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Chehrestani, et par d'autres savants. Dieu égare celui qu'il veut et dirige celui qu'il veut. (Coran, sour. XVI, vers. 95.)

Comment le khalifat (gouvernement spirituel et temporel) se convertit en royauté (gouvernement temporel).

L'esprit de corps qui anime un peuple le conduit naturellement à l'acquisition de la souveraineté; c'est là le terme de son progrès. L'établissement d'un empire, ainsi que nous l'avons déjà fait observer, ne dépend pas de la volonté du peuple, mais de la force et de la disposition naturelle des choses. Les lois, les pratiques de la religion, toutes les institutions auxquelles on tâche de rallier une communauté n'ont aucune influence, à moins qu'un parti plein de zèle ne se charge de les faire prévaloir. Sans l'appui d'un parti imposant, on ne saurait poursuivre (ni punir) les contraventions. L'esprit de corps est donc indispensable dans une nation; sans lui, elle ne remplirait pas sa destinée.

On lit dans le Sahîh : « Dieu n'a jamais envoyé de prophète qui n'eût pas dans sa nation un parti capable de le défendre. » Le législateur a cependant désapprouvé l'esprit de corps; il a même recommandé d'y renoncer : « Dieu, a-t-il dit, vous a délivrés de la fierté1 qui vous dominait dans les temps antérieurs à l'islamisme; il vous a ôté l'orgueil de la naissance. Vous êtes les enfants d'Adam et Adam fut formé avec de la terre. » Dieu a dit : « Le plus noble d'entre vous aux yeux de Dieu, c'est celui qui le craint le plus. » (Coran, sour. XLIX, vers 13.) Nous savons aussi que le législateur a désapprouvé la royauté et reproché aux souverains de se livrer aux plaisirs2, de prodiguer leurs trésors sans but utile et de s'écarter de la voie de Dieu; mais il n'a voulu, en réalité, qu'exciter les hommes à devenir amis par la religion et à fuir les contestations et la discorde. Pour le législateur, ce bas monde, avec tout ce qui s'y rattache, n'est qu'un moyen de P. 365. transport vers l'autre vie; et, pour arriver au terme d'un voyage, on

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doit avoir le moyen de s'y transporter. Quand il défend de commettre certaines actions, quand il en désapprouve d'autres et recommande d'y renoncer, il ne veut pas faire cesser ces actions tout à fait ni annuler les facultés du corps qui les ont produites; il veut seulement qu'on tâche, autant que possible, de les diriger dans les intérêts de la vérité, afin qu'elles tendent toujours et d'une manière uniforme à un but louable. « Celui, dit le Prophète, qui s'expatrie pour plaire à Dieu et à son Prophète, plaît à Dieu et à son Prophète; celui qui s'expatrie pour acquérir les biens de ce monde ou pour épouser une femme n'a que l'avantage d'acquérir ou d'épouser. » Bien que le législateur ait voulu nous délivrer de l'appétit irascible, il ne condamne cette passion d'une manière absolue : sans elle, personne ne voudrait maintenir le bon droit, ni combattre les infidèles, ni faire triompher la parole de Dieu. La colère est blâmable quand elle éclate pour un motif blâmable et pour plaire au démon; mais elle est digne de louange quand elle a pour motif le désir de soutenir la cause de Dieu et de lui plaire; aussi la colère faisait-elle partie des qualités louables qui se trouvaient réunies dans le Prophète.

pas

Il en est de même pour l'appétit concupiscible. Le législateur n'a pas voulu l'éteindre complétement; c'est faire tort à un individu que de l'en délivrer tout à fait. Le législateur veut seulement diriger vers un but légitime tout ce que cette passion renferme d'utile, afin que l'homme devienne un serviteur qui, dans ses actes, reste toujours soumis aux ordres de la divinité.

Il en est de même de l'esprit de corps; le législateur l'a blâmé en disant Les liens du sang et le nombre de vos enfants ne vous serviront de rien 1. » Par ces paroles, il entendait blâmer cet esprit de corps qui régnait avant l'islamisme et qui poussait les hommes à rechercher la vaine gloire et tout ce qui s'y rattache; il voulait que personne ne 2 se vantât de la noblesse de sa famille et ne s'en préP. 366. valût pour nuire aux droits d'autrui, car de pareils traits n'échappent

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qu'à des les hommes insouciants et ne servent de rien dans l'autre monde, la demeure de l'éternité. Mais, tant que l'esprit de corps s'emploie au service de la vérité et de la cause de Dieu, il doit être favorisé; si on le supprimait, on rendrait inutiles les prescriptions de la loi; car nous avons déjà dit qu'on ne peut les exécuter, à moins d'être appuyé par l'esprit de corps (d'un fort parti).

