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aussi se garde-t-on de croire qu'ils tiennent à la tribu par les liens du sang. L'esprit de tribu est donc plus faible (chez ceux-ci) que chez les clients d'ancienne date. Si l'on examine bien, on trouvera des exemples de ce fait dans tous les empires, et dans toutes les nations gouvernées par un seul chef. Ceux qui se sont fait admettre dans la tribu1 avant l'établissement de l'empire montrent un grand dévouement au chef qui leur a rendu ce service; rapprochés de lui par la vive affection qu'ils lui portent, ils se regardent comme ses enfants, ses frères, ses parents. Les clients adoptés par un chef déjà parvenu au commandement de l'empire se montrent bien moins dévoués, bien moins attachés à leur patron. C'est là un fait qui frappe tous les yeux; aussi, quand l'empire se trouve dans la dernière période de son existence, le souverain cherche à s'entourer d'étrangers; mais ces hommes ne parviennent pas à jouir d'une considération égale à celle dont on honore les clients affiliés à la tribu avant l'établissement de l'empire. Cela tient à deux causes : leur introduction dans la tribu est trop récente pour qu'on l'oublie, et l'empire se trouve sur le point de succomber; aussi se voient-ils privés de toute considération. Ce qui porte le P. 334. sultan à s'en faire des créatures et à les préférer aux anciens clients et affranchis, c'est l'arrogance avec laquelle ceux-ci se conduisent envers lui, et leur audace à le regarder avec les mêmes yeux que ses parents et les membres de sa tribu. Les familles des anciens clients, incorporées dans la tribu depuis longtemps, élevées par les soins du prince ou de ses aïeux, placées sur le même rang que les maisons les plus illustres de l'empire, s'habituent à traiter le souverain avec une familiarité choquante et une insolence extrême; aussi finitpar les éloigner de sa personne et prendre des étrangers à son service. Comme l'époque où il choisit ceux-ci est assez récente, ils ne parviennent jamais à jouir de la considération publique et ils conservent toujours leur caractère d'étrangers. Cela a lieu dans tous les empires qui penchent vers leur chute. Pour désigner les anciens clients on emploie ordinairement les termes ouéli « proche, ami, » et

il

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il faut

بنظره به قبیله ir ينطر قبیله Pour : -- اصطناعه lisez,اصطناعة Pour

saníah « favorisé; » quant aux nouveaux, on les appelle khadem « serviteur, » ou aoun « aide. Dieu est le ouéli des vrais croyants. (Coran, sour. III, vers 61.)

De ce qui arrive à un empire quand le sultan est tenu en tutelle

et n'exerce aucune autorité.

Aussitôt que la souveraineté commence à résider dans une certaine branche de la tribu qui soutient l'empire, et dans une certaine famille de cette branche, (ceux qui gouvernent) gardent tout le pouvoir pour eux-mêmes et empêchent les autres membres de la tribu d'y prendre part. Leurs enfants, élevés à l'exercice des hauts commandements, héritent de l'autorité et se la transmettent les uns aux autres. quelquefois cependant l'un des vizirs ou des courtisans parvient à dominer le souverain. Cela arrive ordinairement quand un enfant en bas âge ou un prince d'un caractère faible a été désigné par son père, ou par ses amis et ses parents', comme héritier du pouvoir souverain. Aussitôt monté sur le trône, le jeune prince se montre incapable de gouverner; alors son tuteur, personnage choisi ordinairement parmi les p. 335. vizirs ou les courtisans de son père, ou parmi les clients du sultan ou de la tribu, s'empare du gouvernement de l'empire en déclarant qu'il le remettra au souverain aussitôt que celui-ci se montrera capable de s'en charger. S'étant ainsi frayé le chemin du pouvoir, il tient le jeune prince dans une réclusion complète et l'habitue à goûter de tous les plaisirs que le luxe pourra fournir; il lui permet de se vautrer dans toutes les voluptés, afin de lui ôter la pensée de s'occuper des soins du gouvernement, et il finit par le tenir sous sa domination. Le sultan, accoutumé aux plaisirs, se figure que les devoirs2 d'un souverain se bornent à s'asseoir sur son trône, à recevoir de ses officiers le serment de fidélité, à s'entendre appeler Votre Majesté3, à rester enfermé et à vivre au milieu de ses femmes. Quant au droit de

rem به بيه liser, بعد أبيه Pour بترشيح par يترشح place

Pour, lisez .

Prolégomènes.

Le mot monseigneuriser » est le nom d'action de J., verbe dérivé du mot, par un procédé anormal.

