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Égyptiens désignaient sous les noms de Tahennu (voisins de l'Égypte du côté de l'ouest) et de Tamehu (en égyptien, « pays du nord »), terme qui comprenait «< certainement avec les Libyens les divers peuples du littoral de la Méditerranée (1). »

Ce qui est ici fort remarquable, c'est que ce sont ces mêmes peuples que l'on croyait représenter les races blondes ou rousses de l'Europe septentrionale, dans les bas-reliefs célèbres où sont figurés, selon les Égyptiens, les quatre principales variétés humaines, et qui décorent les tombeaux des rois à Biban-el-Molouk, près de Thèbes. L'opinion ne pouvait guère s'y tromper, l'expression Tamehu (Tamhou) étant appliquée par Champollion jeune à des nations ayant la peau blanche, les yeux le plus souvent bleus, et les cheveux bruns, blonds ou roux, ce dernier caractère étant propre aux races du nord de l'Europe (2). Mais, ainsi que le constate M. de Rougé, « après une étude attentive,..... on s'aperçoit promptement que les Égyptiens avaient choisi pour type traditionnel du Tamehu le rameau qu'ils connaissaient le mieux, c'est-à-dire le plus voisin de leurs frontières, le Libyen. La coiffure est caractéristique » (celle des Mas d'Hérodote). «Il demeure certain, continue M. de Rougé, que la race antique occupant le nord de l'Afrique servait de type aux artistes égyptiens pour figurer le Tamehu, et que ces peuples se présentaient encore à cette époque sous l'aspect général d'une race à la peau très-blanche et souvent aux cheveux blonds (3). » On comprend toute l'importance de ces éclaircissements. Nous remarquerons en outre que les types de races humaines représentés sur les tombeaux de la dix-huitième dynastie, dans la vallée de Biban-el-Molouk, remontent au moins au seizième siècle avant notre ère, et que par conséquent le peuple blond qui s'y trouve figuré sous le nom de Tamehu, en le considérant comme immigrant, ne pourrait être arrivé sur les rivages d'Afrique vers le quinzième ou le quatorzième siècle, ou sous

(1) De Rougé, Extr. d'un mém. sur les attaq. dirig. contre l'Égypte, etc., dans la Revue archéolog., nouv. sér. (juin, décembre 1867), t. XVI, p. 55 et suiv., 82. (2) Champollion, Lett. écrites d'Egypte et de Nubie, en 1828 et 1829, p. 204 et suiv; Paris, 1868. Cf. Champollion-Figeac, Égypte ancienne, dans l'Univers, p. 29-31; Paris, 1843.

(3) Ouv. cit., ub. sup., t. XVI, p. 82-85.

les règnes de Séti Ier et de Ramsès II, comme on le dit (1). Toujours est-il que ce serait aller au delà de ce qui ressort de ce précieux document ou de ce qu'il en reste, que d'y voir avec certitude que ces peuples blonds ou roux de la Libye fussent originairement étrangers au sol, et surtout qu'ils fussent sortis des contrées septentrionales de l'Europe. M. Faidherbe croit pouvoir dire qu'ils sont « venus certainement par l'Espagne et peut-être par l'Italie et la Grèce (2). » Cependant l'inscription mutilée de Merenptah, telle que la donne M. de Rougé, ne s'explique point à cet égard. Elle dit seulement que ces peuples de l'invasion étaient « venus de la mer », qu'ils se joignirent aux Rebu ou Lebu (Libyens) pour s'emparer de l'Égypte, et qu'il y avait aussi parmi ces derniers notamment des Mas'uas', lesquels avec les Lebu étaient alors les principales populations de l'Afrique septentrionale, et dont le type était blond.

Ne se pourrait-il, en effet, que ces nations, en les supposant d'origine exotique, eussent quitté des demeures autres que l'extrême nord de l'Europe? Rappelons-nous que les Képto d'Hérodote étaient fixés dans la Cimmérie, près du Bosphore. Cimmérien et de la mer d'Azof (3). Là aussi étaient même une Libye habitée par les Macrocéphales, la Libye au-dessus de Colchos, selon Suidas, d'après Paléphate, et des Libyens : peut-être des colonies libyennes (4). Et, comme les Scythes, les Cimmériens, les Sarmates, les Gètes avaient occupé ces contrées voisines du Palus-Méotide, ne se pourrait-il encore que ces peuples fussent représentés dans ces Libyens aux yeux bleus, aux cheveux blonds ou roux, et que, avant leurs migrations connues historiquement, un ou plusieurs de leurs essaims se fussent dirigés vers l'Afrique ? Ce seraient là des questions.

