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dans les mœurs de quelques peuplades actuelles. Il est vrai, néanmoins, que ce culte, anciennement si répandu, peut trèsbien n'être pas d'origine étrangère. Ici, comme en bien d'autres expressions ethniques, les peuples ont pu se rencontrer sans s'imiter et sans que la filiation y soit pour rien.

De son côté, Léon, le savant géographe de Grenade, rapporte que, selon quelques auteurs, les Palestiniens, « déchassés par les Assyriens», passèrent en Afrique et s'y établirent; et que, selon d'autres, les Africains tirent « leur vraie origine des Sabées, peuple de l'heureuse Arabie, » et qu'ils furent conduits par leur roi Ifricus, « s'enfuyant vers l'Egypte » et par delà le Nil, poursuivis par les Assyriens ou les Éthiopiens. Mais il ajoute que, selon d'autres encore, les Africains «< ont été habitants d'aucunes parties d'Asie, » fuyant aussi devant leurs ennemis, d'abord vers la Grèce, alors inhabitée, et qu'ils furent ensuite contraints d'abandonner, pour se jeter sur l'Afrique, où ils demeurent (1). Ainsi, les renseignements de l'histoire et ceux que fournit l'ethnographie s'accordent pour attester les antiques conflits de ces peuples sur le rivage africain de la mer Intérieure.

Léon divise tous les habitants de la Barbarie et de la Numidie, ou « les blancs d'Afrique », en cinq peuples, savoir: « les Sanhagia, les Musmuda, les Zénéta, les Haoara et les Guméra.» Marmol, en nommant (un peu différemment) ces mêmes peuples (ou tribus), dit que ce sont ceux qui sont appelés Berbères, «parce-que leur prémiere habitation fut en Barbarie : au-lieu que ceux qui estoient auparavant dans la Tingitane, la Numidie et la Libye s'appellent Chilohés.» Ailleurs il dit : «Les anciens Africains sont nommés Chilohés ou Bérébéres..... » Leur langue a trois noms : «< Chilha, Tamazegt et Zenetie (2).» Mais Léon observe que ces peuples « se conforment ensemble en une langue, laquelle est communément par eux appelée aquel amarig» (langue noble). Il dit que cette langue est la «< naïve africaine, » et qu'elle est mêlée de mots arabes (3). Toutefois, M. de Slane fait remarquer que ces deux termes « akal amazigh » ont été mal traduits par Léon, et qu'ils ne signifient autre chose

(1) Ouv. cit., t. I, p. 12-14, cf. p. 1-2.

(2) Léon, ibid., p. 15. ·Marm., l'Afrique, trad. fr., par Perrot d'Ablancourt, t. I, p. 68, 92, cf. p. 95; in-4o, Paris, 1667. (3) Ouv. cit., t. 1, p. 19-20.

que le pays berbère (1). Ce qui paraît certain, d'ailleurs, c'est que plusieurs de ces tribus ont poussé de profondes racines et produit de nombreux rameaux, qui se seront perpétués ; car leurs noms, plus ou moins altérés, se retrouvent encore sur divers points du territoire, en Algérie, au Sahara, au Maroc, comme dans l'histoire des îles Canaries. Il y a, par exemple, des Haouara près de Médéa, des Sanhadja aux environs de Bougie et dans le cercle de l'Edough, des Zenata non loin de Tlemcen, dans le cercle de Constantine et dans le Zab; d'autres prennent ce nom dans le pays de Touât. Et nous venons de voir que ces tribus sont de celles que divers historiens rattachent primitivement au sol du Yémen. De quelque manière que soient envisagées ces immigrations cananéenne et arabe, et quelle que soit l'obscurité qui les couvre dans leur origine, il est donc permis de les considérer comme ayant tous les caractères de faits acquis ou peu contestables.