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lier et de délier, d'ordonner et de prohiber, de diriger les affaires de l'empire et de surveiller l'état de l'armée, du trésor et des forteresses, il s'imagine que tout cela appartient naturellement au vizir et le lui abandonne. Ce ministre consolide ainsi son autorité, prend une forte teinture de l'esprit de commandement et de domination, et finit par exercer une puissance absolue, qu'il transmet1 à ses fils ou à ses parents. C'est ainsi que firent, en Orient, les Bouïdes, les Turcs (qui étaient au service du khalifat), Kafour el-Ikhchîdi et d'autres, et qu'El-Mansour Ibn Abi Amer s'empara du pouvoir en Espagne. Quelquefois le souverain que l'on retient en tutelle, sans lui laisser la moindre influence, cherche à se dégager des filets où il se trouve pris, et à saisir le commandement qui lui appartient de droit. Il songe d'abord à châtier l'usurpateur, soit en lui donnant la mort, soit en le destituant; mais des tentatives de cette nature réussissent très-rarement : une fois le pouvoir tombé entre les mains des vizirs et des courtisans, il y reste presque toujours. La séquestration du sultan est amenée ordinairement par les progrès du luxe : les enfants du souverain, ayant passé leur jeunesse dans les plaisirs, P. 336. oublient le sentiment de leur dignité d'homme2 et, habitués à vivre dans la société de nourrices et de servantes, ils contractent, en grandissant, une mollesse d'âme qui les rend incapables de ressaisir le pouvoir; ils ne savent même pas la différence entre commander et se laisser dominer. Satisfaits de la pompe dont on les entoure, ils ne cherchent qu'à varier leurs plaisirs sans se soucier d'autre chose. Aussitôt que la famille impériale est parvenue à enlever l'autorité au reste de la nation, les affranchis et les clients s'emparent de l'esprit du sultan. Cela arrive nécessairement dans tous les empires, ainsi que nous l'avons déjà fait observer. (La mollesse du souverain et l'ambition de son entourage,) voilà les deux maladies dont un empire ne se guérit que très-rarement. Dieu donne le pouvoir à qui il veut. (Coran, sour. 11, vers. 248.)

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ویوتر به lisez ويورثه Pour الرجولة isez, الرجولية Pour :

Le ministre qui tient un souverain en tutelle se garde bien de prendre les titres et les attributs de la royauté.

Depuis l'établissement de l'empire, les aïeux du souverain régnant avaient exercé l'autorité souveraine. Ils la devaient au sentiment de nationalité qui animait sa famille, au patriotisme qui la distinguait et qui lui avait acquis le dévouement de toute la nation. L'esprit de commandement et de domination, esprit dont la famille royale a contracté une forte teinture, se conserve dans sa postérité et garantit la durée de l'empire. Si le fonctionnaire qui parvient à tenir le souverain dans sa dépendance a un fort parti dans cette famille, ou dans le corps des clients et des affranchis, ce parti, peu habitué au commandement, se laisse entraîner par celui des grands et se confond avec lui; aussi le ministre, tout en s'emparant du pouvoir, ne laisse pas percer son désir d'usurper le trône; il se contente des avantages de la royauté, c'est-à-dire, du pouvoir d'ordonner et de prohiber, de lier et de délier, de décider et d'annuler. Par cette conduite1 il amène les grands de l'empire à croire qu'il agit d'après les instructions que le souverain lui transmet de son cabinet2, et qu'il ne fait qu'exé- P. 337. cuter les ordres du prince. Bien qu'il se soit emparé de toute l'autorité, il évite d'usurper les marques, les emblèmes et les titres de la souveraineté, afin de ne pas faire soupçonner ses projets ambitieux. La portière, qui, depuis le commencement de l'empire, dérobait le sultan et ses aïeux à la vue du public, sert aussi à cacher les empiétements du ministre et à faire accroire au public que ce fonctionnaire n'est que le simple lieutenant du prince. S'il laissait échapper le moindre trait qui pût faire deviner ses véritables intentions, la famille royale et tous les autres partis qui existent dans la nation se montreraient indignés de son audace3, et tâcheraient de lui arracher le pou

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voir1. A la première alerte, il est sûr de trouver la mort, parce qu'il n'a pas encore acquis assez d'autorité pour tenir ses adversaires dans l'obéissance et la soumission. Tel fut le sort d'Abd er-Rahman, fils d'El-Mansour Ibn Abi Amer : il eut l'ambition de se mettre au même rang que (le khalife oméiade) Hicham et les autres membres de la famille royale, et de prendre le titre de khalife. Sans se contenter du pouvoir absolu que son père et son frère avaient exercé, méconnaissant les avantages qui résultaient d'une si haute position, il demanda à son souverain, Hicham, de lui transmettre le khalifat. Ce trait d'insolence indigna tellement les Mérouanides (Oméiades) et les autres Coréichides d'Espagne, qu'ils placèrent sur le trône Mohammed2 Ibn Abd el-Djebbar Ibn en-Nacer, cousin du khalife Hicham, et marchèrent contre les partisans du ministre. Cela eut pour résultat la ruine du parti améride3 et la mort d'El-Mowaïed, prince qu'il avait proclamé khalife et que l'on remplaça par un autre membre de la famille royale. Les Oméiades, rentrés en possession du trône, conservèrent l'autorité jusqu'à ce que l'empire tombât en dissolution. Dieu est le meilleur des héritiers.

De la royauté, de sa véritable nature et de ses diverses espèces.

La royauté est une institution conforme au naturel de l'honime. P. 338. Nous avons déjà dit que c'est la réunion des hommes en société qui assure la vie et l'existence de l'espèce humaine. Pour se procurer des aliments et les choses de première nécessité, ils doivent s'entr'aider; le besoin les habitue au trafic et les pousse même à enlever de force les objets dont ils ne peuvent se passer. Chacun d'eux porte la main sur la chose qu'il convoite et tâche de l'arracher à son voisin, tant la

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