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dolence et à la mollesse; plus ils s'y plongent, plus ils s'éloignent de la simplicité de la vie nomade et plus ils se dépouillent de la rudesse P. 305. de mœurs qui naît dans le désert; ils perdent ce courage au moyen

duquel ils avaient protégé l'empire, et ils deviennent une telle charge pour le gouvernement qu'ils auraient eux-mêmes besoin de troupes pour les protéger. Le lecteur en trouvera assez d'exemples dans l'histoire des diverses dynasties'; qu'il consulte ces volumes2 et il conviendra que nous avons raison.

Il arrive quelquefois que, dans un empire atteint de la faiblesse que produisent le repos et les jouissances du luxe, le souverain prend des partisans et des défenseurs chez les autres peuples; il choisit des hommes habitués à mener une vie rude et il en forme un corps de milices bien plus vaillant que les anciennes troupes, bien plus capable de soutenir les fatigues de la guerre, la faim et les privations. De cette manière, il remédie à la décrépitude qui allait atteindre l'empire. Cela est arrivé en Orient pour l'empire des Turcs (mamlouks); la majeure partie de l'armée se compose des dépendants et des clients des chefs. Le sultan choisit parmi les esclaves que l'on importe dans le pays un certain nombre d'hommes pour en faire des cavaliers et des fantassins. Ces nouvelles troupes sont plus braves et plus endurcies aux fatigues que leurs prédécesseurs, les fils des mamlouks, gens élevés dans les délices, au sein du pouvoir et sous l'abri de la souveraineté. En Ifrikiya, le même fait s'est reproduit; le sultan almohade choisit ordinairement ses troupes parmi les tribus zenatiennes et arabes; il en augmente le nombre tous les jours et laisse de côté les Almohades, peuple énervé par le luxe. De cette manière, l'empire reçoit une nouvelle vie et se garantit contre les atteintes de la décrépitude. Dieu est l'héritier de la terre et de tout ce qu'elle porte !

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Les empires', ainsi que les hommes, ont leur vie propre.

Selon les médecins et les astrologues, la vie naturelle de l'homme est de cent vingt ans, de l'espèce que ceux-ci nomment grandes an- P. 306. nées lunaires. La vie, dans chaque race d'hommes, est sujette à des variations, sa durée étant déterminée par les conjonctions (des corps célestes) 2. Elle dépasse quelquefois ce nombre d'années et quelquefois elle ne les atteint pas; ainsi les hommes nés sous certaines conjonctions vivent jusqu'à cent ans, d'autres jusqu'à cinquante et d'autres jusqu'à quatre-vingts ou soixante et dix. Selon les observateurs (des corps célestes), tout cela dépend des indications fournies par les conjonctions. Pour la race actuelle des hommes, la durée de la vie est de soixante ou soixante et dix ans; ainsi que cela se trouve mentionné dans une des paroles attribuées au Prophète. La vie naturelle de l'homme, celle dont la durée est de cent vingt ans, ne se prolonge que très-rarement au delà de ces limites; cela dépend de certaines positions extraordinaires de la sphère céleste. Nous en voyons un exemple dans Noé, ainsi que dans un petit nombre d'Adites et de Thémoudites. La durée de la vie des empires varie aussi sous l'influence des conjonctions, mais, en général, elle ne dépasse pas trois générations. La vie d'une génération est de la même longueur que l'âge moyen de l'homme; à savoir, quarante ans, période à laquelle la croissance du corps est parvenue à son terme. Dieu a dit: Lorsqu'il parvient à la maturité (de l'âge) et atteint quarante ans, etc. 3 Voilà pourquoi nous avons dit que la vie d'une génération est égale à l'âge moyen de l'homme, et notre assertion se trouve justifiée par ce trait de la sagesse divine qui fixa à quarante ans l'espace de temps que les Israélites devaient passer dans le désert. Ce terme fut choisi afin de faire disparaître du monde la génération qui vivait alors et de la remplacer par une autre à laquelle l'humiliation de l'esclavage

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était inconnue. Cela nous porte à regarder l'espace de quarante ans, qui est l'àge (moyen) de l'homme, comme égal à la vie d'une gé

nération.

Nous avons dit que la durée d'un empire ne dépasse pas ordinairement trois générations. En effet, la première génération conserve son caractère de peuple nomade, les rudes habitudes de la vie sauP. 307. vage, la sobriété, la bravoure, la passion du brigandage et l'habitude

de s'entre-partager l'autorité; aussi l'esprit de tribu dans cette géné-
ration reste en vigueur; son glaive est toujours affilé, son voisinage
redoutable, et les autres hommes se laissent vaincre par ses armes. La
possession d'un empire et le bien-être qui s'ensuit influent sur le
caractère de la seconde génération; chez elle, les habitudes de la vie
nomade se remplacent par celles de la vie sédentaire, la pénurie est
changée en aisance et la communauté du pouvoir en autocratie. Un
seul individu exerce toute l'autorité; le peuple, trop indolent pour
essayer de la reconquérir, échange l'amour de la domination contre
l'avilissement et la soumission. L'esprit de corps qui l'anime s'affaiblit ·
à un certain degré; mais on aperçoit que cette génération, malgré
son abaissement, en a conservé encore une portion considérable',
qu'elle tenait de la génération précédente. Elle en a connu les mœurs,
la fierté, l'amour de la gloire, l'ardeur à repousser l'ennemi et à se
défendre; aussi ne peut-elle perdre cet esprit tout à fait. Elle espère
même reprendre un jour tous ces traits de caractère; peut-être pense-
t-elle qu'elle les possède encore.

