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A la suite de la préface, on trouve un chapitre inédit qui remplit deux pages et demie et qui renferme un éloge pompeux du sultan Barcouc, souverain d'Égypte. L'auteur désigne ce prince par le titre de notre seigneur, le roi victorieux, Moulana el-Melek ed-Dhaher Abou Said, et il lui dédia cet exemplaire de son ouvrage, qu'il intitula, à cette occasion, «Le Dhaherien, traitant des exemples instructifs offerts par l'histoire des Arabes, des peuples étrangers et des Berbers. » Il présenta cet exemplaire à la bibliothèque du prince, ce qui dut avoir lieu entre les années 784 (1382 de J. C.) et 801 (1399); la première date étant celle de l'avénement de Barcouc, et la seconde, celle de sa mort.

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Les variantes marquées D ont été prises dans le tome I du manuscrit de la Bibliothèque impériale n° 7425, ainsi que je m'en suis assuré par un examen attentif. Le texte de ce manuscrit offre beaucoup de fautes, mais il fournit assez souvent de bonnes leçons. M. Quatremère a évidemment négligé de le collationner en entier; il s'est contenté de le consulter de temps en temps. Le copiste de ce manuscrit termina son travail l'an 1067 de l'hégire (1656 de J. C.); il n'indique pas le lieu où il écrivait.

Des quatre manuscrits dont M. Quatremère s'est servi, j'ai entre les mains ceux qu'il a désignés par les lettres A, C et D. J'ai collationné le texte de l'édition de Paris sur les deux derniers et sur un exemplaire de l'édition imprimée à Boulac en 1857, sous la direction d'un savant musulman nommé

نصر

, Nasr el-Hourîni. Cette édition forme un volume grand in-folio et renferme trois cent seize pages; elle porte un petit nombre de notes marginales rédigées par l'éditeur, et dont quelques-unes ont une certaine importance. A la suite de la préface d'Ibn-Khaldoun se trouve un chapitre dédicatoire qui rap

N.

D

pelle celui qu'on remarque dans le manuscrit C. Nous y lisons que l'auteur présenta cet exemplaire de son ouvrage à la bibliothèque de «l'émir des croyants, Abou Farès Abd el-Azîz, fils de notre seigneur, le grand sultan, champion de la foi, mort en odeur de sainteté, l'émir des croyants, Abou 'l-Hacen, sultan mérinide. Ensuite il ajoute : « Puisse l'ombre tutélaire de ce prince s'étendre sur tout le peuple; puissent les souhaits qu'il a formés pour le triomphe de l'islamisme recevoir leur accomplissement! » Cela indique qu'Abou Farès régnait encore. Plus loin il dit qu'il envoya cet exemplaire à la bibliothèque royale mérinide (), donnée par cette famille à la grande

,Fez (جامع القرويين) mosquée du quartier des Cairouanites

afin qu'elle fût mise à l'usage des étudiants.

Ici se présente une difficulté chronologique : l'émir des croyants (titre officiel des souverains mérinides) Abd el-Azîz, fils du sultan Abou 'l-Hacen, mourut l'an 774 de l'hégire (1372 de J. C.). Or, à cette époque, Ibn Khaldoun n'avait pas encore composé son ouvrage. Il le rédigea à Casr Ibn Selama, entre les années 776 et 779, ainsi qu'il nous l'apprend dans son autobiographie et dans une note ajoutée à la fin de ses Prolégomènes. Il est donc certain que le prince à qui il présenta cet exemplaire ne pouvait pas être Abou Farès Abd el-Azîz, premier sultan mérinide de ce nom, et l'on doit supposer que le copiste du manuscrit dont Nasr el-Hourîni s'était servi a introduit une confusion en abrégeant la généalogie du prince, laquelle était sans doute écrite de cette

امیر المومنين ابو فارس عبد العزيز ابن مولانا السلطان ابى العباس : manière احمد ابن مولانا السلطان ابى سالم ابراهيم ابن مولانا السلطان الكبير المجاهد ,c'est-a-dire, « l'émir des croyants المقدس امیر المومنين أبي الحسن الخ

Abou Farès Abd el-Azîz, fils de notre seigneur le sultan Abou 'l Abbas Ahmed, fils de notre seigneur le sultan Abou Salem

Ibrahîm, fils de notre seigneur le grand sultan, champion de la foi, mort en odeur de sainteté, Abou 'l-Hacen, émir des croyants, etc. »>

Abou Farès Abd el-Azîz, le second souverain qui porta ces noms, monta sur le trône l'an 796 de l'hégire (1393 de J. C.). Ibn Khaldoun avait terminé son ouvrage plusieurs années auparavant, et se trouvait alors en Égypte. On comprend alors pourquoi il envoya un exemplaire de son Histoire universelle au sultan mérinide, au lieu de le lui offrir en personne.

