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qui convient à une belle habitation. Pour que chacune de ces choses soit d'une qualité bonne et recherchée, le concours de plusieurs arts est nécessaire. Un genre de luxe en entraîne un autre; les arts se multiplient selon la variété des fantaisies qui portent les esprits vers les voluptés, les plaisirs et les jouissances du luxe dans tous ses modes et sous toutes ses formes. Les habitudes de la vie sédentaire 1 remplacent, dans l'empire, celles de la vie nomade, de mème que l'aisance suit, de toute nécessité, la possession d'un empire et se répand parmi tous les fonctionnaires de l'État. Dans les habitudes de la vie sédentaire, ces gens prennent pour modèle le peuple qu'ils viennent de remplacer; ils ont sous les yeux tous les usages de leurs prédécesseurs et, en général, ils se plaisent à les adopter. Voyez, par exemple, ce qui arriva aux Arabes lors de leurs premières conquêtes. A cette P. 310. époque, ils vainquirent les Perses, défirent les Grecs et emmenèrent en captivité leurs fils et leurs filles; mais ils n'eurent pas la moindre habitude de la vie sédentaire 2. On raconte qu'ils prirent pour des ballots de drap les coussins qu'on leur présentait et, qu'ayant trouvé dans les magasins de Chosroës une quantité de camphre, ils le mirent au lieu de sel dans la pâte dont ils faisaient leur pain. Lorsqu'ils eurent soumis les habitants de ces contrées, ils en prirent plusieurs à leur service et choisirent les plus habiles pour être leurs maitres d'hôtel. Ce fut d'eux qu'ils apprirent tous les détails de l'administration domestique. Se trouvant dans une grande aisance, ils se livraient aux plaisirs avec une ardeur extrême et, entrés dans la période du luxe et de la vie sédentaire, ils recherchèrent tout ce qu'il y avait de mieux en fait de comestibles, de boissons3, de vêtements, de logements, d'armes, de chevaux, de vaisselle, de musique, de meubles et d'ustensiles de cuisine, Leur amour du luxe dépassait toutes les bornes et se montrait surtout aux noces, aux

I Dans le texte arabe de l'édition de Paris, il faut insérer, après les mots

تبعية الرفه للملك واهل الدولة ابدا يقلدون في طور الحضارة

le passage suivant, فصار طور الحضارة الحضارة lisez الحضارة Pour :

يتبع طور البداوة ضرورة لضرورة للملك

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fêtes et aux festins. Voyez ce que Taberi, Masoudi et autres historiens racontent au sujet du mariage d'El-Mamoun (le khalife) avec Bouran, fille d'El-Hacen Ibn Sehel. El-Mamoun s'étant rendu en bateau à Fem es-Silh1 pour demander à El-Hacen la main de sa fille, celui-ci combla de dons toutes les personnes qui formaient le cortège du khalife. Lors du mariage, il dépensa des sommes énormes et El-Mamoun assigna à Bouran une dot magnifique. Pendant le repas des fiançailles El-Hacen distribua de riches cadeaux aux serviteurs d'El-Mamoun: devant ceux de la première classe il fit répandre des boules de musc P. 311. dont chacune renfermait un bulletin portant le nom d'une ferme ou d'un autre immeuble. Ils ramassèrent les boules et chacun d'eux obtint possession de la propriété que la chance et la fortune lui avaient assignée. Aux gens de la deuxième classe il distribua plusieurs bedra d'or; une bedra se compose de dix mille dinars. Ceux de la troisième classe recevaient chacun une bedra de dirhems; tout cela sans compter les sommes énormes qu'il dépensa pendant qu'El-Mamoun séjournait chez lui. Dans la soirée où l'on conduisit la mariée auprès du khalife, celui-ci lui présenta mille rubis comme don nuptial; des flambeaux d'ambre gris, pesant chacun cent menn, à une livre et deux tiers de livre le menn, brûlaient dans la salle. Le matelas du lit était en drap d'or, brodé de perles et de rubis. En le voyant, El-Mamoun s'écria : « On dirait que ce maudit Abou Nouas 2 avait ceci sous les yeux lorsqu'il composa ce vers où il parle du vin :

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Les grandes et les petites boules qui se forment sur sa surface ressemblent à du gravier de perles sur un champ d'or. »

Pour la nuit de la fête de noces on avait amassé, dans le bâtiment où l'on faisait la cuisine, une quantité de bois énorme; trois fois par jour, pendant l'espace d'une année, on y avait apporté cent quarante

Le canal de Fem es-Silh, situé à moitié distance entre Baghdad et Basra, paraît avoir réuni, dans les temps anciens, le Tigre et l'Euphrate. La maison d'El

Hacen Ibn Sehel s'élevait à l'endroit où ce cours d'eau communiquait avec le Tigre.

2

Voyez ci-devant, p. 34, note 5.