Quoi qu'il en soit, c'est à ces anciens peuples de la Libye, toujours considérés comme étrangers au sol, ou venus du Nord, que l'on attribue l'édification des dolmens, des tumulus et autres monuments sépulcraux découverts en si grand nombre,

(1) Lenormant, Manuel d'hist. ancienne de l'Orient, t. III, p. 155, cf. t. I, p. 427-50; Paris, 1969. - Faidherbe, Sur l'ethnograph. du nord de l'Afrique, dans les Bull. de la Soc. d'anthrop., 1870, sér п, t. V, p. 49. (2) Ibid. Cf. id., Sur les tomb. mégalith. et sur les blonds de la Libye, ibid., 1869, sér. 11, t. IV, p. 537-58.

(5) Lib. IV, cap. xи et pass. (4) Lexicon, in voce Maxpcxépaλct. casienne, p. 245, 251, 262; Paris, 1861.

Cf. Moreau de Jonnes, Ethnogénie cau

il y a quelques années, dans tout le nord de l'Afrique. Ces monuments ayant leurs analogues en Europe, c'est de là qu'ils tireraient leur origine. A des périodes différentes, une même race aurait élevé les dolmens du nord, et particulièrement du nord-ouest de l'Europe, ceux de la Gaule et ceux de l'Afrique, ces derniers paraissant être en général moins anciens que les précédents. Et en cela, ne faudrait-il pas voir, ainsi que le dit M. Al. Bertrand, « les diverses étapes d'une même race, fuyant de l'est à l'ouest, du nord au sud, l'invasion des conquérants auxquels elle emprunte toutefois, chemin faisant, une partie de leur civilisation?» Ce savant collègue incline à croire «< que la race qui a élevé les dolmens de France est la même que celle qui a élevé les dolmens de la Poméranie, du Hanovre, du Danemark et de l'Angleterre. » Il dit aussi que « la distribution géographique des dolmens, chez nous, doit faire supposer que cette race y est arrivée par mer (1). » Mais on va beaucoup plus loin quand on conjecture que ces vestiges sont d'origine gauloise (2); ou bien encore, avec M. H. Martin, qu'ils pourraient provenir des Celtes, conquérants de l'Espagne, passés de là en Afrique, et qui auraient été « ces mystérieux Libyens blonds » de la grande coalition contre l'Égypte, les Tamehu des Égyptiens (3).

Sans méconnaître la valeur des faits sur lesquels on se fonde, et bien que la solution définitive du problème demande encore de longs éclaircissements, nous dirons cependant que nous ne partageons pas ces vues. Une hypothèse qui nous sourit davantage et que beaucoup de données nous semblent corroborer, c'est que la race des dolmens, s'il y a unité de race, en admettant qu'elle soit en Algérie celle des envahisseurs de l'Égypte, ce que nous croyons aussi, n'a point marché du Nord au Sud, mais bien plutôt du Sud au Nord, et qu'elle n'est autre qu'une race autochthone, ou celle d'un groupe de peuples originaires de l'Atlas. Loin que l'usage de ces

(1) De la race qui a élevé les dolmens, dans les Bull. de la Soc. d'anthropol., 1864, t. V, p. 382.

(2) Féraud, Monum. dits celtiques dans la prov. de Constantine, dans le Recueil des notices et mém. de la Soc. archéolog. de Constantine, ann. 1863, p. 214 et suiv.

(5) De l'orig. des monum. mégalith., dans la Rev. archéolog., 1867, nouv. sér., t. XVI, p. 394-95; - Cf. id., Sur les monum. mégalith., etc, dans les Bullet. de la Soc. d'anthropol., 1867, sér. n, t. II, p. 168.

sépultures ait été introduit chez eux ou reçu par eux, ce sont eux qui seraient les initiateurs et qui l'auraient donné, en le transportant chez les autres nations.

Et que s'il était démontré que ceux de ces monuments funéraires qui s'éloignent le plus de leur centre apparent de rayon nement, en Europe, sont les plus anciens ou les plus grossiers, ceux de l'âge de la pierre et du bronze, tandis que ceux d'Afrique appartiendraient à l'âge du fer, c'est que les premiers dateraient en effet d'une époque antérieure, qui serait celle des plus anciennes migrations de ce peuple des Atlantes, que l'antiquité proclame essentiellement navigateur. Les dolmens sont d'ailleurs moins condensés, en général, et peut-être moins nombreux dans les diverses parties de l'Europe qu'en Afrique. Cela ne pourrait-il se comprendre? Ces colonies d'émigrés, comme il arrive d'ordinaire, auraient fini par disparaître, alors que la race mère, vivant sur son sol, continuait de progresser, suivait sa voie, jusqu'au jour marqué pour son effacement ou son amoindrissement devant l'ethnographie, ou mieux l'histoire.

