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où je trouvai le vizir avec son armée et les Arabes des deux grandes tribus, les Zoghba et les Makil. Ayant remis au vizir la lettre du sultan, je poursuivis ma route. Ouenzemmar m'accompagna, en me recommandant d'employer tous mes efforts pour effectuer la délivrance de son frère Mohammed, qu'Abou Hammou avait emmené prisonnier. Étant entré dans le pays des Riah, j'avançai jusqu'à El-Mecîla. Abou Hammou venait de camper dans le voisinage de la ville, sur le territoire des Aoulad Sebâ Ibn Yahya, tribu douaouïdienne, dont il avait réuni les guerriers sous ses drapeaux, en leur prodiguant de l'argent. Quand ces gens apprirent mon arrivée, ils vinrent me trouver et, à la suite de mes représentations, ils promirent de reconnaître l'autorité du sultan Abd el-Azîz. J'envoyai aussitôt les notables de cette tribu au camp du vizir Abou Bekr, qu'ils trouvèrent dans le pays de Dîalem, auprès de la rivière appelée Nahr Ouasel1. Ils lui firent alors leur soumission et le décidèrent à passer dans leur territoire et à poursuivre son adversaire.

M'étant rendu d'El-Mecîla à Biskera, j'y rencontrai Yacoub Ibn Ali, qui, d'accord avec Ibn Mozni, consentit à reconnaître l'autorité du sultan mérinide. Yacoub envoya alors son fils Mohammed auprès d'Abou Hammou, pour l'inviter, ainsi Khaled Ibn Amer, à passer que dans son territoire et à s'éloigner des pays appartenant au sultan Abd el-Azîz. Il rencontra ce prince à Doucen 2, se rendant d'El-Mecîla au désert, et il passa toute la nuit à lui démontrer la nécessité de sortir

coup

du pays des Aulad Sebâ et de passer dans la partie orientale de la province de Zab. Au lendemain, les affaires n'en étaient pas plus avancées; vers le soir des nuages de poussière s'élevèrent tout à du côté de la Thénia3, et parurent s'avancer vers eux. Ils montèrent aussitôt à cheval pour reconnaître ce que cela pouvait être, et 'Le Nahr Ouasel prend sa source à l'orient de Tîaret, coule vers l'est en traversant le Sersou, ou Seressou, autrefois le territoire des Dialem, et se jette dans le Chélif à environ quarante kilomètres au sud de Boghar.

Prolégomènes.

'La bourgade et l'oasis de Doucen sont situées à soixante kilomètres sud-ouest de Biskera.

3 Le défilé ou col (thénia) par lequel on traverse le mont Eksoum est à dixhuit kilomètres nord de Doucen.

H

bientôt ils découvrirent un corps de cavalerie qui débouchait du défilé. C'était la députation des Aoulad Sebâ, qui, partie d'El-Mecîla peu de temps auparavant, éclairait maintenant la marche des Makil, des Zoghba et de l'armée mérinide. Au coucher du soleil, ces troupes atteignirent le camp d'Abou Hammou et s'en emparèrent, ainsi que de sa tente, de ses bagages et de ses trésors. Les Beni Amer s'étaient empressés de prendre la fuite, et Abou-Hammou s'échappa à la faveur des ténèbres. Ses fils et les femmes qui composaient sa famille se dispersèrent dans toutes les directions; mais ils parvinrent à le rejoindre, quelques jours plus tard, aux ksour1 des Beni Mozab, dans le désert. Les Mérinides et les Arabes firent un riche butin, et Mohammed Ibn Arif, frère de Ouenzemmar, fut relâché par ses gardes pendant le conflit. Le vizir Abou Bekr Ibn Ghazi resta quelques jours à Doucen pour reposer ses troupes; il y reçut des vivres et des fourrages en abondance de la part d'Ibn Mozni, puis il reprit la route du Maghreb.

