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voyer des espions à leur recherche. El-Yaçâ le Midraride, seigneur de Sidjilmessa, ayant découvert qu'ils se tenaient cachés dans sa ville, les fit mettre en prison afin de se concilier la bienveillance du khalife. Ces événements se passaient avant que les Chîïtes eussent enlevé aux Aghlebides la ville de Cairouan. Plus tard, la cause des Obeïdites triompha en Ifrîkiya et dans le Maghreb, puis dans le Yé- P. 31. men et à Alexandrie, puis en Égypte, en Syrie et dans le Hidjaz. De cette manière ils partagèrent par portions égales, avec les Abbacides, toutes les provinces de l'empire musulman. Ils furent même au moment de pénétrer dans le territoire qui restait aux Abbacides, et de se substituer à cette famille dans le gouvernement de l'empire. L'émir El-Bessasîri, natif du Deïlem, un des clients de la famille des Abbacides, avait proclamé l'autorité des Obeïdites à Baghdad et dans la partie de l'Irac qui en dépendait. Soutenu par ses compatriotes, il venait d'enlever le pouvoir au khalife abbacide, par suite d'un différend qui avait eu lieu entre lui et les émirs de la Perse1. Durant une année entière, il fit célébrer la prière publique au nom des Obeïdites dans toutes les mosquées de ce pays. Les Abbacides continuèrent, depuis lors, à subir les embarras les plus graves, tant à cause de la position que les Obeïdites avaient prise, que de l'empire qu'ils venaient de fonder. D'un autre côté, dans les régions au delà de la mer, les Omeïades espagnols lancèrent des anathèmes contre les Abbacides et leur déclarèrent la guerre. Comment de pareils succès auraient-ils pu être obtenus par des hommes qui se seraient attribué faussement une noble origine, et qui auraient employé le mensonge pour arriver au pouvoir? Voyez, par exemple, ce qui arriva au Carmat2, imposteur qui prétendait tirer son origine de Mohammed: la secte qu'il avait formée tomba dans l'anéantissement, Nessasiri, ayant pris la lettre B (?) pour un N (3).

'Togrul Bek le Seldjoukide, sultan de la Perse, prit la défense du khalife abbacide que Bessasîri avait chassé de Baghdad. (Voyez d'Herbelot, Biblioth. orient. BESSASIRI, et l'Histoire des Huns, t. II, p. 191 et suiv.) Deguignes a écrit ce nom Prolégomènes.

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son parti se débanda, la perversité et la fourberie de ses sectateurs furent bientôt dévoilées; toutes leurs entreprises manquèrent, et ils finirent par goûter les fruits amers de leur conduite. Si les Obeïdites avaient été des imposteurs comme eux, on aurait découvert la vérité tôt ou tard:

L'homme a beau dissimuler son véritable caractère, on finit toujours par le découvrir1.

La dynastie obeïdite se maintint pendant l'espace d'environ deux cent soixante et dix ans; elle était maîtresse de la station d'Abraham2, de son oratoire, de la patrie et du tombeau du Prophète, des lieux qui forment le but du pèlerinage, et qui avaient reçu les visites des anges. Pendant tout ce temps, les partisans de cette dynastie lui témoignèrent l'amour le plus vif, le dévouement le plus sincère, dans l'intime conviction qu'elle tirait son origine de l'imam Ismaël, fils de Djâfer es-Sadec. Après la chute de la puissance obeïdite et son entière extinction, ils prirent les armes à plusieure reprises pour soutenir la cause et les opinions religieuses de cette famille; ils proclamèrent la souveraineté de ses enfants; ils leur attribuèrent des droits au khalifat, et ils déclarèrent que leurs protégés tenaient ces P. 32. droits des dispositions testamentaires des imams antérieurs. S'ils

avaient eu le moindre doute sur la vérité de leur généalogie, ils n'auraient pas affronté les périls les plus grands pour soutenir ces prétendants. (D'ailleurs) tout novateur (est digne de foi qui) avance des faits où rien n'est louche' ni équivoque, et qui ne se contredit jamais dans ses déclarations. On s'étonne de voir le cadi Abou Bekr el-Bakillani, chef des théologiens spéculatifs, accueillir des bruits aussi faux, des opinions aussi mal fondées que celles dont nous avons présenté la réfutation. Si la détestation des principes impies