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charges de mulet. Tout cet amas de fagots fut consumé dans la même nuit1. On y brûla aussi des feuilles de dattier arrosées d'huile. El-Hacen avait fait ordonner aux bateliers de tenir toutes leurs embarcations prêtes, afin de transporter sur le Tigre, depuis Baghdad jusqu'au palais impérial, situé à Medînat el-Mamoun3, les personnes qui devaient assister à la fête. On réunit pour cet objet trente mille chaloupes, et l'on employa une journée entière à faire passer tout ce monde; nous omettons d'autres détails de la même nature. Un luxe semblable se déploya à Tolède quand El-Mamoun Ibn Dhi'nNoun célébra son mariage. L'historien Ibn Haïyan 5 en fait mention, ainsi qu'Ibn Bessam, dans son Dakhíra. Or ces mêmes Arabes, dans la première période (de leur domination), ne connaissaient que les usages du désert et n'auraient pu rien faire de semblable. Menant P. 312. alors une vie simple et grossière, ils ne possédaient ni les moyens, ni les artistes pour monter de pareilles fètes. On raconte qu'El-Haddjadj, voulant célébrer la circoncision d'un de ses fils, envoya chercher un dihcans afin d'apprendre de lui comment étaient les fêtes des Perses. • Veux-tu m'informer, lui dit El-Haddjadj, comment était la plus belle fête que tu as vue? Oui, seigneur! lui répondit le dihcan. Un des marzeban de Chosroës donna un grand repas aux Persans. On y vit

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des plats d'or sur des plateaux d'argent1; chaque plateau, chargé de quatre plats, était porté par quatre jeunes esclaves. Quatre 2 convives se mirent à chaque table, et lorsqu'ils eurent fini de manger et qu'ils allaient s'en retourner chez eux, leur hôte envoya après eux la table, les plats et les esclaves qui les avaient servis. » Garçon, s'écria El-Haddjadj, égorge les chameaux et fais manger notre monde (à la manière arabe). » Il sentait bien que de pareilles magnificences étaient au-dessus de ses moyens. Mentionnons ici les cadeaux faits par les Oméiades; chaque cadeau consistait ordinairement en chameaux, selon l'usage des Arabes bédouins. Sous les dynasties des Abbacides, des Fatémides et de leurs successeurs, les dons étaient magnifiques, ainsi que chacun le sait. Ces princes envoyaient à leurs amis des bêtes de somme chargées d'or, des ballots renfermant des objets d'habillement; ils leur donnaient aussi des chevaux richement harnachés.

Les Ketama ignoraient les habitudes du luxe à l'époque où ils eurent affaire aux Aghlebides; en Égypte, les Beni Toghdj3 avaient des mœurs très-simples; les Lemtouna (Almoravides) n'étaient guère avancés dans la civilisation quand ils s'attaquèrent aux petites dynasties qui régnaient en Espagne; il en fut de même des Almohades (avec les Almoravides), ainsi que des Zenata (Mérinides) quand ils combattirent les Almohades, et c'est ainsi que cela se passe toujours *. Les usages de la vie sédentaire se transmettent de la dynastie qui précède à celle qui la remplace. Les Perses communiquèrent les habitudes du luxe aux Oméiades et aux Abbacides. Les Oméiades espagnols transmirent les usages de la vie sédentaire aux souverains almohades et zenatiens du Maghreb, et ceux-ci les conservent jusqu'à

P. 313. ce jour. Les habitudes de la vie à demeure fixe passèrent des

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Abbacides aux Déilémites, puis aux Turcs seldjoukides, puis Turcs mamlouks1 d'Égypte, puis aux Tartars dans l'Irac arabique et l'Irac persan. Plus une dynastie est puissante, plus se développent chez elle les usages de la vie sédentaire. En effet, ces usages naissent du luxe; le luxe suit la possession des richesses et du bien-être; ceux-ci s'acquièrent par la conquête d'un royaume et sont (toujours) en rapport avec l'étendue des pays soumis à l'autorité du gouvernement. Le luxe est donc en rapport direct avec la grandeur de l'empire. Examinez ce principe et comprenez-le bien; vous le trouverez exact en ce qui regarde les empires et la civilisation. Dieu est l'héritier de la terre et de tout ce qu'elle porte!

L'aisance du peuple ajoute d'abord à la force de l'empire.

Dans une tribu qui parvient à fonder un empire et à se procurer le bien-être, le nombre des naissances prend un grand accroissement, les liens de parenté se multiplient et le corps de ses guerriers devient plus considérable ainsi que le nombre des affranchis et des clients. La nouvelle génération, élevée au sein de l'opulence, contribue à grossir la force armée, vu qu'à cette époque le nombre des troupes s'accroît avec la population. Quand la première et la seconde génération viennent à s'éteindre, l'empire ressent les premières atteintes de la vieillesse; les clients et les affranchis sont incapables de le soutenir ou d'y maintenir l'ordre, parce qu'ils n'ont aucune part dans les affaires publiques. Au contraire, ils sont devenus une charge et un fardeau 2 pour la nation. D'ailleurs, quand la racine de l'arbre dépérit, les branches, ne pouvant plus se soutenir, tombent et se meurent. La puissance d'aucun empire ne reste invariable. Voyez, par exemple, ce qui est arrivé au premier empire fondé par les Arabes musulmans. Ce peuple, ainsi que nous l'avons dit, formait, du temps P. 314. de Mohammed et des (premiers) khalifes, une population d'environ cent vingt mille hommes, les uns descendus de Moder et les autres

1

المماليك inserez, الترك Après le mot

موالى بنى ايوب et supprimer les mots

2

مونه

Pour, lisez ais avec le manuscrit D, le seul qui donne cette leçon.

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