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d'(El-Ouathec) El-Makhlouê 1. Après la bataille de Mermadjenna, si funeste pour les Hafsides, notre grand-père Mohammed, qui y avait assisté, parvint à s'échapper avec Abou Hafs, fils de l'émir Abou Zékérïa; accompagnés d'El-Fazazi et d'Abou 'l-Hoceïn Ibn Seïd en-Nas, ils se réfugièrent dans Calât-Sinan 2. El-Fazazi était client d'Abou Hafs, et celui-ci le traitait avec une prédilection marquée. Ibn Seïd en-Nas, qui avait tenu un rang plus élevé qu'El-Fazazi dans Séville, leur ville natale, en éprouva un si vif mécontentement, qu'il alla joindre le prince Abou Zékérïa (fils d'Abou Ishac) à Tlemcen, où il lui arriva ce que nous avons raconté (dans l'histoire des Berbers 3). Quant à Mohammed Ibn Khaldoun, il resta auprès de l'émir Abou Hafs, qui, s'étant rendu maître de l'empire, concéda des ictá à ce fidèle serviteur, l'inscrivit sur la liste des chefs militaires et, l'ayant reconnu plus habile que la plupart des officiers de sa cour, le choisit pour succéder à El-Fazazi dans la charge de premier ministre. Abou Hafs eut pour successeur Abou Acîda el-Mostancer, le petitfils de son frère. Ce prince prit pour ministre Mohammed Ibn Ibrahîm ed-Debbagh, l'ancien secrétaire d'El-Fazazi, et Mohammed Ibn Khaldoun, à qui il donna la place de vice-hadjeb, conserva cet emploi jusqu'à la mort du souverain. L'émir (Abou 'l-Baca) Khaled, étant monté sur le trône, laissa à Ibn Khaldoun les honneurs dont il jouissait, mais ne l'employa pas. Abou Yahya Ibn el-Lihyani, qui lui succéda, prit Ibn Khaldoun en faveur, et eut à se louer de son habileté dans un moment où les Arabes nomades allaient s'emparer de l'empire. Il l'envoya défendre la presqu'île contre les Delladj, tribu soleïmide qui s'était établie dans cette région, et là encore Ibn Khaldoun se distingua. Après la chute d'Ibn el-Lihyani, il se rendit en Orient et s'acquitta du pèlerinage, l'an

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718 (1319 de J. C.). Ayant ensuite manifesté son intention de renoncer au monde pour se tourner vers Dieu, il fit un pèlerinage surérogatoire, l'an 723, et séjourna quelque temps dans le temple de la Mecque. Il conserva cependant, par la faveur du sultan Abou Yahya (Abou Bekr 1), tous les honneurs dont il avait déjà joui, ainsi qu'une grande partie des concessions et des pensions qu'il avait obtenues de l'État. Ce prince l'invita même plusieurs fois, mais inutilement, à prendre la place de premier ministre. A ce sujet, Mohammed Ibn Mansour Ibn Mozni 2 me fit un récit que je rapporte ici : « Le hadjeb Mohammed Ibn Abd el-Azîz el-Kordi, surnommé ElMizouar3, mourut en l'an 727 (1327), et le sultan appela ton grandpère auprès de lui, afin de le prendre pour hadjeb et conseiller intime. Ne pouvant le décider à accepter ces places, il demanda son avis pour le choix d'une personne capable de bien remplir l'office de hadjeb. Mohammed Ibn Khaldoun lui désigna le gouverneur de Bougie, Mohammed, fils d'Abou 'l-Hoceïn Ibn Seïd en-Nas, comme pouvant le remplir parfaitement, tant par ses talents que par son habileté. Il lui rappela aussi que, depuis longtemps, la famille de cet officier avait servi celle du souverain à Séville et à Tunis. C'est un homme, dit-il, très-capable de remplir ce poste par son savoirfaire et par l'influence que lui donne le nombre de ses clients. Le prince, ayant agréé ce conseil, fit venir Ibn Seïd en-Nas, et l'établit dans la place de hadjeb. » Toutes les fois que le sultan Abou Yahya (Abou Bekr) sortait de Tunis, il en confiait le commandement à mon grand-père, dont l'intelligence et le dévouement lui inspiraient une confiance sans bornes.

En l'an 737 (1336-1337 de J. C.), lors de la mort de mon grandpère, mon père, Abou Bekr Mohammed, quitta la carrière militaire

1 Par une anomalie dont on connaît quelques exemples, ce prince avait reçu, comme nom propre, le surnom d'Abou Bekr. (Voy. son règne dans l'Histoire des Berbers, t. II et III.)