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que professaient les Chîïtes, et leur empressement à se plonger dans l'abîme de l'hérésie', lui avaient inspiré de la haine pour eux, cela ne devait pas l'empêcher de reconnaître la justice de leur cause; il aurait pu regarder leur généalogie comme certaine sans supposer que leur descendance de Mohammed les garantirait contre le châtiment dû à leur infidélité. Dieu, que son nom soit glorifié! a dit en parlant à Noé au sujet de son fils: Il n'est point de ta famille; il a commis une impiété; ne demande pas ce dont tu n'as aucune connaissance (Coran, sour. XI, vers. 48). Le Prophète, de son côté, a dit, dans une exhortation adressée à Fatema: «Ma fille, agis pour toi-même; car je ne serai d'aucune utilité pour toi auprès de Dieu 2. »

L'homme qui connaît un fait ou qui en acquiert la certitude est tenu, par devoir, de le publier. Dieu est véridique et nous dirige dans la bonne voie (Coran, sour. XXXIII, vers. 4); donc je ferai d'abord observer que les partisans de la famille d'Ali avaient été en butte aux soupçons du gouvernement abbacide, et se voyaient toujours sous la surveillance de leurs tyrans; ce qui leur était arrivé parce que la cause qu'ils soutenaient avait fait de grands progrès, et qu'ils s'étaient répandus dans les contrées les plus éloignées pour propager les doctrines de leur secte. A diverses reprises ils s'étaient révoltés contre l'autorité établie; de sorte que leurs chefs avaient dû se cacher et demeurer presque inconnus. C'en était au point qu'on aurait pu leur appliquer ce vers d'un poëte :

Si tu demandes aux hommes du jour quel est mon nom, ils ne le savent pas; si tu leur demandes où j'habite, ils l'ignorent..

pour cette raison

Ce fut que Mohammed, fils d'Ismaël l'imam, et P. 33. trisaïeul d'Obeïd-Allah le Mehdi3, reçut le surnom d'El-Mektoum (le

Selon الرافضية lisez الرافضة Pour

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la fraction de la secte chîite qui soutes nait la cause des Fatemides (ou Obeidites), l'imam (souverain spirituel et temporel) était une incarnation de la divinité. Dans un autre chapitre de ce volume, le lecteur trouvera une exposition des doc

trines professées par les diverses sectes
chîïtes.

Cela veut dire qu'au jour du juge-
ment Dieu n'aura pas plus d'égard pour
un membre de la famille de Mohammed
que pour tout autre individu.

Le fondateur de la dynastie fatemide.

Caché). Ce titre lui fut donné par ses partisans, qui, d'un accord unanime, lui avaient conseillé de se tenir caché pour échapper aux recherches de leurs puissants ennemis; aussi les adhérents de la famille abbacide profitèrent de cette circonstance pour attaquer la généalogie des Obeïdites, lorsque ceux-ci eurent pris le parti de se montrer hardiment à la face du monde. Ils voulaient, par ce misérable expédient, faire la cour à leurs faibles khalifes. Leurs courtisans et leurs généraux, chargés de combattre l'ennemi, adoptèrent ces calomnies avec empressement, dans l'espoir d'éloigner d'eux-mêmes et de leur souverain la honte de n'avoir pas su se défendre et repousser le peuple qui leur avait enlevé la Syrie, l'Égypte et le Hidjaz; nous voulons dire les Berbers-Ketamiens, partisans des Obeïdites et soutiens de leur cause. Cet esprit de calomnie alla si loin, que les cadis de Baghdad apposèrent leurs noms sur un document dans lequel il fut déclaré que les Obeïdites n'appartenaient point à la lignée du Prophète; et, pour donner plus de valeur à cette pièce, on la fit signer par plusieurs hommes distingués. Parmi ceux-ci on compte le cherif Er-Rida1, son frère El-Morteda 2, Ibn el-Bat'haoui, les jurisconsultes Abou Hamed el-Isferaïni 3, El-Codouri, Es-Saïmeri3, Ibn el-Akfani, El-Abîouerdi, Abou Abd-Allah Ibn en-Nôman, fakih

1 Le cherif Abou 'l-Hacen Mohammed er-Rida tirait son origine de l'imam Mouça 'l-Kadhem, descendant de Mohammed. Il jouissait de la plus haute considération à Baghdad, sa ville natale. Il y mourut en 406 (1015 de J. C.). Selon l'historien Ibn el-Athir, le cherif Er-Rida regardait les Obeïdites comme appartenant à la famille du Prophète. (Voy. l'Histoire des Berbers, t. II, p. 509, note 3.)

Abou 'l-Hacen Ali el-Morteda, frère du cherîf Er-Rida, se distingua comme théologien, comme poëte et comme littérateur. Il mourut à Baghdad, l'an 436 (1044 de J. C.).

3 Abou Hamed Ahmed el-Isferaïni, doc

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(chef jurisconsulte) des Chîïtes de Baghdad, et plusieurs autres notables de cette ville. Cela eut lieu en séance solennelle, l'an 402 (1011 de J. C.), sous le règne d'El-Cader. Leur déposition n'était basée que sur des ouï-dire et sur l'opinion publique qui régnait dans cette ville, opinion dont les soutiens les plus nombreux étaient les serviteurs de la dynastie abbacide, tous intéressés à repousser cette généalogie. Les historiens rapportèrent cette déclaration telle qu'ils l'avaient entendue ou apprise, sans se douter qu'elle était tout à fait contraire à la vérité. Les dépêches concernant Obeïd-Allah, que le khalife ElMotadhed adressa à l'émir aghlebide qui commandait à Cairouan et au prince midraride qui régnait à Sidjilmessa, sont un témoignage P. 34. irrécusable, une preuve manifeste que la généalogie des Obeïdites était parfaitement authentique1. Au reste, El-Motadhed s'était toujours montré plus empressé que personne à rabaisser les prétentions de ceux qui se donnaient se donnaient pour descendants du Prophète. D'ailleurs l'empire et le sultanat sont comme un marché public, où tout le monde apporte ses denrées en fait de sciences et d'arts; on s'y rend dans l'espoir de ramasser quelques faveurs du pouvoir; on y apporte de toute part des anecdotes et des histoires 2, car ce qui est bien reçu à la cour est bien reçu par le public. Si le gouvernement voulait agir avec franchise, éviter la partialité, renoncer à la corruption et à la

1 El-Macrîzi a copié et remanié, dans sa Description topographique du Caire, le texte de la défense des Fatemides rédigée par Ibn Khaldoun. Voici de quelle manière il explique la pensée de notre auteur, au sujet des dépêches expédiées par le khalife de Baghdad à l'émir aghlebide qui gouvernait l'Ifrîkiya et au prince midraride qui commandait à Sidjilmessa. «Si Motadhed avait cru qu'Obeid-Allah ne fût point de la race d'Ali, il n'aurait point écrit aux deux personnages que je viens de nommer pour le faire arrêter; car dans ces temps-là les hommes ne s'attachaient

point au parti d'un imposteur; ils ne lui
prêtaient aucunement obéissance, et ils ne
suivaient que des personnages vraiment
descendants d'Ali. Or Motadhed conçut
des craintes au sujet d'Obeïd-Allah; et
certes, s'il l'eût regardé comme un im-
posteur, il n'aurait fait aucune attention à
lui.» (Chrestom. ar. de M. de Sacy, 2° éd.
t. II, p. 91.) El-Macrîzi ne s'est pas aperçu
de l'anachronisme commis par Ibn Khal-
doun. (Voyez ci-devant, p. 40, note 4.)
2 «
Littéral. on y cherche les épaves du
gouvernement; on y pousse des caravanes
d'histoires et d'anecdotes. »

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