Images de page
PDF
ePub

La province du Zab, appelée aussi les Ziban, était administrée, au nom du sultan hafside, par le seigneur de Biskera, qui était toujours un membre de la famille Mozni. Les Aoulad Abi 'l-Leïl et les Mohelhel, deux familles rivales, également puissantes, tenaient sous leurs ordres une foule de tribus nomades appartenant, comme elles, à la race arabe et presque toujours en révolte contre le gouvernement de Tunis. Le royaume des Hafsides se nommait l'Ifrîkiya.

Les Abd el-Ouad, dynastie berbère, venaient d'être détrônés par Abou 'l-Hacen, sultan des Mérinides. Ils avaient possédé les contrées qui s'étendent depuis le Molouïa, du côté de l'occident, jusqu'à la ville de Médéa et de Dellys du côté de l'orient. Leur capitale était Tlemcen. Après la mort d'Abou 'l-Hacen, ils rétablirent leur autorité dans ce pays.

Les Mérinides, troisième dynastie berbère, gouvernaient les provinces qui composent, de nos jours, l'empire de Maroc.

Le sultan hafside Abou Bekr, surnommé Abou Yahya, mourut au mois de redjeb 747 (octobre 1346) et eut pour successeur son fils Abou Hafs Omar. Le nouveau souverain, ayant appris que son frère, héritier désigné du trône, et gendre du sultan mérinide Abou 'l-Hacen, marchait contre lui, s'enfuit de la capitale et alla s'enfermer dans la ville de Bedja, l'ancienne Vacca, située à environ dix-sept lieues ouest de Tunis; mais, cinq semaines plus tard, il pénétra à l'improviste dans Tunis et tua son rival. A cette nouvelle, Abou 'l-Hacen manifesta une vive indignation et, sous le prétexte de venger la mort de son gendre, il fit des préparatifs pour la conquête de l'Ifrîkiya. S'étant mis à la tête d'une armée immense, il partit de Tlemcen, qu'il venait d'enlever aux Abd el-Ouadites et, pendant sa marche, il rassembla sous ses drapeaux les tribus arabes qui occupaient les campagnes de Constantine, de Bougie et de Tunis. Dans

D.

cette expédition il se fit accompagner par Ibn Tafraguîn, politique habile et ex-ministre de l'usurpateur Abou Hafs Omar. Au mois de djomada 748 (septembre 1347 de J. C.), il prit possession de Tunis, et Abou Hafs Omar, qui s'était enfui vers le désert, fut fait prisonnier et mis à mort. Un seul acte d'imprudence enleva au vainqueur les fruits de sa conquête et le trône du Maroc : ayant privé les tribus arabes des pensions et des ictâ qu'elles tenaient du gouvernement hafside, il indisposa ces nomades contre son gouvernement et se fit battre par eux sous les murs de Cairouan. Cette rencontre, appelée depuis la catastrophe de Cairouan, le mit dans la nécessité de s'enfuir à Souça et de s'embarquer pour Tunis, où les Arabes vinrent bientôt l'assiéger. Le faux bruit de sa mort se répandit jusqu'à Tlemcen, et son fils Abou Eïnan, qu'il y avait laissé comme son lieutenant, passa dans le Maghreb et s'empara de l'autorité suprême. Abou 'l-Hacen s'embarqua pour regagner son royaume et faire rentrer son fils dans l'obéissance. Il partit de Tunis l'an 750 (1349), au cœur de l'hiver, après avoir confié le gouvernement de cette ville à son fils Abou 'l-Fadl. Échappé miraculeusement au naufrage de sa flotte, il rentra dans ses États et livra une bataille à Abou Eïnan. Trahi encore par la fortune, il chercha un asile chez les Hintata, tribu berbère établie dans l'Atlas, où il mourut de fatigue et de chagrin.