La troisième génération a oublié complétement la vie nomade et les mœurs agrestes du désert; elle ne reconnaît plus les douceurs de la gloire et de l'esprit de corps, habituée, comme elle l'est, à subir la domination d'un maître et plongée, par l'influence du luxe, dans toutes les délices2 de la vie. Des hommes de cette espèce sont une charge pour l'empire; à l'instar des femmes et des enfants, ils ont besoin de protecteurs; chez eux l'esprit de corps s'est éteint, le courage de se défendre,

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de repousser un ennemi ou de l'attaquer leur manque, et, malgré cela, ils cherchent à en imposer au public par leur équipement (militaire), leur habillement, leurs airs d'habiles cavaliers et leur ton présomptueux. Mais cela n'est qu'un faux vernis; car ils sont, en général, plus lâches que des femmes1, et si on les attaque, ils sont incapables P. 308. de résister. Le souverain s'appuie alors sur des étrangers d'une bravoure reconnue, et s'entoure d'affranchis et de clients en nombre à peu près suffisant pour la défense du pays. Dieu permet enfin que cet empire succombe avec tout ce qui en dépend. Cela fait voir que, dans l'espace de trois générations, les empires arrivent à la décrépitude et changent entièrement de nature. Dans la quatrième génération, l'illustration dont la nation s'était entourée disparaît tout à fait, ainsi que nous l'avons indiqué ailleurs. Nous disions alors qu'une tribu doit sa gloire et sa distinction à quatre générations d'illustres aïeux2, et nous en avons donné une preuve tirée de la nature des choses, preuve parfaitement claire et basée sur des principes que nous avons établis dans nos discours préliminaires. Si le lecteur veut bien les examiner, il ne manquera pas d'en reconnaître la justesse, pourvu qu'il soit sans préjugés.

La durée de trois générations est de cent vingt ans, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, et les dynasties se maintiennent ordinairement pendant cet espace de temps. Cela est un terme approximatif qui peut cependant arriver plus tôt ou plus tard. Si l'existence de l'empire se prolonge davantage, c'est parce qu'on ne songe pas à l'attaquer; mais cela est un cas purement accidentel; la décrépitude lui survient toujours, bien que personne ne l'ait menacé. Qu'un ennemi se fût présenté, l'empire aurait été incapable de lui résister. Enfin arrive l'heure de sa chute, heure que personne ne saurait avancer ni reculer. Donc les empires, comme les individus, ont une existence, une vie qui leur est propre; ils grandissent, ils arrivent à l'âge de

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la maturité, puis ils commencent à décliner. On comprendra maintenant la justesse du dicton populaire qui assigne aux empires une vie de cent ans.

Le lecteur qui aura apprécié nos observations possédera une règle au moyen de laquelle il pourra reconnaître combien d'aïeux se trouvent dans une chaîne généalogique pendant un certain intervalle, pourvu qu'il sache le nombre d'années dont cet intervalle se compose. Cette règle est pour le cas où l'on soupçonne que le nombre d'aïeux P. 309. n'est pas exact. Pour chaque centaine d'années, il comptera trois générations; cette proportion établie, si le nombre d'aïeux qui en résulte s'accorde avec celui que donne l'arbre généalogique, il peut regarder les indications de cet arbre comme vraies. Si le calcul donne une génération de moins que l'arbre, cela montre que l'on a intercalé le nom d'un aïeul dans la liste généalogique. Si, au contraire, le calcul fournit un aïeul de plus, on doit conclure qu'un nom a disparu de la liste. On peut employer le même procédé pour obtenir le nombre d'années quand on connaît avec certitude celui des aïeux. Dieu règle la longueur des nuits et des jours.

Dans les empires, les habitudes de la vie sédentaire remplacent graduellement celles de la vie nomade.

Ce changement arrive nécessairement dans tous les empires. En effet, la faculté de conquérir et d'atteindre à la souveraineté dérive de l'esprit de corps et de ce qui s'y rattache, c'est-à-dire de l'emploi de la force joint aux habitudes de rapine. Ces causes ne sauraient avoir tout leur effet que chez un peuple nomade; aussi le nouvel empire a d'abord une période pendant laquelle les conquérants conservent encore les usages de la vie errante; ensuite arrivent le bien-être et l'aisance. Or le caractère le plus remarquable de la vie sédentaire, c'est l'empressement qu'on met à varier ses jouissances et à cultiver les arts qui s'emploient dans les diverses voies et les divers modes que le luxe se plaît à suivre. On s'occupe de la cuisine, des vêtements, des maisons, des tapis, de la vaisselle et de tout le reste de l'ameublement

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