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son sultan Es-Said, fils d'Abou Eïnan. Ibn Merzouc vint alors me remettre un billet dans lequel le sultan Abou Salem me pressait de le seconder, et me promettait les récompenses les plus flatteuses et une forte somme d'argent. J'allai trouver les chefs mérinides et les grands officiers de l'empire, afin de les décider en faveur d'Abou Salem. Aussitôt qu'ils eurent donné leur consentement, Ibn Merzouc somma El-Hacen Ibn Omar de reconnaître l'autorité du sultan Abou Salem, et ce vizir, fatigué de la longueur du siége, s'empressa d'obéir. Les autres chefs mérinides prirent alors la résolution d'abandonner Mansour Ibn Soleïman et d'occuper la Ville-Neuve. Ce projet ayant réussi, je me rendis auprès du sultan Abou Salem avec une députation composée de plusieurs grands officiers de l'empire. Parmi eux se trouva Mohammed Ibn Othman Ibn el-Kas, le même qui, plus tard, exerça une autorité illimitée dans le Maghreb. Son empressement à nous joindre fut l'origine de sa fortune. Ce fut alors que, par mon influence, il obtint son premier commandement. Arrivé au Safîha, je communiquai au sultan la nouvelle des événements qui venaient de se passer dans l'état, et je l'informai que les Mérinides avaient déposé Mansour Ibn Soleiman selon leur promesse. Je le décidai en même temps à se mettre en marche pour la capitale. Nous apprîmes en chemin que Mansour s'était enfui vers les environs de Badis (Vélez de Gomera), que les Mérinides avaient pris possession de la Ville-Neuve et qu'El-Hacen Ibn Omar venait de proclamer la souveraineté d'Abou Salem. Parvenus à El-Casr el-Kebîr 1, nous rencontrâmes les tribus et les troupes qui avaient reconnu l'autorité du sultan; elles étaient rangées sous leurs drapeaux respectifs, et avec elles se trouvait Mesaoud Ibn Rahhou Ibn Maçaï, ex-vizir de Mansour Ibn Soleïman. Le prince accueillit Mesaoud avec tous les égards dus à un homme aussi distingué et le nomma son vizir en second. Il avait déjà choisi pour premier vizir El-Hacen Ibn Youçof el-Ourtadjni, personnage que Man

dynastie mérinide, venait d'être proclamé sultan par le vizir Mesaoud Ibn Rahhou, qui commandait à Tlemcen.

1

Ville forte, située sur le chemin qui mène de Tanger à Fez. (Voy. sur le nom de cette forteresse Hist. des Berb. t. I, p. LXXVI.)

sour avait renvoyé de la capitale avec ordre de passer en Espagne, et dont le sultan fit la rencontre à Ceuta. Abou Salem, ayant réuni toutes ses troupes, partit d'El-Casr et marcha sur Fez. El-Hacen Ibn Omar sortit de la ville pour le recevoir et se mettre sous ses ordres. Ce fut au milieu du mois de châban de l'an 760 (juillet 1359 de J. C.) que le sultan fit son entrée dans la capitale (Fez). Il y avait seulement quinze jours que je m'étais rallié à lui, et maintenant je me trouvais faisant partie de son cortége. Il me sut bon gré de l'empressement que j'avais mis à embrasser sa cause, et je devins son secrétaire privé, chargé de rédiger et d'écrire sa correspondance. Je rédigeais la plupart de ces pièces dans un style simple et facile, bien que je fusse alors sans rival dans l'art de donner aux phrases le tour cadencé qui caractérise la prose rimée. Cela tenait à ce que ce dernier genre de composition était peu cultivé par les Maghrebins et qu'il leur présentait des expressions dont la portée leur échappait. Pour le style ordinaire, le cas était différent; (ils l'entendaient trèsbien) et les gens du métier goûtaient fort celui dont je me servais1.

Je me mis alors à cultiver la poésie, et je composai un grand nombre de pièces qui étaient, du reste, assez médiocres 2.

Ibn Merzouc, ayant été admis dans la familiarité du sultan, parvint à captiver son esprit. Dès lors je cessai de me mettre en avant et je m'occupai uniquement de mes devoirs comme secrétaire privé,

1 Voici le texte de ce passage d'après le manuscrit de Paris et celui de Leyde. Les variantes offertes par ce dernier manuscrit sont placées entre des parenthèses :

كان (وكان اكثرها يصدر عنى بالكلام المرسل ان يشاركنى أحد ممن سجل الكتابة في الأسجاع لضعف انتحالها وخفى العالى وخفاء المعانى منها على أكثر الناس بخلاف المرسل فانفردت به يومئذ وكان مستعذبا (مستغربا) عندهم

L'auteur emploie ici la particule avec

la signification de Y. Le texte de ses prolégomènes offre encore quelques exemples de l' négatif.