L'émir El-Fadl, prince hafside, se rendit maître de Tunis et de l'Ifrîkiya après le départ précipité de sultan Abou 'l-Hacen. Au mois de juillet 1350, il fut déposé et mis à mort par Ibn Tafraguîn, qui, après s'être enfui en Égypte, pour échapper à la vengeance du sultan Abou 'l-Hacen, qu'il avait trahi à Cairouan, venait de rentrer à Tunis et de faire proclamer khalife le prince Abou Ishac, fils du feu sultan Abou Yahya Abou Bekr. Ces renseignements, tirés de l'Histoire des Berbers, d'Ibn

Khaldoun, suffiront pour rendre plus intelligibles les indications que l'auteur va donner dans cette partie de son autobiographie. Avant de reprendre son récit, il présente au lecteur deux longs extraits d'un poëme composé par un Tunisien nommé Er-Rahouï à la louange d'Ibn Ridouan, personnage dont le nom vient d'être mentionné. Il reproduit aussi un long fragment d'un autre poëme composé par son professeur, Abd el-Moheïmen, en l'honneur du même Ibn Ridouan. Ces

morceaux offrent tous les défauts que l'on remarque dans les poëmes arabes de cette époque de décadence, et, comme ils ne renferment rien d'intéressant, je n'essaye pas de les traduire.

Au commencement de l'année 749 (avril 1348 de J. C.) les Arabes nomades défirent le sultan Abou 'l-Hacen auprès de Cairouanet, quelque temps après, survint la grande peste. Plusieurs des docteurs dont je viens de parler en furent les victimes; Abd el-Moheïmen y succomba ainsi que mon père.

Aussitôt après la catastrophe de Cairouan, le peuple de Tunis s'insurgea contre les partisans du sultan Abou 'l-Hacen et les contraignit à s'enfermer dans la citadelle auprès du fils et des femmes de ce prince. Ibn Tafraguîn répudia alors l'autorité d'Abou 'l-Hacen et sortit de Cairouan pour se joindre aux Arabes qui bloquaient la place et qui venaient de proclamer la souveraineté d'Ibn Abi Debbous (un descendant du dernier khalife almohade de Maroc 2). Ayant ensuite reçu de ces nomades la mission de réduire la citadelle de Tunis, il se rendit dans cette ville; mais la forteresse résista à tous ses efforts. Au jour du soulèvement, Abd el-Moheïmen vint se réfugier chez mon père, et demeura caché dans notre maison près de trois mois. Le sultan Abou 'l-Hacen, étant alors parvenu à sortir de Cairouan, se rendit à Souça, où il s'embarqua pour Tunis, d'où Ibn Tafraguîn s'était enfui pour se

1

Voyez l'Histoire des Berbers, t. III, p. 34, et t. IV, p. 266 et suiv. 2 Histoire des Berbers, t. III, p. 33.

rendre en Orient. Abd el-Moheïmen quitta son lieu de retraite et fut réintégré par le sultan dans la place d'écrivain de l'alama et de secré

taire d'état1.

Je suis nommé écrivain de l'alama par le gouvernement de Tunis; je passe ensuite dans le Maghreb, où je deviens secrétaire du sultan Abou Einan.

Depuis ma jeunesse je me suis toujours montré avide de connaissances; et j'ai mis un grand zèle à en acquérir et à fréquenter les écoles et les cours d'instruction. Après la grande peste qui enleva nos hommes les plus distingués, nos savants, nos professeurs, et qui me priva aussi de mon père et de ma mère, j'assistai régulièrement aux cours du professeur Abou Abd-Allah el-Abbeli, et, après trois années de travaux sous ce maître, je trouvai enfin que je savais quelque chose. Quand le sultan Abou Eïnan le rappela auprès de lui, Abou Mohammed Ibn Tafraguîn, qui était alors tout-puissant à Tunis, me fit inviter à remplir la place d'écrivain de l'alama auprès de son souverain, Abou Ishac. Ce prince venait de faire des préparatifs militaires afin de résister à l'émir Abou Zeïd, petit-fils du sultan Abou Yahya Abou Bekr et seigneur de Constantine, qui, poussé et secondé la tribu arabe des Aoulad Mohelhel2, avançait pour par l'attaquer. Ibn Tafraguîn fit marcher contre lui le sultan Abou Ishac et la tribu arabe des Aoulad Abi 'l-Leïl. Il venait de payer la solde de la troupe et d'organiser les différentes branches de l'administration,

