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ment conquérantes? Qu'elles l'eussent imposée aux vaincus, en absorbant plus ou moins la leur, comme dans les invasions aryennes, ou qu'elles eussent adopté le langage des indigènes, il resterait de ces substitutions des traces qui n'existent point. Tous les Berbères non arabisés parlent des dialectes berbères; et les caractères des plus anciennes inscriptions, celles dites libyques, sont fort analogues à ceux de cette même écriture conservée et retrouvée chez les Touareg. Nous savons que les dolmens abondent dans le Maroc. Il y aurait à rechercher s'il en existe, de même qu'il existe des grottes à momies et des tumulus aux îles Fortunées, qui furent habitées par ce grand peuple autochthone, dont une partie était de race blonde. Et qui sait même si leurs ancêtres n'auraient pas été des naturels de l'Atlantide? Qui sait s'ils n'ont pas connu la vieille Amérique, où l'on découvre tant de tumulus, comme d'ailleurs presque partout, et où tant de pyramides aux proportions cyclopéennes, particulièrement sur les bords du Mississipi et de ses affluents, demeurent des énigmes? Ce qui ne paraît pas douteux, c'est que, pour les relations commerciales, les Atlantes, ces enfants chéris de Neptune, envoyèrent au loin des colonies sur les côtes de l'Océan, en Portugal, en Armorique, en Cornouailles et dans le pays de Galles, peut-être en Irlande et ailleurs, au milieu d'autres peuples, chez lesquels, on doit le reconnaître, ils auraient pu puiser cette coutume, qu'ils auraient transportée dans leur patrie. Et, de même, on conçoit qu'ils aient pu recevoir de ces mêmes contrées des colonies de peuples constructeurs des dolmens, et dont ils auraient été les imitateurs.

Du reste, on ne peut assurer qu'un usage commun à plusieurs races appartienne nécessairement en propre à l'une d'elles, qui l'aurait communiqué ou reçu, et par conséquent que la coutume des dolmens en Europe et en Afrique dérive indubitablement l'une de l'autre. Tous les hommes n'ont-ils pas eu les mêmes besoins, comme ils ont les mêmes facultés? Combien de peuples différents ont taillé des silex ou se sont tatoués! Combien ont adoré le feu, les astres! Tous enfin n'ontils pas eu le culte de la tombe, dont les pyramides d'Égypte sont la plus grandiose et la plus fastueuse expression? Quoi qu'il en soit, nous soumettons ces points de vue à nos collè

gues, en faisant des vœux pour qu'ils soient jugés dignes de leur examen.

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Une grande immigration de peuples divers, et qui prend sa source en Asie, entre la Méditerranée et l'Euphrate, paraît, d'après quelques historiens, se rapporter à l'invasion de familles cananéennes. Suivant Procope, les peuples de la terre de Canaan, qui passèrent en Afrique, au temps de Josué, successeur de Moïse, « l'occuperent entierement, depuis l'Egypte jusqu'aux colomnes d'Hercule, et ils la rendirent habitable, en y bâtissant un grand nombre de villes, « de sorte qu'encore à present, dit-il, les Afriquains parlent la langue Phenicienne... Auparavant qu'ils vinssent en Afrique, elle estoit habitée par d'autres peuples, lesquels y ayant demeuré depuis très-longtemps, on croyoit qu'ils en estoient les premiers habitans... En suite ceux qui vinrent avec Didon se retirerent en Afrique, comme en un pays habité par leurs alliez et leurs parens, par la permission desquels ils bastirent Carthage et en furent les maistres (1). » Ces premiers habitants, Salluste, ou plutôt Hiempsal, les avait nommés, nous l'avons dit. D'autre part, on lit dans Édrisi que les Berbères « habitaient anciennement la Palestine, à l'époque où régnait Djalout (Goliath).» descendant de Ber et de Mesr. « David (sur qui soit la paix !), ajoute-t-il, ayant tué Djalout le Berber, les Berbers passèrent dans le Maghreb, parvinrent jusqu'aux extrémités les plus reculées de l'Afrique et s'y répandirent (2). » Telle est aussi l'opinion d'El-Bekri, d'accord avec El-Masoudi, tandis que d'autres Arabes veulent que ce soit Josué qui chassa ces peuples de la Syrie (3). En admettant que ces récits fussent vrais l'un et l'autre, ils se rapporteraient à deux invasions fort distinctes des Palestiniens (Philistins), les deux époques de Josué et de David différant beaucoup.