2 Ibn Khaldoun donne ici cinq morceaux de vers qu'il avait récités devant le sultan. Ils sont assez bien tournés et montrent que l'auteur savait s'exprimer en vers avec facilité et élégance. Je donne ici le premier morceau, mais je ne réponds pas de l'exactitude de la traduction, vu que le texte est loin d'être satisfaisant sous le point de vue de la correction. J'ai toutefois essayé de le rétablir, avec l'aide

rédacteur et écrivain de la correspondance et des ordonnances du souverain. Vers la fin de son règne, Abou Salem me chargea du

du manuscrit de Paris et de celui de Leyde, mais un des vers est tellement altéré, que je n'ai pu ni le rectifier, ni le

comprendre. Les copistes, en transcrivant ces fragments, n'en avaient presque rien entendu.

اشرفن في هجرى وفى تعذيبي واطلن موقف عبرتي ونحيبي وابين يوم البين وقفة ساعة لوداع مشغوب الفؤاد كئيب الله عهد الطاعنين وغادروا قلبي رهين صـبــابـة ووجـيـب غربت ركائبهم ودمعى سايح فشرقـت بـعـدهم بماء غـروب يا ناقعا بالعتب غلة شوقهم رحماك في عـذلي وفي تـانـيـب يستعذب الصب الملام وانتى ماء الملام لدى غير شروب ما ها جني طرب ولا اعتاد الجوى لولا تذكر منزل وحبيب اعفو الى الاطلال كانت مطلعا للبدر منهم أو كناس ربـيـب عبثت بها ايدى البلد وتردّدت فى عطفها للدهرات خطوب تبلى معاهدها وان عهودها ليجدها وصفى وحسـن نـسـيـبي واذا الديار تعرّضت لمتيم هزته ذاكرها إلى التشبيب ايه على الصبر الجميل فانه الوى بدين فؤادِي المنهوب

-

Elles ont porté à l'extrême le désir de m'éviter et de m'affliger; elles ont fait durer pour moi une période de larmes et de lamentations. Au jour de notre séparation, elles ont refusé de s'arrêter un instant, afin de dire adieu à celui dont le cœur était troublé et agité. Je n'oublierai pas, hélas! le souvenir de ces voyageuses, qui ont livré mon cœur comme un otage aux désirs passionnés et à l'inquiétude. Leurs montures les emportaient pendant que je versais des pleurs, et, après leur départ, les flots de mes larmes faillirent m'étouffer. O toi qui essayes par des remontrances de guérir le désir que j'éprouve pour elles, sois miséricordieux dans tes semonces et dans tes réprimandes! Les autres amants trouvent une douceur dans les reproches de leurs censeurs, mais la censure est pour moi un breuvage que je ne saurais avaler. La joie ne m'excite plus, les peines de l'amour me sont intolérables, tant que je ne pense pas à la demeure où séjournait ma bien-aimée. Je me hâte vers les restes de cette chaumière, qui était l'orient où se levait la lune (de la beauté), et l'asile où l'on avait élevé (cette jeune gazelle). — Mais les mains de la ruine se sont jouées avec cette habitation; elles y sont retournées à plusieurs reprises; que de vicissitudes dans le cours des années! Le temps a effacé tout ce qui pouvait faire reconnaître ce lieu; mais je puis en renouveler les souvenirs par une description exacte et par un poëme à la louange de ma maîtresse. - Quand l'habitation (de la bien-aimée) se présente aux yeux de celui que l'amour a rendu captif, elle l'excite, pendant qu'il recueille ses souvenirs, à célébrer la beauté de celle qu'il aime. Hélas! où se trouve maintenant ma patience si exemplaire? Cette femme a enlevé mon

redressement des griefs', et me procura ainsi l'occasion de faire droit aux justes réclamations de bien du monde; j'espère que Dieu m'en tiendra compte! Pendant ce temps je fus en butte aux calomnies d'Ibn Merzouc, qui, poussé par la jalousie et l'envie, cherchait à me nuire auprès du prince, et non-seulement à moi, mais à toutes les autres personnes qui remplissaient des postes élevés dans

الاسام

كل قشيب

لم انسنا والدهر يثنى صرفه ويغض طرقي حـاسـد ورقـيـب والدار مونقة بما لبست من با سايق الاظعان يعتسف الفلا ويواصل الآساد (الاصال) بالتاويب متهافتا عن رحل كل مذلّل نشوان من اين ومس لغوب صبا وجنوب تجاذب النفحات فضل ردائه في ملتقاها