Il en est de même de la royauté; bien que le législateur en témoigne sa désapprobation, il ne veut pas condamner l'esprit de domination qui agit dans l'intérêt de la bonne cause, ni l'emploi de la force pour obliger les hommes à respecter la religion et pour contribuer à l'avantage de la communauté. Il ne blâme que la domination que l'on exerce en vue de la vaine gloire et l'emploi du peuple pour accomplir des projets ambitieux ou pour satisfaire à ses passions. Si le roi montrait d'une manière claire qu'il fait des conquêtes afin de plaire à Dieu, de porter les hommes à l'adorer et à combattre les ennemis de la foi, une telle conduite ne serait pas répréhensible. Salomon a dit : « Seigneur! donne-moi un empire qui ne conviendra à personne après moi 2. » Il avait la conviction intime qu'en sa qualité de prophète-roi, il ne rechercherait pas la vaine gloire. Quand le khalife Omar Ibn el-Khattab se rendit en Syrie, il y trouva Moaouïa, vêtu en souverain, environné d'une suite nombreuse et à la tête d'un cortége vraiment royal. Choqué de ce spectacle, il lui

dit : « Est-ce du chosroïsme que tu fais là? Émir des croyants, lui

répondit Moaouia, nous sommes sur la frontière, en face de l'ennemi, et c'est pour nous une nécessité de rivaliser avec lui en pompe guerrière. Omar ne lui dit plus rien et ne lui fit. pas de reproches.

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Moaouïa s'était justifié en alléguant les intérêts de la bonne cause et de la religion. Si Omar avait eu l'intention de condamner, d'une manière absolue, les usages de la royauté, il ne se serait pas contenté de cette réponse; au contraire, il aurait forcé Moaouïa à renoncer tout à fait au chosroïsme, qu'il avait adopté. Par ce mot, Omar voulait désigner les habitudes répréhensibles auxquelles les Perses se P. 367. livraient dans l'exercice du pouvoir royal; ils se laissaient emporter par la vanité, entraîner dans les sentiers de l'injustice et dans l'oubli du vrai Dieu. Moaouïa, dans sa réponse, lui donnait à entendre qu'il n'agissait pas ainsi par l'esprit de vanité et de chosroïsme, qui prévalait chez les Perses, mais bien par le désir de mériter la faveur de Dieu.

De même qu'Omar, les Compagnons rejetèrent la royauté et tout ce qui en dépend; ils laissèrent tomber en désuétude les usages de la souveraineté dans la crainte de les trouver entachés de frivolité. Le Prophète, étant sur son lit de mort, et voulant confier à Abou Bekr les fonctions les plus importantes de la religion, lui ordonna de présider à la prière publique en qualité de son vicaire (khalife). Tout le monde apprit avec plaisir la nomination d'Abou Bekr au vicariat (ou khalifat), charge qui consiste à diriger toute la communauté vers l'observation de la loi. A cette époque, personne ne pensait à nommer un roi; on croyait que la royauté était un foyer de vanité, une institution spéciale aux infidèles et aux ennemis de la religion. Abou Bekr remplit ses devoirs sans s'écarter des usages de son maître; il combattit les tribus qui avaient apostasié et finit par rallier tous les Arabes à l'islamisme. Omar, à qui il transmit le khalifat, se conduisit comme lui; il fit la guerre aux autres peuples, les subjugua et autorisa les Arabes à dépouiller les vaincus et à leur enlever l'empire. Le khalifat passa ensuite à Othman, puis à Ali, chefs pour qui la royauté et ses usages n'avaient aucun attrait. Ce qui fortifia chez eux ce sentiment d'aversion, ce fut la grande habitude des privations 1 qu'im

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posent l'islamisme et la vie du désert. Les Arabes étaient alors le peuple le moins accoutumé aux biens du monde et à la mollesse : d'un côté, leur religion les portait à s'abstenir des plaisirs que procure l'aisance; de l'autre, ils s'étaient habitués à se tenir dans le désert et à mener une vie de gêne et de privations'. Il n'y eut jamais de peuple dont le dénûment surpassât celui des Arabes modérides; ils se tenaient dans le Hidjaz, pays qui ne produit ni blé ni bétail; P. 368. ils ne pouvaient pas se rendre dans les pays fertiles et riches en céréales, parce que ces régions étaient très-éloignées de leur territoire et appartenaient, les unes aux tribus descendues de Rebîah, et les autres aux tribus yéménites. Ne pouvant pas même aspirer à jouir de l'abondance qu'offraient ces contrées, ils se voyaient réduits, trèssouvent, à se nourrir de scorpions et de scarabées; ils se vantaient même de pouvoir manger de l'eïlhiz, mets composé de poil de chameau et de sang, pétris ensemble 2 avec une pierre et cuits au feu. Les Coreïchides étaient à peu près dans le même état3; leur nourriture et leurs logements étaient misérables; mais aussitôt que l'esprit de la nationalité eut rallié tous les Arabes autour de l'islamisme et

que Dieu les eut illustrés à jamais en choisissant parmi eux son prophète Mohammed, ils marchèrent contre les Perses et les Grecs, afin d'occuper le pays que Dieu leur avait promis. Ils s'emparèrent des royaumes et des biens de leurs adversaires et se virent bientôt nager dans l'opulence. Plus d'une fois, après une expédition, chaque cavalier de la troupe recevait environ trente mille pièces d'or (comme sa part de butin "); en un mot, ils gagnèrent des richesses incalculables. Malgré cela, ils demeurèrent attachés aux habitudes simples et grossières de leur ancien genre de vie. Omar rapiéçait son propre manteau avec des morceaux de cuir; Ali s'écriait de temps en temps

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