Quant à moi, je passai encore quelques jours à Biskera, au sein de ma famille, et je partis ensuite avec une grande députation de chefs douaouïdiens, qu'Abou Dînar, frère de Yacoub Ibn Ali, conduisait à la cour mérinide. Nous arrivâmes à Tlemcen avant le vizir, et trouvâmes auprès du sultan une réception des plus honorables; il nous traita même avec une munificence inouïe. Le vizir arriva ensuite par la route du désert, après avoir dévasté toutes les bourgades (ksour) des Beni Amer situées sur sa ligne de marche. Ce fut un véritable

jour de fête que celui de sa présentation au sultan. Le retour du vizir

et de Ouenzemmar fournit au souverain l'occasion de congédier les députés des tribus douaouïdiennes; il combla de dons tous ces chefs et les renvoya dans leurs pays.

Comme la présence d'Abou Zian au milieu des Douaouïda donnait beaucoup d'inquiétude au sultan, il pensa aux moyens d'en éloigner ce prince, et, craignant qu'il ne rentrât dans le territoire des Hoseïn, il me consulta à ce sujet et m'envoya chez les Douaouïda pour traiter cette affaire. La tribu de Hoseïn venait d'abandonner le Voyez ci-après, p. 115, note 3.

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parti du sultan. Craignant la colère d'un souverain envers lequel elle eut de graves torts à se reprocher, elle rentra brusquement dans ses cantonnements et s'empressa de faire venir Abou Zian du lieu de sa retraite, chez les Aoulad Yahya Ibn Ali, et de le prendre sous sa protection. En cédant ainsi au même esprit de révolte qui l'avait animée con re le gouvernement d'Abou Hammou, cette tribu ralluma le feu de la guerre dans le Maghreb central.

Vers la même époque, Hamza Ibn Ali Ibn Rached', membre de la tribu de Maghraoua, quitta secrètement le camp du vizir, et se rendit maître du pays arrosé par le Chélif et du territoire qui avait appartenu à sa famille. Le sultan dépêcha son vizir Omar Ibn Mesaoud avec un corps de troupes pour étouffer cette révolte. Pendant ce temps je restai à Biskera dans l'isolement, ne pouvant communiquer avec le sultan que par écrit 2.

Les troubles qui régnaient dans le Maghreb central m'empêchèrent d'aller joindre Abd el-Azîz, qui, fort inquiet de la tentative de Hamza Ibn Ali, avait envoyé son vizir Omar, avec un corps de troupes, pour assiéger le château de Taguemmount 3, où ce jeune homme s'était

La famille de Hamza Ibn Ali avait commandé la grande tribu berbère des Maghraoua. (Pour l'histoire de ce jeune homme, voyez l'Histoire des Berbers, t. III, p. 325, et t. IV, p. 385.)

2 Ibn Khaldoun était encore à Biskera quand il apprit qu'Ibn el-Khatib avait abandonné le service du sultan de Grenade et s'était réfugié auprès du sultan Abd elAzîz, à Tlemcen. (Voyez Histoire des Berbers, t. IV, p. 390.) Au moment de quitter l'Espagne, ce vizir adressa une longue lettre à son souverain, dans laquelle il lui exposa les motifs de sa conduite. Cette pièce est rapportée par Ibn Khaldoun comme un document de la plus haute importance par les renseignements politiques qui s'y trouvent. Elle est trop longue pour

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enfermé. D'un autre côté, Abou Zîan, l'Abd el-Ouadite, se tenait dans le pays des Hoseïn. Comme le vizir dirigeait cette expédition avec peu d'énergie, le sultan le rappela à Tlemcen, et, l'ayant fait arrêter, l'envoya prisonnier à Fez. Ibn Ghazi étant alors parti avec une armée pour presser le siége, Hamza se trouva obligé de s'enfuir de la forteresse; mais en passant par Miliana avec quelques-uns de ses partisans, il fut reconnu et arrêté par ordre du gouverneur, qui les envoya tous au vizir. La nécessité de déployer une grande sévérité, afin d'effrayer les autres séditieux, obligea Ibn Ghazi à faire trancher la tête aux prisonniers et à les mettre en croix.