Les immigrations de Canaan et des pays voisins sont attestées par certaines traditions et par des noms de tribus qui rappellent cette origine. Saint Augustin rapporte que de son temps les habitants des environs d'Hippone se disaient Cana

(1) Op. cit., lib. II, cap. x; trad. fr., p. 296-98; in-12, Paris, 1670.- Cf. Moïse de Khoren, Histor. armeniaca, trad. lat., lib., 1, cap. xvIII, p. 51-53; in-4o, Londini, 1736. Suidas, op. cit., in voce Xzvzáv.

(2) Ouv. cit., t. I, p. 203.

(3) Dans Ibn-Khaldoun, ouv. cit., t. I, p. 176-77.

néens: Unde interrogati rustici nostri quid sint, Punicè respondentes Chanani, corruptâ scilicet, sicut in talibus solet, und litterâ, quid aliud respondent quàm Chananæi? Ailleurs on voit que cet évêque recherchait pour le territoire d'Hippone un prêtre qui fût familier avec la langue punique ou phénicienne, Punicâ linguâ esset instructus, et qu'il le trouva dans un vieillard..., Senem qui tunc primatum Numidiæ gerebat (1). Ainsi, d'après le Suédois Gråberg di Hemsö, les Schellouh ou Chlouah du Maroc se regardent toujours comme les descendants en ligne directe des aborigènes de l'extrême Occident, considérant les Berâber comme des Philistins, Filistei, od originarii dalla Palestina, descendant de Misraïm et de Casluhim; tandis qu'eux-mêmes se vantent, si gloriano, d'être les vrais parents des « Amazirghi-Beranis », enfants de « Mazirgh (2). » Encore aujourd'hui les rabbins algériens donneraient aux Kabyles le nom de Philistins (Paleschtin); et chez ceux-ci le nom de Ben-Canaan n'est point rare. Certaines tribus ou fractions de tribus, comme les Kabyles Aïth-bou-Youcef, suivant les traditions locales, professaient jadis le judaïsme rapporté par elles de la Palestine (3). D'un autre côté, les BeniMezab (Mozabites), dont la physionomie, les mœurs, le dialecte sont à part, qui ne sont ni chrétiens, ni musulmans, comme disent les Arabes, et qui ne se marient qu'entre eux, passent pour provenir des Moabites, qui furent assujettis et persécutés par David. Et de même, leurs frères, les Ammonites, expulsés aussi de leur pays par les Israélites, auraient été représentés par les Amonéens, aujourd'hui les Amouni. On a dit que la tribu des « Phlissa, que nous écrivons ordinairement Flissa,..... vient encore attester par son nom leur parenté avec les Philistins (4). » Nous pourrions multiplier ces rapprochements. Mais, en thèse générale, nous croyons que l'on ne saurait être trop réservé dans les conséquences qui se tirent de la ressemblance des noms; car il n'est rien qui ne se puisse voir à travers le mirage des étymologies.

(1) Epistol. ad Roman. inchoata Expositio, t. 1, p. 931; in-fol., Parisiis, 1689; - Id., Litter., litt. CCIX, § 3, cf. litt. CVIII, § 14.

(2) Specchio geograf. e statist. dell' imp. di Marocco, p. 78; Genova, 1834.

(3) Devaux, Les Kebailes du Djerdjera, p. 271; Paris, 1859, - Aucapitaine,

Les Kabyles et la colonisation de l'Algérie, p. 95; Paris, 1864.

(4) Pellissier, Ann. algér., t. I, p. 248-50; Paris, 1836.

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Ce que nous dirons encore, c'est qu'à Tougourt, parmi les habitants, qui sont en général mêlés de sang nègre, de même que les Rouàgha (de l'ouâd-Rhigh), il existe une soixantaine de familles blanches, déjà signalées par le consul Hogdson, a distinct race of white people, que la tradition fait descendre d'anciens immigrés israélites convertis. Il ajoute qu'elles ne parlent que l'arabe, only the Arabic language. Ces familles seraient établies depuis un temps immémorial dans le pays; et, suivant sans doute en cela les errements de leurs aïeux, elles se seront conservées pures, en ne s'alliant qu'entre elles (1).