En marge de ce chapitre, dans l'édition de Boulac, il y a une note par laquelle l'éditeur nous apprend que, dans un autre manuscrit, écrit en caractères maghrebins, le même chapitre dédicatoire se présente avec quelques modifications. L'auteur y fait l'éloge du sultan hafside Abou l'-Abbas Ahmed, fils d'Abou Abd-Allah Mohammed, fils du khalife et émir des croyants, Abou Yahya Abou Bekr, et nous apprend qu'il présenta cet exemplaire de son ouvrage à la bibliothèque de ce souverain. Nous savons, par l'autobiographie, que cela eut lieu entre les années 780 (1378 de J. C.) et 783. L'éditeur de l'édition de Boulac fait observer que ce manuscrit est moins détaillé que celui de Fez, ce qui ne doit pas nous surprendre, l'auteur lui-même ayant déclaré qu'il avait fait des additions à son grand ouvrage après son arrivée en Égypte. La pré

sence de ces deux dédicaces dans l'édition de Boulac nous donne à supposer qu'elle représente le texte du manuscrit offert par Ibn Khaldoun à la bibliothèque des Mérinides, et que l'éditeur aura confronté ce texte avec le manuscrit présenté par l'auteur au sultan de Tunis. Je ne pense pas cependant que Nasr el-Hourîni les ait suivis bien exactement; on peut remarquer dans son édition des leçons évidemment inexactes et d'autres qu'aucun des manuscrits de Paris ne jus

tifie. On y voit aussi plusieurs passages qui, ayant été composés par l'auteur d'une manière incorrecte ou obscure, ont été redressés ou modifiés, afin d'être rendus plus intelligibles. Ces changements, à mon avis, ne sont pas toujours heureux; quelquefois même ils altèrent la pensée d'Ibn Khaldoun. Je dois ajouter que le compositeur égyptien n'a pas suivi exactement sa copie : quand deux phrases voisines se terminent par le même mot, il lui arrive très-souvent de sauter la seconde. L'édition de Paris reproduit une particularité offerte par les manuscrits A et B et assez importante pour être signalée ici. On y trouve, dans certains chapitres, de longs paragraphes qui sont évidemment des additions marginales, et l'on y remarque de plus, au commencement de la sixième section, six chapitres entiers qui manquent dans les manuscrits C et D et dans l'édition de Boulac. L'authenticité de ces additions me paraît hors de doute on y reconnaît le style d'Ibn Khaldoun, ses tournures peu correctes et même des renvois à d'autres chapitres des Prolégomènes. L'auteur les inséra très-probablement dans son ouvrage postérieurement à l'an 796 de l'hégire; car le manuscrit qu'il offrit au sultan Abou Farès ne les renferme pas. Le traducteur turc de la sixième et dernière section des Prolégomènes les a acceptées sans observation.

Les Prolégomènes se partagent en six sections. Dans la première, l'auteur traite de la science historique, de la société en général, des variétés de l'espèce humaine et des pays qu'elle occupe. Dans la seconde, il signale les caractères particuliers de la civilisation qui existe chez les nomades et les peuples à demi sauvages. Dans la troisième, il indique en quoi consiste le khalifat ou gouvernement spirituel et temporel, et la royauté, c'est-à-dire, le gouvernement uniquement temporel. Il fait aussi connaître les dignités qui existent nécessairement dans le kha

lifat et qui lui sont spéciales, ainsi que celles dont l'institution n'a lieu que sous le gouvernement temporel. Dans la quatrième, il trace le caractère de la civilisation qui résulte de la vie à demeure fixe, et il expose les causes de la prospérité et de la décadence des villes et des provinces, considérées comme centres de population. Dans la cinquième, il traite des arts, des métiers et de tous les autres moyens de se procurer la subsistance, et, dans la sixième, il s'occupe des sciences, de l'enseignement et de la langue arabe.

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En composant les Prolégomènes, l'auteur avait pour but principal de tracer le progrès de la civilisation dans les développements qu'elle avait pris jusqu'à son époque, et de fournir à ses lecteurs toutes les connaissances préliminaires que l'on doit posséder afin d'aborder avec fruit l'étude de l'histoire générale. Son esquisse géographique des sept climats n'est donc pas un hors-d'œuvre; ses articles sur le prophétisme, la divination et l'apparition du Mehdi, personnage mystérieux qui doit paraître avant la consommation des siècles, afin d'établir dans le monde le règne du bonheur universel, peuvent être justifiés par la grande importance que les musulmans attachent à ces sujets et le fait que plusieurs révolutions politiques ont eu pour auteurs des individus qui se donnaient pour le Mehdi, le descendant de la fille de Mohammed, le Fatemide attendu. D'autres chapitres, ceux qui traitent de la magie, des • talismans et de la cabale, entraient nécessairement dans un cadre qui devait offrir une idée générale de toutes les sciences, de tous les arts et même de toutes les folies de l'esprit humain. Les Prolégomènes, rédigés sur ce plan, forment une espèce d'encyclopédie dont les articles sont rangés avec une certaine régularité, et offrent une foule de notions dont on ne saurait méconnaître l'importance.

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