من

ان هام من ظمء الصبابة تحبه نهلوا الدجى بـغـرامـه المـشـبـوب
في كل شعب منية من دونها هجر الاماني او لقاء شـعـوب
هلا عطفت صدورهن الى التي فيها لـبـانـه اعـيـن وقـلـوب
من تثريب
مامنا يكفيك ما تخشاه

فتوم من

اكناف يثرب

حيث النبوة آيها مجلوة تتلوا من الآثار كل غريب له بالمحجوب سرُّ عجيب لم تجبه الثرى ماكان سر سه با

cœur et n'avoue pas qu'elle l'a pris.

Pendant les atteintes de l'adversité et pendant que les envieux

et les espions baissaient les yeux avec dépit...

[Une lacune de deux mots ou cinq syllabes se fait remarquer dans le vers suivant et le rend inintelligible. Dans les vers qui viennent après, le poëte paraît s'adresser à lui-même.]

voyage,

brûlés

O toi qui pousses tes chameaux au hasard dans le désert! toi qui prolonges tes marches depuis le matin jusqu'au soir! — toi qui te laisses tomber du chameau le mieux dressé! toi que la fatigue et les atteintes de la lassitude ont rendu comme un homme ivre! — toi auquel les vents du midi et de l'occident essayent d'arracher l'ample manteau quand ils se rencontrent! - si tes compagnons de par l'ardeur de l'amour, errent à l'aventure, la passion qui embrase ton coeur sera pour eux, chaque nuit, une fontaine où ils pourront étancher leur soif. Chaque désir qui n'est pas dirigé vers la bien-aimée nous amène le désappointement et nous expose à la mort. Pourquoi ne diriges-tu pas les poitrails de tes chameaux vers le seul objet qui puisse satisfaire à nos yeux et à nos coeurs. Pourquoi ne vas-tu pas à Médine, où tu trouveras un abri contre les reproches dont tu as peur? - (Marche vers ce lieu) où les signes du prophétisme se sont manifestés à tous, où l'on récite des versets (du Coran) renfermant des histoires merveilleuses; (du Coran,) mystère admirable, que la terre ne saurait cacher dans son sein, car rien ne peut dérober à la vue les mystères de Dieu!

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l'État. Il fut ainsi la cause de la chute du souverain; le vizir Omar Ibn Abd-Allah, s'étant emparé de la capitale, rallia tous les Mérinides autour de lui et prononça la déchéance d'Abou Salem. Cette révolution coûta la vie au sultan, ainsi que nous l'avons raconté dans notre Histoire de la dynastie mérinide 1.

Le vizir Omar, s'étant mis à la tête des affaires, me confirma dans mes fonctions et m'accorda une augmentation d'icta et de traitement. Mais l'imprudence de la jeunesse me porta à viser plus haut, et à compter sur l'amitié d'Omar pour en user très-familièrement avec lui. Notre intimité s'était formée pendant le règne d'Abou Eïnan, à l'époque où je m'étais lié avec l'ex-émir de Bougie, le prince Abou Abd-Allah Mohammed. Omar était alors en tiers avec nous, et sa conversation faisait le charme de nos réunions. Abou Eïnan en conçut une telle méfiance, comme je l'ai déjà dit, qu'il me fit arrêter, ainsi que le prince Mohammed, tout en fermant les yeux sur la conduite d'Omar, dont le père était alors gouverneur de Bougie. Maintenant qu'Omar était tout-puissant, je présumai trop de mon influence sur lui; puis, trouvant qu'il montrait peu d'empressement à m'accorder la place que j'ambitionnais, je cessai de le voir et, dans mon mécontentement, je ne me présentai plus au palais du sultan. Dès lors il changea entièrement de sentiments à mon égard et me témoigna tant de froideur que je demandai l'autorisation de m'en retourner dans ma ville natale. Cette faveur me fut refusée; la dynastie des Abd el-Ouadites venait de se rétablir dans Tlemcen et d'étendre son autorité sur tout le Maghreb central 2; je pouvais faire plaisir à leur sultan Abou Hammou en me rendant auprès de lui, et pour cette raison le vizir repoussa mes sollicitations. Je persistai néanmoins dans mon intention et, au premier du mois de chouwal 763 (24 juillet 1362 de J. C.), j'obtins, par l'entremise du vizir Mesaoud Ibn Maçaï, gendre et lieutenant d'Omar, la permission de réciter à celui-ci un poëme dans

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