En d'autres temps, après la fondation d'Utique, puis de Carthage, des Phéniciens venus de Tyr, de Sidon, de Byblos se répandirent sur les côtes libyques et y fondèrent des colonies et des villes, comme Hippo Diarrhytus, Hadrumetum, Leptis (2). D'après Scylax et Strabon, ils auraient étendu leurs établissements depuis les Syrtes, où ils confinaient aux Grecs de la Cyrénaïque, jusqu'aux colonnes d'Hercule; et si l'on en croit le Périple d'Hannon, les Carthaginois auraient aussi fondé des colonies liby-phéniciennes sur les côtes de l'Océan (3). Enfin ce fut vraisemblablement de ces mêmes rivages phéniciens que s'éloignèrent d'autres nations venues de l'Orient, fuyant leur patrie, et qui, suivant le mythe de l'Hercule tyrien, voguèrent vers l'ouest du bassin méditerranéen, la terre du couchant, avec son jardin des Hespérides, et le royaume d'Antée, fils d'Atlas. Ici la fable se mêle à l'histoire et la domine. Ce que l'on aperçoit au milieu de ces fictions, c'est toujours la richesse merveilleuse des contrées de Maghreb, c'est l'attrait de la conquête qu'elles inspiraient aux envahisseurs, et c'est l'invincible courage des autochthones à défendre leur sol contre les attaques de l'étranger.

P.

495.

(1) Dans Ibn-Khaldoun, ouv. cit., Appendice, t. IV,
(2) Salluste, op. cit., § 19. Cf. Pline, lib. V, cap. II-IV.

(3) Scyl., op. cit., Carthago, p. 49-50. Strab., lib. XVII, cap. 1, § 15. Relat. d'Hannon., init.

Salluste, encore d'après Hiempsal, et sans rien garantir par lui-même, nomme trois de ces peuples : les Mèdes, les Perses et les Arméniens, qui faisaient partie de l'armée d'Hercule, lequel étant mort en Espagne, selon les Africains, sicut Afri putant, et son armée ayant été dispersée, passèrent en Afrique, et s'établirent sur les côtes les plus voisines de la Méditerranée. Il rapporte que les Perses s'avancèrent davantage vers l'Océan, et que, s'étant mêlés aux Gétules, ils prirent le nom de Numides, semetipsi Numidas appellavere. Pline aussi dit qu'on nommait anciennement Perses les Pharusii, peuple gétulien qui, d'après Méla, s'étendait jusqu'à l'Éthiopie, usque ad Ethiopas, et que Strabon et Ptolémée placent également très-loin au sud de la Maurusie et au nord du mont Ryssadius (1). Salluste ajoute que les Mèdes et les Arméniens se joignirent aux Libyens, qui, dans leur idiome barbare, les appelèrent insensiblement Maures, au lieu de Mèdes, Mauros pro Medis appellantes (2). Voilà, dans un récit confus, bien des inconnues. Du reste, la critique moderne apporte ici ses doutes, et se croit en droit de substituer à ces trois noms de peuples montagnards, agriculteurs, sédentaires et paisibles ceux de Madianites, de Phéréséens et d'Amorrhéens ou d'Araméens, refoulés, en effet, les uns par les Hébreux, les autres par les Assyriens, ou même par les conquêtes des Égyptiens (5).

Mais il faut renoncer à débrouiller complétement ces questions ethniques, dont les traits individuels nous échappent, et qui dans leur ensemble seulement sont éclairées par l'histoire. Les siècles se sont accumulés, les mœurs ont quelque peu changé avec les lieux; toutes ces nations se sont plus ou moins enchevêtrées, ou même mêlées; les caractères primitifs ont subi des altérations peut-être considérables. Enfin sont venues par surcroît les invasions romaine, vandale, byzantine, successivement chassées les unes par les autres. Et, en présence d'un tel amas de ruines et de tant de difficultés inextricables, et que chacun résout à sa manière, on éprouve comme un soulagement à se tourner vers l'étude des faits actuels.

(1) Salluste, op. cit., § 18.— Pl., lib. V, cap. vui, in fine.-Méla, lib. I, cap. iv, cf. lib. III, cap. x. Strab., lib. XVII, cap. 1, § 7. Ptol., op. cit., lib. IV, cap. vi, et Afr. tabul.

(2) Op. cit., loc. cit.

(3) Mignot, Vingt-deuxième Mém. sur les Phéniciens, dans les Mém. de l'Acad. roy, des inscript. et belles-lett., ann. 1786, t. XLII, p. 29-50.

