec les conditions nouvelles, au point qu'il n'en reste guère que des vestiges peu nombreux, et parfois à peine reconnaissables.

Ainsi les conflits ont cessé, tout est rentré dans le calme. Les effets des croisements, lorsqu'ils ont eu lieu, ne se sont pas perpétués; et, à défaut de continuité dans le recrutement, comme il arrive en cas semblables, la plupart de ces populations étrangères, quand elles ne se sont pas éteintes d'ellesmêmes, auront été finalement absorbées dans le sang indigène, à la manière des fleuves qui se perdent dans la mer. Que si les Arabes seuls ont prospéré sur ce sol, comme par exemple ils prospèrent en Égypte, c'est qu'ils ont trouvé là des conditions de vie corrélatives à leur type, et par conséquent une autre patrie. Leur nombre actuel néanmoins n'est évalué qu'à 500 000 en Algérie, où l'on compterait environ, suivant M. Warnier, 2200 000 individus de races dites berbères, dont . 1200000 arabisants, et 1 000 000 berbérisants (1).

Quant à ceux que les Arabes nomment Touareg (terme qui, selon eux-mêmes, signifie abandonnés), ces maîtres du plateau central du Sahara, dont les domaines s'étendent du Teboù, du Fezzân et des déserts à l'est de Ghadâmès, jusqu'au nord du Touât, et de ce pays d'oasis, à travers d'immenses solitudes, jusqu'à Timbouktou et aux deux rives du Niger, quant aux Touareg, disons-nous, on doit penser qu'ils ont été beaucoup plus épargnés par les invasions, et qu'ils sont d'un type encore moins altéré que les habitants des zones septentrionales. Leur langue est la plus pure de tous les dialectes berbères. On constate cependant chez eux des unions étrangères. «Notre descendance la plus générale, disent-ils, est celle des Édrisides de Fez... Notre ensemble est mélangé et entrelacé comme le tissu d'une tente dans lequel entre le poil du chameau avec la laine du mouton. Il faut être habile pour établir une distinction entre le poil et la laine. Cependant nous savons que chacune de nos nombreuses tribus est sortie d'un pays différent. » D'après M. Duveyrier, qui rapporte cette tradition indigène, « la prétention à une descendance édriside qui donnerait aux principales familles des Touareg une

(1) Ouv. cit., p. 14, 44.

Cf. Hanoteau, ouv. cit, p. 285 et suiv.

origine arabe..., serait presque justifiée» par les alliances matrimoniales entre les souverains de Fez et les familles des chefs touareg que l'on ne pouvait soumettre par les armes. « Quoi qu'il en soit, ajoute plus loin le jeune et savant voyageur, les Touareg, malgré le mélange de leur sang avec celui des Édrisiens arabes, sont restés Berbères, et, comme fraction du peuple berbère, leur origine est loin d'être incertaine (1). » En effet, on comprend que, quel que soit le nombre de ces unions, il ne s'agit en cela que de faits particuliers, et nullement de croisements sur une grande échelle.

Nous venons de voir que beaucoup de Kabyles, par un singulier sentiment d'orgueil, s'attribuaient cette prétendue noblesse d'origine arabe, celle du vainqueur. Croirait-on que les Touareg, à leur tour, prétendent descendre des Turcs? C'est Daumas qui fait connaître cette opinion assurément peu générale, observant qu'elle est « accréditée sans doute par leur amour-propre, car ils affectent de mépriser les Arabes, qu'ils traitent en peuple vaincu (2). » Mais si l'on veut ne pas trop s'étonner de ces errements, on peut songer que pour certains nobles d'Espagne, il faut être fils de Goth (hijo del Godo, hidalgo). Ainsi combien parmi nous-mêmes, comme s'ils étaient fiers des illustres Romains, ne veulent être qu'à demi Gaulois! D'un autre côté, l'on a dit que les traditions de ces peuples les feraient descendre des hauteurs boisées de l'Atlas (3). Tout cela prouve qu'ils sont loin de s'entendre eux-mêmes, non plus que les divers auteurs, sur la question de leur origine que nous cherchons à élucider, et qui pourrait bien être encore insoluble, Toujours est-il que cet examen rétrospectif nous aura montré une fois de plus et les difficultés de l'acclimatement, et la force de résistance que présentent les vieux types de races aux prises avec le mélange pendant de longs siècles, et conservant néanmoins toute leur individualité physiologique.

Pour revenir maintenant aux Gétules et aux Libyens, nous allons voir que les deux peuples principaux que l'on est en droit de regarder comme étant de leur descendance, et qui d'ailleurs occupent, à quelques différences près, les mêmes

(1) Les Touareg du Nord, p. 317-19, 323; Paris, 1844.

(2) Ouv. cit., p. 524.

(5) Bodichon, Eludes sur l'Algérie et l'Afrique, p. 116; Alger, 1847.

contrées, non-seulement ne se confondent pas en un type unique dit berbère, mais que les traits qui les caractérisent sont de nature à les faire distinguer au point de vue ethnique.

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III. KABYLES ET TOUAREG. Si l'on en croit la plupart des auteurs contemporains, rien ne saurait faire admettre que les Kabyles et les Touareg ne fussent pas des peuples appartenant à la même race. Les points de similitude entre euxexcluraient tous les doutes; et quant aux différences, la nature des lieux et des mœurs ou les croisements suffisent à tout expliquer. Il y a cependant chez les Kabyles algériens, et sans nul doute aussi chez les Touâreg, un grand nombre de familles que l'on peut croire de sang pur ou peu mélangé; et ce sont celles-là qu'il importerait d'étudier comparativement et longuement, avant de trancher cette question. Pour nous, sans affirmer que les uns et les autres ne sont pas de souche unique, nous disons que ce n'est point là un fait scientifiquement acquis, et que s'ils sont issus d'une même origine, ce que nous croyons, ils n'en constituent pas moins deux races distinctes.

Depuis quarante ans que nos armes occupent l'Algérie, nous ne connaissons point avec précision les populations indigènes qui l'habitent, et à plus forte raison celles du grand désert. Quand on possédera tous les éléments de cet examen comparatif, il se peut que des différences de plus en plus accentuées en ressortent d'elles-mêmes. En attendant, nous donnerons sur les Touareg et les Kabyles quelques indications qui ne peuvent encore résulter que d'études inachevées et partielles. Les Touareg dont nous parlons sont notamment ceux des confédérations du Nord: les Azdjer ou Kêl-Azdjer (gens d'Azdjer), et les Ahaggar ou Kêl-Ahaggår, qui se nomment euxmêmes Imôhagh les premiers, et Imôcharh les seconds. Ceux du Sud sont les Aouélimmiden, qui se disent également Imôcharh, et les Kêl-Air, qui se disent Imôjirhen.

En thèse générale, on reconnaît aux Touâreg une trèshaute taille, des formes amples et régulières, une démarche lente et grave, altière, et beaucoup de noblesse dans le maintien; un front large et élevé, des yeux écartés, beaux, parfois enfoncés dans les orbites, l'iris noir et quelquefois bleu, le nez petit, la bouche moyenne, la barbe noire et rare, les che

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