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Khaldoun, plusieurs prisonniers obtinrent la permission de partir avec lui. Parmi eux se trouvait le cadi Sadr ed-Din Ahmed, fils du grand cadi Djemal ed-Dîn el-Caïsari, et inspecteur de l'armée 1. »

Entendons Ibn Cadi Chohba sur les mêmes faits :

« Le premier jour du mois de châban, le cadi Ouéli 'd-Din Ibn Khaldoun arriva au Caire avec le cadi Sadr ed-Dîn, fils de Djemal ed-Dîn, et le cadi Saad ed-Dîn, fils du cadi Cheref ed-Din, le Hanbalite. Ils étaient du nombre de ceux qu'on avait laissés en Syrie, et auxquels les ennemis avaient coupé la retraite. Ibn Khaldoun s'était trouvé avec les autres cadis lorsqu'ils sortirent de Damas pour se rendre auprès de Tîmour. Ce prince, ayant appris qui il était, le reçut avec de grands égards, et lui demanda une liste écrite des pays et des déserts du Maghreb (la Mauritanie), ainsi que des noms des tribus qui habitaient cette contrée. S'étant fait expliquer cette liste en persan, il en témoigna à l'auteur sa haute satisfaction, et lui demanda s'il n'avait pas composé une histoire du Maghreb. Ibn Khaldoun lui répondit : « Bien · plus, j'ai rédigé l'histoire de l'Orient et de l'Occident, et j'y ai parlé de tous les rois; j'ai composé aussi une notice sur vous, et « je voudrais vous en donner lecture, afin de pouvoir en corriger les inexactitudes. » Tîmour lui donna cette permission, et, quand il entendit sa propre généalogie, il lui demanda comment il l'avait apprise. Ibn Khaldoun lui répondit qu'il la tenait de marchands dignes de foi, qui étaient venus dans son pays. Il lut ensuite le récit des conquêtes de Tìmour, de son histoire personnelle et de ses commencements. Le prince, ayant entendu cette lecture, exprima sa satisfaction et dit à l'auteur : « Voulez-vous venir dans mon pays? » Celui

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ci répondit : « J'aime l'Égypte et l'Égypte m'aime; il faut absolument « que vous me permettiez de m'y rendre, soit maintenant, soit plus tard, afin de pouvoir arranger mes affaires; ensuite je viendrai me << mettre à votre service. » Le prince lui permit de partir et d'emmener avec lui les personnes qu'il voulait. Je tiens ce récit du cadi Chihab ed-Dîn Ibn el-Eïzz, qui avait assisté à une partie de cet entretien 1. »

Ces extraits constatent que notre historien eut une entrevue avec Tîmour, et que ce conquérant l'avait très-bien accueilli. Ils servent aussi à confirmer, jusqu'à un certain point, le récit d'un autre historien contemporain, Ibn Arab-chah. En voici la traduction d'après les manuscrits de la Bibliothèque impériale, et l'édition de l'Adjaïb el-Macdour imprimée à Calcutta. On sait que le texte et la traduction, publiés par Manger, offrent tant de fautes qu'on ne peut pas s'y fier.

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Quand ils (les habitants de Damas) 2 se virent trompés dans leurs espérances (par le départ précipité du sultan d'Égypte), et qu'ils reconnurent le malheur qui venait de leur arriver, ils réunirent les grands de la ville, les chefs et les étrangers marquants qui s'y trouvaient en ce moment, savoir: le grand cadi hanefite Ibn el-Eïzz, son fils, le grand cadi Chihab ed-Dîn, le grand cadi hanbalite Ibn Moflih, le grand cadi hanbalite de Naplous, Chems ed-Dîn; le cadi Ibn Abi Teïyeb, secrétaire particulier (du sultan); le cadi et vizir Chihab edDin Ibn es-Chehîd,- - le titre de vizir conservait encore quelque éclat; — le cadi chafeïte Chihab ed-Dîn ed-Djeïyani, le cadi hanefite Ibn elCoucha et le naïb el-Hokm (lieutenant gouverneur). Ces personnages distingués sortirent de la ville pour demander grâce, après s'être concertés sur la conduite qu'ils devaient tenir.

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« Lors du départ du sultan avec ses troupes, le cadi Ibn Khaldoun

se vit environné par l'armée de Tîmour. C'était un homme très-dis

Ibn Cadi Chohba, fol. 181.

Adjaib el-Macdour, édition de Calcutta,

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Manger, Vila Timuri, t. II, p. 59;

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tingué, et un de ceux qui étaient venus (en Syrie) avec le sultan. Quand celui-ci eut renoncé à son entreprise, Ibn Khaldoun ne s'en aperçut probablement pas, de sorte qu'il se trouva pris (dans la ville) comme dans un filet. Il logeait au collége collége Adeliya, et ce fut là les que personnes dont nous avons cité les noms allèrent le trouver pour remettre à sa prudence la conduite de cette affaire. Comme sest idées s'accordaient avec les leurs, ils lui confièrent avec empressement l'entière direction de l'entreprise. En effet, ils n'auraient pas pu se dispenser de son concours; il était malékite de secte et d'aspect1, un second Asmaï pour l'instruction et le savoir 2. Il partit avec eux, portant un turban léger, un habillement de bon goût, et un burnous aussi fin que son esprit, et semblable (par sa couleur foncée) aux premières ombres de la nuit 3.