Une autre invasion, dont l'existence toutefois peut être contestée, est celle des Arabes sabéens, sous la conduite d'Ifricos, fils de Cais-Ibn-Saïfi, l'un des anciens princes himyerites du Yémen, lequel aurait donné son nom à l'Ifrikïa (régence de Tunis). En effet, un auteur arabe dit que « les Himyerites n'eurent jamais d'autre voie pour se rendre en Maghreb que les récits mensongers des historiens yémenites. » Et IbnKhaldoun, qui rapporte ce témoignage, ne l'infirme point. Pour lui, la version la plus authentique, c'est que les Berbères descendent de Canaan, fils de Cham, fils de Noé. « Leur aïeul se nommait Mazîgh; leurs frères étaient les Gergéséens; les Philistins, enfants de Casluhim, fils de Misraïm, fils de Cham, étaient leurs parents. Le roi, chez eux, portait le titre de Goliath (Djalout). » Il constate néanmoins que dans la grande famille des Beranès, d'après Ibn-el-Kelbi et d'autres généalogistes arabes, les tribus de Ketama et de Sanhadja n'appartiennent pas à la race berbère, mais à la population yémenite qu'Ifricos İbn-Saïfi établit en Ifrikia. Et lui-même partage cette opinion, tout en disant qu'Ifricos ayant quitté le pays dont il s'était rendu maître, ces deux peuples de Ketama et de Sanhadja « devinrent graduellement Berbères et se confondirent avec cette race, de sorte que l'autorité des Arabes en Ifrîkïa disparut tout à fait (2). » Il est bon de noter qu'à l'égard d'autres tribus, Édrisi ne s'exprimait guère différemment sur ce sujet. Il dit que des Haouara sont « naturalisés berbers par suite de leur voisinage et de leurs rapports avec les indigènes; » et il fait la

(1) In Transact. of the American Philosoph. Society, new ser., vol. iv, p. 24; in-4o, Philadelph., 1854. Cf. Daumas, Le Sahara algérien, p. 125-26; Paris, 1845.

(2) Ouv. cit., t. I, p. 168, 183-85, 27-28 et pass.

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même observation à l'égard des Zenata, qui seraient d'après leur généalogie, telle qu'on la rapporte, » des descendants de Goliath et de Ber. « Les Zenata étaient originairement des Arabes de race pure; mais, par suite des alliances qu'ils ont contractées avec les Masmoudis leurs voisins, ils sont devenus eux-mêmes Berbers (1). »

Quant à l'expédition d'Ifricos, fils de Caïs-Ibn-Saïfi, d'autres, avec El-Makrizi, disent Afrik'is ou Afrik'ich-ben-Abr'a-ben-Ziel-K'arnin (2), ce petit conquérant qui aurait eu la fortune de léguer son nom à l'Afrique, comme Vespuce à l'Amérique, nous ne sommes pas de ceux qui la regardent comme purement imaginaire. Et nous y croyons par les traces d'éléments nouveaux, notamment le langage, qu'aurait apportés cette immigration, ou toute autre de même origine, la langue arabe étant parlée dans le nord de l'Afrique longtemps avant l'invasion mahométane (3). Caussin de Perceval ne pensait pas que ce fût là une fable; et il fait remarquer que dans le tableau des rois du Yémen, on trouve que le règne d'Africous ou Afrikis, fils d'Abraha, paraît être entre les années 60 et 40 avant notre ère (4). Ce n'est peut-être là qu'un exemple de tout ce qu'offrent d'ignorance et de contradictions les récits arabes. Mais il est évident, d'ailleurs, que ce dernier personnage serait autre que le premier, dont l'existence pourrait bien remonter au temps des Hycsôs. L'un aurait donné son nom à l'Afrique, tandis que l'autre l'aurait plutôt reçu comme surnom.

A l'appui de cette tradition sur le séjour des anciens Himyerites ou Sabéens dans le nord de l'Afrique, on peut se rappeler que le culte des astres, du soleil, de la lune existait chez les anciens Libyens, comme l'attesteraient au besoin leurs inscriptions funéraires (5). On en retrouve même des vestiges

(1) Ouv. cit., t. I, p. 212, 254.

(2) El-K'aïrouâni, Hist. de l'Afrique, trad. fr., par Pellissier et Rémusat, p. 2122 et note, cf. p. 28, dans l'Explorat. scientif. de l'Algérie; Paris, 1845. (3) D'Herbelot, Biblioth. orient., art. AFRIKIAH.

- Cf. Cardonne, Hist. de l'Afrique, de l'Espagne, etc., 1. 1, p. 5, note; Paris, 1765. Pellissier, ouv. cit., t. I, p. 252-53.

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(4) Ess. sur l'hist. des Arabes avant l'islamisme,t. I, p. 67-70; Paris, 1847-48. (5) Hérodote, lib. IV, cap. CLXXXVIII. Léon, Descript. de l'Afrique, trad. fr., par J. Temporal, t. I, p. 67 et suiv.; Paris, 1850. — Reinaud, Invasions des Sarrazins en France, etc., p. 245-44; Paris, 1836. De Rougemont, l'Age du bronze ou les Sémites en Occident, p. 271 et suiv.; Paris, 1866. Cf. Reboud, Recueil d'inscript. libyco-berbères ; in-4o, Paris, 1870.

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