Ayant ensuite reçu du sultan l'ordre de marcher contre Abou Zîan et les Hoseïn, il rassembla autour de lui plusieurs tribus zoghbiennes, et s'avança jusqu'à la montagne de Tîteri qu'il serra de près, en prenant position du côté du nord, celui du Tell. Le sultan écrivit alors aux chefs des Douaouïda et à l'émir Ahmed Ibn Mozni, ordonnant aux premiers de bloquer la montagne du côté du midi, et au seigneur de Biskera de leur fournir des secours en argent.

En conséquence d'une dépêche qu'il m'adressa, je passai chez ces nomades, et, les ayant rassemblés, je me mis en marche avec eux, vers le commencement de l'an 774 (juillet 1372). Arrivé à El-Guetfa, je me rendis de là, avec quelques-uns de leurs chefs, auprès du vizir, qui pressait le siége de Titeri. Il leur spécifia les devoirs qu'ils avaient à remplir, et fixa avec eux le prix de leurs services; puis il les renvoya à Guetfa avec moi. Le siége fut poussé avec tant de vigueur que les Hoseïn durent se réfugier sur le sommet de la montagne avec leurs effets et leurs troupeaux. Bientôt ils virent périr tous leurs chameaux, chevaux et troupeaux, et se trouvèrent dans l'impossibilité de résister à un ennemi qui les serrait de tous les côtés. Une partie d'entre eux ayant fait prévenir secrètement le vizir qu'elle désirait se rendre, le reste de la tribu soupçonna quelque trahison, et tous, cédant à la méfiance et au découragement, quittèrent leurs retranchements pendant la nuit et se jetèrent dans le désert avec Abou Zian. Le vizir prit alors possession de la montagne et s'empara des

effets qu'ils y avaient laissés. Aussitôt que les fuyards curent atteint un endroit du désert où ils se croyaient en sûreté, ils dirent à Abou Zian de ne plus compter sur eux, et le mirent ainsi dans la nécessité. de chercher un refuge dans les montagnes des Ghomra. Ils envoyèrent ensuite leurs principaux chefs à Tlemcen, auprès du sultan Abd el-Azîz, et par cet acte de soumission ils obtinrent une amnistie avec l'autorisation de rentrer dans leur ancien territoire.

Je reçus alors, par l'entremise du vizir, une dépêche du sultan, me prescrivant de conduire les Aulad Yahya Ibn Ali vers la montagne occupée par leurs sujets, les Ghomra, afin de me saisir d'Abou Zian et de faire rentrer cette peuplade dans le devoir. En arrivant chez eux, nous apprîmes qu'Abou Zian les avait quittés et qu'il se trouvait actuellement à Ouergla, ville située dans le désert, et dont le gouverneur, Abou Bekr Ibn Soleiman, venait de lui accorder sa protection. Les Aulad Yahya reprirent alors le chemin de leurs cantonnements, et j'allai rejoindre ma famille à Biskera. J'écrivis de là au sultan, l'instruisant du résultat de notre expédition et, en attendant ses ordres, je continuai à y faire ma résidence.

Je rentre dans le Maghreb el-Acsa.

Pendant que je travaillais à Biskera pour le service du sultan Abd el-Azîz, je vivais sous la protection d'Ahmed Ibn Mozni, seigneur de cette ville. Il tenait sous sa main toutes les tribus rîahides, et, comme il leur faisait passer les subventions le sultan leur accorque dait, elles suivaient ses conseils dans presque toutes les affaires qui les concernaient. S'étant bientôt aperçu de l'influence que j'exerçais sur ces Arabes, il en fut vivement contrarié; regardant comme vrai ce qu'il soupçonnait, il écouta tous les rapports, même les plus contradictoires, que les délateurs lui adressaient à mon sujet, jusqu'à ce qu'enfin, dans un accès d'emportement, il écrivit une lettre de

1

Le pays des Ghomra, ou Ghomera,

forme maintenant le territoire des Aulad Nail. Il est situé immédiatement au nord

est du groupe de montagnes nommé le Djebel Amour. On le traverse avant d'arriver à Laghouat.

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