Il est encore une opinion, celle de M. Roget de Belloguet, qui consiste à voir dans les Ligures, que l'on identifie avec les Libyens, un peuple de race africaine, « les frères des Numides et des Maures, c'est-à-dire des Berbères, » et en eux les auteurs des « effrayants travaux qu'ont exigés les monuments mégalithiques (1). » Cette opinion, nous ne la discuterons point, mais il nous importait de la mentionner.

On a aussi considéré comme Aryas, sans être Celtes, les envahisseurs de l'Égypte. La provenance aryenne est en grande faveur. M. Lenormant dit même que Salluste « fait de ces envahisseurs des Perses, des Mèdes et des Arméniens composant l'armée d'Hercule, ce qui indique clairement qu'il savait leur origine aryenne. » Et M. Al. Bertrand, selon toute apparence, ne serait pas éloigné d'attribuer à ces mêmes peuples les monuments mégalithiques algériens (2). Nous reviendrons sur cette version de Salluste. Mais quant à regarder comme étant

(1) Ouv. cit., Types gaul., etc., p. 300 et suiv., 510 et pass.; ibid., Le génie gaul., p. 555 et suiv., 559-41.

Bertr., Sur les

(2) Lenorm., ouv. cit., t. III, p. 154-55, cf. p. 162, 165. fouilles de Roknia, dans les Bull. de la Soc. d'anthrop., 1868, sér. 11, t. III, p. 629-30. - Cf. Bourguigniat, list. des monum. mégalith. de Roknia, p. 57 el pass.; in-4o, Paris, 1868.

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de souche aryenne les constructeurs des dolmens en général, et notamment en Europe, on sait que cette opinion n'est point admise par les archéologues du Nord, non plus que par M. Bertrand lui-même (1). Et nous sommes, nous aussi, de ceux qui croient que la plupart de ces monuments, aussi bien dans le nord de l'Europe et en, Gaule qu'en Algérie, sont préaryens. Pour les Tamehu, ils étaient certainement blonds ou roux. Sorti des flancs du vieil Atlas, ainsi que nous le présumons, ce peuple primitif aurait encore des spécimens dans les momies guanches, comme des représentants, même assez nombreux, au milieu des races Kabyles. On a recueilli déjà beaucoup de crânes provenant de ces dolmens, et l'on a reconnu que « les deux tiers au moins» de ceux rapportés de Roknia par M. Bourguigniat « appartiennent à la souche kabyle ou berbère (2). » Ainsi M. Faidherbe, d'après ses propres observations, ne met pas en doute que la plupart des crânes exhumés de cette nécropole ne soient d'origine autochthone (3). Mais c'est sur toute l'étendue de l'Afrique du Nord qu'il importerait d'en colliger autant que cela est possible, et de les étudier soigneusement. Car c'est à cet ordre de recherches comparées qu'appartiennent les preuves.

D'ailleurs on peut se demander quelle race, si nombreuse qu'elle fût, émigrée de l'extrême nord de l'Europe, se serait multipliée au point de couvrir le sol de ses sépultures, dans ce climat si meurtrier pour les Européens septentrionaux actuels. Dirait-on que dans ces âges reculés la température du nord de l'Afrique était moins élevée, que le climat de Roknia, par exemple, était alors plus froid et plus humide que de notre temps (4)? Mais nos contrées aussi ont subi des périodes de froid; et il faudrait savoir si ces différences respectives des climats s'éloignaient beaucoup de ce qu'elles sont aujourd'hui. On peut se demander surtout ce que serait devenue la langue de ces nations originaires du nord de l'Europe, et probable

(1) De la race, etc., cit., ub. sup., t. V, p. 379 et suiv.; Id., Les monum. prim. de la Gaule, dans la Revue archéolog., nouv. sér., 1863, t. VII, p. 234-35. -Cf. Faidherbe, Sur les tomb. mégalith., etc., cit., ub. sup., sér. 11, t. IV, p. 538-39.

(2) Pruner-Bey, dans Bourguigniat, ouv. cit., p. 42.

(3) Rech. anthrop. sur les tomb. mégalith. de Roknia, dans le Bullet. de l'Académie d'Hippone, cit., 1868, no 4, p. 59-60, 69 et pass.

(4) Bourguigniat, ouv. cit., p. 84 et suiv.

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