1 L'auteur insère ici un billet de remercîments, renfermant sept vers, et adressé à son père par Abd el-Moheimen. Il donne ensuite plusieurs notices biographiques, dans lesquelles il s'étend assez longuement sur l'histoire des principaux savants qui avaient accompagné le sultan Abou 'l-Hacen en Ifrikiya. En voici la liste: Les deux fils de l'imam, savoir: Abou Zeid Abd erRahman et Abou Mouça Eiça, fils d'un imam de Brechk, ville maintenant ruinée et dont l'emplacement, nommé encore

Brekche par les indigènes, se voit auprès de la mer, entre Ténès et Cherchel; Mohammed Ibn Soleiman es-Sitti; Mohammed Ibn Ibrahîm el-Abbeli; Abd-el-Moheimen; Ibn Ridouan; Abou 'l-Abbas ezZouaoui; Mohammed Ibn es-Sabbagh ; Abou Abd-Allah Ibn Abd en-Nour, et un frère de celui-ci; Abou Abd-Allah Ibn enNahhâs; Abou 'l-Abbas Ibn Choaib et Ibn Merzouc. Pour éviter les longueurs, je supprime ces notices.

2 Histoire des Berbers, 1 t. III, p. 44.

quand il me choisit pour remplacer Ibn Omar, l'écrivain de l'alama, qu'il venait de destituer parce qu'il avait exigé une augmentation d'appointements. Dès lors j'écrivis l'alama au nom du sultan, c'està-dire, je traçai en gros caractères, sur les décrets et lettres impériales, les mots el-hamdo lillahi ouas-chokro lillah (louange à Dieu et reconnaissance à Dieu) entre le bismillah1 et la suite du texte.

Vers le commencement de l'an 753 (mars-avril 1352 de J. C.), je sortis de Tunis avec l'armée, mais j'étais bien décidé à la quitter aussitôt que j'en trouverais l'occasion, tant j'éprouvais d'ennui d'être séparé de mes professeurs et mis dans l'impossibilité de poursuivre mes études. Dejà, lorsque le flot de l'invasion mérinide se fut retiré du sol de l'Ifrîkiya pour rentrer dans son lit et que cette tribu, ayant pris le chemin du Maghreb, pays où il avait ses cantonnements, eut ramené avec elle les savants et les cheïkhs qui l'avaient accompagnée dans l'expédition (contre Tunis), je m'étais proposé d'aller les joindre; mais mon frère aîné Mohammed me décida à y renoncer. J'acceptai donc la charge d'écrivain de l'alama, mais avec l'espoir de pouvoir accomplir mon projet et passer dans le Maghreb. Ce que j'avais prévu arriva. Sortis de Tunis, nous allâmes camper dans le pays des Hoouara 2; nous rencontrâmes l'ennemi dans la plaine de Mermadjenna3, et là nous vimes la déroute totale de notre armée. Je me réfugiai à Obba', chez le cheïkh Abd er-Rahman el-Ousnafi 5, principal marabout de cette localité. De là je passai à Tebessa, et je m'arrêtai pendant quelques jours chez Mohammed Ibn Abdoun, seigneur de cette ville. Les routes étant alors devenues plus sûres, je partis avec quelques Arabes qui s'étaient offerts pour m'accompagner, et, arrivé à Gassa o, j'y passai plusieurs jours en attendant le moment où la route n'offrirait plus de danger.

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »