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Masoudi «< rapporte en ces termes : « (Le khalife abbacide) Abou Djâfer el-Mansour avait fait venir ses oncles au palais, et la conversation

tomba sur les Oméiades. « Abd el-Melek, leur dit-il, était un homme

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violent, qui ne se souciait pas de ce qu'il faisait; Soleïman ne pen« sait qu'à son ventre1; Omar (Ibn Abd el-Azîz) était un borgne au « milieu d'aveugles; Hicham était le seul homme de la famille. Les Oméiades gardaient pour eux la souveraineté, que d'autres avaient organisée; ils veillaient à la conservation de l'autorité que Dieu leur avait accordée; ils aspiraient aux grandes choses et mé" prisaient les petites. Leurs enfants, élevés dans le luxe, arrivèrent

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« au pouvoir et ne s'occupèrent qu'à satisfaire leurs passions, à jouir

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des plaisirs et à transgresser la loi divine. Ils ne se doutaient pas

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que Dieu prépare graduellement la chute des méchants et que sa a vengeance, habilement dirigée, les atteindrait un jour. Avec cela, ils négligeaient la conservation du khalifat; ils ne respectaient pas la dignité du commandement, et bientôt ils n'eurent plus la force gouverner; aussi Dieu les dépouilla de leur puissance, les couvrit d'ignominie et fit cesser leur prospérité. » S'étant alors fait amener Abd-Allah, fils de Merouan (le dernier khalife oméiade), il lui ordonna de raconter l'entretien qu'il eut avec le roi de Nubie, lorsqu'il s'était refugié dans ce pays pour échapper aux Abbacides. « J'y « avais passé quelque temps, dit Abd-Allah, quand le roi vint me voir. « Il s'assit par terre, bien que j'eusse étendu un tapis de prix pour « lui servir de siége. « Pourquoi, lui dis-je, ne vous asseyez-vous pas sur un objet qui m'appartient? Je suis roi, me répondit-il, et le devoir de tous les rois c'est de s'humilier devant la grandeur de Dieu, puisque 2 c'est à lui qu'ils doivent leur élévation. Et vous

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« autres, pourquoi buvez-vous du vin, bien que votre livre sacré vous en

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défende l'usage? » Je répondis : « Nos esclaves et nos serviteurs sont

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<< assez hardis 3 pour le faire. Pourquoi, reprit-il, avez-vous foulé

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les moissons sous les pieds de vos montures, bien que votre livre

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• vous défende de faire le mal? - Nos esclaves et nos serviteurs

<< ont fait cela par sottise. Pourquoi portez-vous des robes de

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P. 374 soie et des ornements en or, puisque cela vous est défendu dans « votre livre?» A cette question je répondis : « Voyant l'autorité sou« veraine sur le point de nous échapper, nous appelâmes à notre se« cours des étrangers qui avaient embrassé l'islamisme. Ces gens-là « s'habillèrent de soie malgré notre volonté. » Le roi baissa la tête, se mit à tracer des caractères sur le sol, et murmura ces paroles : « Nos esclaves! nos serviteurs! des étrangers qui embrassent l'islamisme ! » Ensuite il me regarda et dit : « Ce que tu m'as répondu n'est pas exact; vous êtes des gens qui avez méprisé les prohibitions « de Dieu; vous avez touché aux choses dont il vous avait défendu

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1

• l'usage; vous avez été les tyrans de vos sujets. Dieu vous a dépouillés de votre pouvoir et vous a revêtus d'ignominie, à cause de « vos péchés, et, à votre égard, la vengeance de Dieu n'aura pas de limites; aussi je crains qu'elle ne retombe sur moi pendant que « tu es2 dans mon pays. Tu sais que l'hospitalité se donne pendant trois jours; fais donc tes provisions et sors de mes États. » El-Mansour écouta cette histoire avec un vif intérêt et garda le silence. »

Ce que nous avons dit fait comprendre comment le khalifat se métamorphose en royauté d'abord il existait comme khalifat, et chaque individu avait en lui-même un moniteur qui le retenait dans le devoir. Ce moniteur était la religion; pour elle on renonçait aux richesses, et l'on sacrifiait sa fortune et sa vie pour le bien de la communauté. Voyez Othman lorsqu'il se trouva dans le Dar3, et qu'El-Hacen, El-Hoceïn, Abd-Allah Ibn Omar, Ibn-Djâfer et d'autres vinrent prendre sa défense. Craignant de mettre la désunion parmi les musulmans et de briser le bon accord qui donnait de l'unité à la nation, il leur défendit de tirer leurs épées, même pour lui sauver

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la vie. Voyez Ali; aussitôt qu'il fut nommé khalife, El-Moghìra lui conseilla de conserver Zobeïr, Moaouïa et Talha dans leurs commandements, jusqu'à ce qu'il se fût assuré la fidélité du peuple et qu'il eût établi le bon accord entre les musulmans. « Alors, lui ditil, tu feras ce que tu jugeras convenable. » Ce fut là un conseil de bonne politique, mais Ali le repoussa pour ne pas agir avec duplicité, chose défendue par l'islamisme. Le lendemain, El-Moghîra vint P. 375. le trouver et lui dit : « Hier, je t'avais donné un conseil; mais je suis revenu là-dessus; il n'était pas bon, et c'est toi qui avais raison. » Ali lui répondit : « Au contraire, tu m'avais bien conseillé, je le sais; aujourd'hui, tu veux m'en imposer. Mais l'amour de la vérité m'empêche de faire ce que tu m'avais recommandé. » Voilà comment les premiers musulmans sacrifièrent leurs intérêts mondains au bien de la religion; mais nous,

Nous déchirons notre religion pour réparer notre fortune; aussi notre religion se perd et ce que nous avons réparé ne dure pas.

On a vu que le khalifat se transforma en monarchie tout en conservant ses fonctions essentielles : le souverain s'efforçait toujours de faire observer les préceptes et les pratiques de la religion et tâchait de suivre le sentier de la vérité. Aucun changement ne s'y faisait remarquer, excepté dans l'autorité modératrice qui, exercée d'abord par la religion, venait d'être remplacée par la force d'un parti et par celle de l'épée. Tel fut l'état des choses aux temps de Moaouïa, de Merouan, d'Abd el-Melek, fils de Merouan, et des premiers khalifes abbacides. Sous le règne d'Er-Rechîd et de quelques-uns de ses fils, il en fut de même, mais ensuite la réalité du khalifat disparut et il n'en resta que le nom. Le gouvernement devint une monarchie pure, et l'esprit de la domination, porté maintenant au plus haut point, s'employait pour conquérir et pour gratifier les passions et augmenter les plaisirs du souverain : ce qui était arrivé aux descendants1 d'Abd el-Melek, se reproduisit chez les Abbacides après les règnes d'El-Motacem et d'El-Motéwekkel. Le titre de khalife resta à leurs 1Supprimez le mot .

successeurs tant qu'ils purent s'appuyer sur le sentiment national du peuple arabe. L'empire, pendant les deux premières phases de son existence, se confondait avec le khalifat; mais lorsqu'il eut épuisé (dans ses guerres) les populations qui formaient la nation arabe, le P. 376. khalifat cessa d'exister. A cette époque l'autorité suprême prit la forme d'une monarchie pure. En Orient, les souverains étrangers qui étaient au service de l'empire, reconnaissaient, par un sentiment de piété, la suprématie des khalifes; mais ils les avaient privés des titres et attributions de la royauté pour se les approprier. En Occident, les rois des peuples zénatiens en firent de même : les Sanhadja usurpèrent (en Mauritanie) la puissance temporelle des Obeïdites (Fatémides); les Maghraoua et les Beni Ifren traitèrent de la même manière les khalifes Oméiades d'Espagne et les khalifes Obeïdites de Cairouan.

Ainsi nous avons démontré que le khalifat s'établit d'abord sans mélange de royauté; puis il se confond avec la monarchie, qui, plus tard, s'en dégage et s'en isole, pourvu qu'elle ait pour se soutenir un parti distinct de celui du khalifat. Dieu règle la nuit et le jour.

Sur le serment de foi et hommage (béiâ1).

Le mot béiâ signifie prendre l'engagement d'obéir. Celui qui engageait sa foi en faisant le béiâ reconnaissait, pour ainsi dire, à son émir, le droit de le gouverner, ainsi que tout le peuple musulman; il promettait que, sur ce point, il ne lui résisterait en aucune manière, et qu'il obéirait à tous ses ordres, lui fussent-ils agréables ou non. Au moment d'engager sa foi envers l'émir, on mettait la main dans la sienne pour ratifier le contrat, ainsi que cela se pratique entre vendeurs et acheteurs. C'est pourquoi on a désigné cet acte par le terme béiá, qui est le nom d'action du verbe bad (vendre ou acheter). Donc la signification primitive de béiâ, est de se prendre par les mains. Telle est l'acception du mot dans le langage usuel et dans celui de la loi; c'est encore ce que l'on entend par béiá dans les traditions

1

M. de Sacy a donné le texte de ce chapitre, avec une traduction, dans sa Chrestomathie arabe, t. II, p. 256 et suiv.

2

Pour ac, lisez asli.

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où il est question du serment prêté au Prophète dans la nuit nommée nuit de l'Acaba, et (dans l'assemblée qui eut lieu) auprès de l'arbre1; telle en est aussi la véritable signification partout où il se présente. De là vient l'emploi du mot béiá pour désigner l'inauguration des khalifes. On dit de même : serment de béiá (ou d'inauguration), parce les khalifes exigeaient que que la promesse d'obéissance envers eux fût accompagnée d'un serment réunissant les formules qui peuvent P. 377. s'employer dans une déclaration solennelle. On ne prêtait pas ordinairement ce serment à moins d'y être contraint; aussi l'imam Malek déclara, par une décision juridique, que tout serment fait à contrecœur était nul. Les officiers du gouvernement rejetèrent cette déclaration comme portant atteinte au serment de béid, et de là vinrent les mauvais traitements que ce docteur eut à subir 2.

De nos jours, le béiá est une cérémonie qui consiste à saluer le souverain de la manière qui se pratiquait à la cour des Chosroès : on baise la terre devant lui, ou bien on lui baise la main ou le pied, ou le bas de la robe. Le mot béiâ, qui a la signification de promettre obéissance, est pris ici dans un sens métaphorique; en effet, l'esprit de soumission qui porte à employer une pareille forme de salut et à subir les exigences de l'étiquette royale est une conséquence immanquable et naturelle de l'habitude d'obéissance. Cette forme de béiá est maintenant d'un emploi si général, que l'on est convenu de l'admettre comme valide, et l'on a supprimé l'usage de se donner la main, usage qui était autrefois la partie essentielle de l'acte d'hommage. II y avait, en effet, dans la pratique de donner la main à tout le monde quelque chose d'avilissant pour le prince, une familiarité qui choquait la dignité du chef et la majesté du souverain. Un petit nombre de princes se conforment encore à l'ancien usage, par un sentiment d'humilité; ils agissent ainsi envers leurs principaux officiers et ceux d'entre leurs sujets qui se distinguent par leur piété. On comprend

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