Toute cette vaste étendue des côtes et des régions limitro phes de l'Afrique septentrionale fut donc occupée très-anciennement, avec des caractères différents d'occupation, par une multitude d'essaims étrangers, notamment de souche syroarabe, et devant lesquels furent forcés de reculer les premiers habitants, qui sont pour nous des Atlantes. Il arriva sans doute plus d'une fois, peut-être même habituellement, que ces familles de colons ou de marchands vécurent isolément et sans se mélanger avec les indigènes. C'est la loi générale, à laquelle le génie des peuples de ce pays donne une sanction saisissante. Les étrangers, pour ces peuples en particulier, sont toujours des ennemis. Et si la souche arabe est peu portée aux croisements, aux rapports internationaux, et ne veut pas se laisser pénétrer, il n'en est guère différemment du Kabyle, jaloux de sa terre et qui défend son bien. Ainsi les Romains, et surtout les Vandales, les Byzantins, ne firent que passer, en dévastant et guerroyant, de même que plus tard les Turcs, sans jamais s'assimiler au sol.

Il est vrai que la conquête mahométane fut facilitée par certaines analogies de mœurs, et que les Arabes, dont les ancêtres vivaient à la manière des Gétules, rencontrèrent là des alliés naturels, et en outre les monts et les sables, les palmiers, les chevaux et les chameaux du Hedjaz et du Nedjd. Ils y trouvèrent, on ne sait dans quelles limites, l'usage de la langue arabe, parlée sur ces rivages, comme nous l'avons dit, longtemps avant cette conquête ; et ils y trouvèrent probablement aussi la polygamie et la circoncision. Sans doute, il n'en avait point été de la sorte, au même degré, pour les invasions asiatiques anciennes. Mais, quelles que fussent les antipathies qui purent exister entre nations différentes, entre vainqueurs et vaincus, on peut croire qu'avec le temps il s'opéra des rapprochements entre les maîtres du sol et les immigrés, auxquels il fallait faire place, et que parmi les vieux peuples les uns furent refoulés, s'ils ne se retirèrent sur leurs montagnes inaccessibles, alors que les autres s'agglomérèrent et s'allièrent plus ou moins avec les nou

veaux venus.

En outre de ce que nous avons dit des tribus arabes qui seraient devenues berbères, nous avons, pour témoigner de faits semblables dans l'antiquité, l'existence historique de populations composées ou plus ou moins mêlées, comme les Liby

Phéniciens, les Leuco-Éthiopiens, les Mélano-Gétules, nations qui, par leur origine supposée métisse, devaient tendre à disparaître, à moins d'un entretien permanent. Les Liby-Phéniciens, At6upolvixes, de Diodore, occupaient, sous les Carthaginois, beaucoup de villes maritimes; et leur territoire, suivant Strabon, s'étendait jusqu'aux montagnes de la Gétulie (1). Pline place les Leuco-Éthiopiens, Leucaethiopes, au delà des Gétules et des Liby-Égyptiens, Méla entre les uns et les autres, et Ptolémée très-loin dans le désert, au sud du mont Ryssadius, vers l'Océan (2). Et quant aux Gétules noirs ou Mélano-Gétules, qui sont au sud de la Gétulie, d'après Ptolémée, et que M. P. Duprat appelle Libyo-Éthiopiens, en les considérant comme les Leuco-Éthiopiens de Méla (3), nous les croyons plutôt issus du mélange des Gétules avec les Éthiopiens ou les noirs, leurs voisins, alors comme aujourd'hui. Mais la preuve encore que ces flux et reflux de peuples divers ont marqué leur empreinte sur les anciennes populations, c'est que, sans parler des habitants des villes, ces populations, notamment dans les pays ouverts, sont loin d'être homogènes, bien que les types ne soient point pour cela confondus. Cette dernière remarque est même applicable à la plupart des groupes indigènes, au milieu desquels nous voyons si souvent des éléments différents vivre chacun de sa vie propre, en même temps que de la vie commune, et conserver ainsi dans l'agglomération leurs caractères ethniques.

Nous citerons comme exemple la grande tribu chaouïa des Oulad-Abn-en-Nour, dans la province de Constantine, entre cette ville et Setif, chez laquelle nous avons observé (en 1840) les caractères physiques les plus variés. Dans une de ces solennités théâtrales où tous les cavaliers sont passés en revue et se livrent à leur genre de manoeuvre que l'on nomme fantasia, nous n'avons pas été médiocrement surpris de rencontrer là des traits presque mongols, rappelant ceux de quelques-uns des miliciens turcs, à côté de purs profils blancs; des physionomies

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