Ils le mirent à leur tête, parfaitement disposés à consentir aux conditions, avantageuses ou non, qu'il pourrait obtenir par ses paroles et ses démarches. Ayant paru en présence de Tîmour, ils se tinrent debout, remplis de frayeur et d'appréhension, jusqu'à ce que ce prince daignât calmer leurs inquiétudes en leur permettant de s'asseoir. Alors il s'approcha d'eux avec empressement, et passa de l'un à l'autre en souriant; puis il commença à les examiner attentivement, en observant leur conduite et en étudiant leurs paroles. Frappé de l'aspect d'Ibn Khaldoun, dont l'habillement différait de celui de ses collègues, il dit : « Cet homme-là n'est pas de ce pays. » Ceci amena une conversation, dont nous raconterons les détails plus loin. L'entretien fini, on leur servit des plats chargés de viande bouillie, et l'on plaça

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devant chaque convive une portion convenable. Les uns s'en abstinrent par scrupule de conscience; d'autres négligèrent d'y toucher pour se livrer au plaisir de la conversation; mais quelques-uns, et Ibn Khaldoun, du nombre, se mirent à manger de bon appétit.....

« Pendant le repas, Tîmour les examinait à la dérobée, et Ibn Khaldoun tournait ses yeux de temps en temps vers le prince, les baissant chaque fois que celui-ci fixait ses regards sur lui. Enfin il haussa la voix et parla en ces termes : « Seigneur et émir, je rends grâce à Dieu tout-puissant; par ma présence (dans ce monde), j'ai donné de l'illustration aux rois des peuples, et, par mon ouvrage historique, « j'ai fait revivre le souvenir de leurs exploits. J'ai vu beaucoup de princes arabes, j'ai été à la cour de tel et tel sultan; j'ai visité les « pays de l'Orient et de l'Occident; je me suis entretenu avec les émirs « et les lieutenants qui y commandaient, et maintenant, grâce à Dieu, «j'ai vécu assez longtemps pour voir un véritable roi, un prince qui sait gouverner. Si les mets qu'on sert chez d'autres princes garantissent du danger celui qui en mange, les vôtres ont, de plus, la propriété d'ennoblir le convive et de le rendre fier. » Charmé de ces paroles, Tîmour tressaillit de plaisir, et, se tournant vers l'orateur, il négligea toutes les autres personnes pour converser avec lui. Il lui demanda les noms des rois de l'Occident, leur histoire et celle de leurs dynasties, et il écouta avec un vif intérêt tous ces renseignements. Ouéli 'd-Din Abd er-Rahman Ibn Khaldoun, le malékite, grand cadi d'Égypte1, composa un très-bel ouvrage historique qui, à ce que j'ai entendu dire à une personne qui l'avait vu, lu et compris, est rédigé sur un plan entièrement original. C'était un homme d'une grande habileté dans les affaires, et un littérateur du premier ordre. Quant à moi, je n'ai jamais eu l'occasion de le voir. Il vint en Syrie avec les troupes de l'islamisme (l'armée égyptienne), et, lors de leur retraite, il tomba entre les mains de Timour. L'affabilité de ce prince l'ayant mis à son aise, il lui dit dans un de leurs entretiens : « Seigneur et émir, je vous prie, en grâce, de m'accorder l'honneur de baiser cette

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1 Manger, Vita Timuri, t. II, p. 786 et suivantes; Adjaib el-Macdour, p. 4.

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main qui doit subjuguer le monde. » Une autre fois, pendant qu'il parlait avec Tîmour au sujet des rois de l'Occident, et qu'il lui racontait une partie de leur histoire, ce prince, qui prenait un grand plaisir à lire les ouvrages historiques et à se les faire lire, exprima le désir de l'emmener avec lui. A cette invitation, Ibn Khaldoun fit la réponse suivante : «< Seigneur et émir, il n'est plus possible que l'Égypte ait un autre maître que vous. Quant à moi, vous me tenez lieu de richesses, de famille, d'enfants, de patrie, d'amis et de parents; auprès de vous, j'oublie les rois, les chefs, les grands, et même toute « l'espèce humaine, car toutes les qualités qui font leur mérite se « trouvent réunies en votre personne. Je n'ai qu'un scul regret, c'est « d'avoir passé une grande partie de ma vie loin de votre service, et « de n'avoir pas eu plus tôt l'occasion de charmer mes regards en contemplant l'éclat de votre aspect. Mais le destin m'a enfin dédommagé de cette privation; je vais échanger l'illusion pour la réalité, « et j'aurai bien des raisons de répéter ce vers du poëte :

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Que Dieu te récompense de ta démarche; mais hélas! tu es venu bien tard.

Entouré de votre faveur, je vais entrer dans une nouvelle vie; je reprocherai à la fortune de m'avoir tenu si longtemps éloigné de « votre présence; je passerai le reste de mes jours à votre service; attaché à votre étrier (votre personne), j'aurai atteint le faîte des honneurs, et ce temps sera la période la plus brillante de mon exis«tence. Rien ne m'attriste, excepté (l'absence) de mes livres, dans la composition desquels j'ai passé ma vie, y travaillant nuit et jour. Ils renferment les fruits de mes études : l'histoire du monde, depuis la création, et celle des rois de l'Occident et de l'Orient. Si j'avais «< ces livres sous la main, je vous assignerais la première place parmi ■ les souverains; par le récit de vos exploits, j'ajouterais une broderie « éclatante au tissu de leur histoire, et je ferais de votre empire le

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« diadème qui complète cette parure1; car vous êtes l'homme aux ba

'Littéral. « une frange aux robes de leurs époques, et je ferais de votre souveraineté la lunule du front de leur temps. »

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