2 Célèbre émir de Biskara et du Zab. (Voy. l'Histoire des Berbers, t. III, p. 124 et suiv.)

3 Le chambellan introducteur. (Voy. Histoire des Berbers, t. II, p. 466, 467.)

et administrative pour suivre celle de la science (la loi) et de la dévotion. Il était d'autant plus porté à ce genre de vie, qu'il avait été élevé sous les yeux du célèbre légiste Abou Abd-Allah ez-Zobeïdi (var. er-Rondi), l'homme de Tunis le plus distingué par son profond savoir et par son talent comme mufti (légiste consultant), et qui s'était adonné aux pratiques de la vie dévote, à l'exemple de son père, Hoceïn, et de son oncle, Hacen, deux célèbres ascètes (ouéli). Du jour où mon grand-père renonça aux affaires, il resta auprès d'Abou Abd-Allah, et mon père, qu'il avait mis entre les mains de ce docteur, s'appliqua à l'étude du Coran et de la loi. Il cultivait avec passion la langue arabe et se montrait versé dans toutes les branches de l'art poétique. Des philologues de profession avaient même recours à son jugement, fait dont j'ai été témoin, et ils soumettaient leurs écrits à son examen. Il mourut de la grande peste de l'an 7491.

De mon éducation.

Je naquis à Tunis, le premier jour du mois de ramadan 732 (27 mai 1332 de J. C.), et je fus élevé sous les yeux de mon père jusqu'à l'époque de mon adolescence. J'appris à lire le saint Coran sous un maître d'école nommé Abou Abd-Allah Mohammed Ibn Saad Ibn Boral el-Ansari, originaire de Djaïala 2, lieu de la province de Valence (en Espagne). Il avait étudié sous les premiers maîtres de cette ville et des environs, et surpassait tous ses contemporains dans la connaissance des leçons coraniques 3. Un de ses précepteurs dans les sept leçons fut le célèbre Abou 'l-Abbas Ahmed Ibn Mohammed el

1

La peste noire de l'an 1349 de J. C. 2 Var. Djabiâ.

3 Parmi les premiers musulmans qui savaient par cœur le texte entier du Coran et qui le transmettaient de vive voix à leurs disciples, il y en avait sept dont l'autorité, comme traditionnistes coraniques, était universellement reconnue. Ils n'étaient pas

toujours d'accord sur la manière de prononcer certains mots, ni sur l'emploi des pauses et des intonations qui accompagnent la récitation du texte; aussi fut-on obligé de reconnaître que l'on possédait sept leçons ou éditions du Coran, toutes également authentiques.

C.

Betrani, savant lecteur, qui avait étudié sous des maîtres d'une autorité reconnue. Après avoir appris par cœur le texte du Coran, je le lus selon les sept leçons, sous Ibn Boral, en prenant d'abord chaque leçon séparément et ensuite les réunissant toutes. Pendant ce travail, je repassai le Coran vingt et une fois; puis je le relus encore une fois en rapportant toutes les leçons. Je le lus une autre fois selon les deux leçons enseignées par Yacoub1. Deux ouvrages que j'étudiai aussi sous mon maître, en profitant de ses observations, furent le poëme d'Es-Chatebi sur les leçons coraniques, intitulé Lamiya, et un autre poëme du même auteur sur l'orthographe du Coran, et intitulé Raiya2. Il me donna, à ce sujet, les mêmes renseignements didactiques qu'il avait lui-même reçus d'El-Betrani et d'autres maîtres. Je lus aussi sous sa direction le Tefassi (i), ouvrage qu'Ibn Abd el-Berr composa sur les traditions rapportées dans le Mowatta3, et dans lequel il suivit le plan de son autre ouvrage sur le même sujet, le Temhid, mais en se bornant uniquement aux traditions. J'étudiai encore sous lui un grand nombre de livres, entre autres le Teshil d'Ibn Malek, et le Mokhtacer, ou abrégé de jurisprudence, d'Ibn el-Hadjeb; je n'ai cependant appris par cœur le texte entier ni de l'un ni de l'autre. Pendant le même temps, je cultivai l'art de la gram

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maire sous la direction de mon père, et avec l'aide de plusieurs éminents maîtres de la ville de Tunis, savoir:

1o Le cheikh Abou Abd-Allah Mohammed Ibn el-Arebi el-Hasaïri', savant grammairien et auteur d'un commentaire sur le Teshil.

2° Abou Abd-Allah Mohammed Ibn es-Chouach ez-Zerzali. 3o Abou 'l-Abbas Ahmed Ibn el-Cassar, grammairien d'un grand savoir, et auteur d'un commentaire sur le Borda, poëme célèbre renfermant les louanges du Prophète. Il vit encore et habite Tunis.

4° Abou Abd-Allah Mohammed Ibn Bahr, le premier grammairien et philologue de Tunis. J'assistai assidûment à son cours de leçons, et je reconnus qu'en effet cet homme était un véritable bahr (océan)2 de science pour tout ce qui avait rapport à la langue (arabe). D'après ses conseils, j'appris par cœur les six poëtes 3, le Hamaça, les poésies (d'Abou Temmam) Habib, une partie des poëmes d'ElMotenebbi et plusieurs pièces de vers rapportées dans le Kitab elAghani".

5o Chems ed-Dîn Abou Abd-Allah Mohammed Ibn Djaber Ibn Soltan el-Caïci (var. El-Anci), natif de Guadix et auteur de deux récits de voyage. Il était chef traditionniste de Tunis. Je suivis son cours avec assiduité et je l'entendis expliquer le Mowatta en entier, et l'ouvrage de Moslem Ibn Haddjadj 5, à l'exception d'une petite portion du chapitre relatif à la chasse. Il m'enseigna aussi une partie des cinq traités élémentaires o, me communiqua un grand nombre d'ouvrages sur la

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