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Voyez, par exemple, comment l'empire des Arabes musulmans s'était maintenu plus longtemps que tout autre. Nous ne parlons pas ici seulement de la dynastie abbacide, qui siégeait au centre même de l'empire, mais aussi de celle des Oméiades qui s'étaient retirés en Espagne; toutes les deux avaient duré jusqu'au commencement du ve siècle de l'hégire. Celle des Fatémides se maintint pendant près de deux cent quatre-vingts ans. Celle des Sanhadja, qui relevait de l'empire fatémide, à partir de l'époque où Maadd el-Moëzz investit Bologguîn Ibn Zîri du gouvernement de l'Ifrîkiya, se maintint depuis l'an1 358 jusqu'à l'an 557, époque ou les Almohades lui enlevèrent la Calaâ2 et Bougie. L'empire almohade (hafside) de nos jours a subsisté plus de deux cent soixante et dix ans; ainsi la durée des empires est en rapport direct avec le nombre des guerriers qui les avaient fondés; règle que Dieu lui-même a suivie dans sa conduite envers les hommes. (Coran, sour. XL, vers. 85.)

Un empire s'établit difficilement dans un pays occupé par de nombreuses tribus ou peuplades.

Cela provient de la diversité d'opinions et de sentiments qui règne chez ces peuples. Chaque opinion, chaque sentiment, trouve un parti pour le soutenir; aussi les révoltes sont-elles très-fréquentes contre l'autorité de l'empire (que l'on vient d'y fonder). L'empire a beau s'appuyer sur le dévouement de ses partisans; les peuples qu'il tient en souP. 296. mission ont aussi un esprit de corps, et chaque peuple se croit assez fort pour rester indépendant. Voyez, par exemple, ce qui s'est passé en Ifrîkiya et en Maghreb depuis le commencement de l'islamisme jusqu'à nos jours. La population de ces contrées est composée de Berbers, peuple organisé en tribus dont chacune est animée d'un vif esprit de corps. Ibn Abi Sarh leur fit éprouver une première défaite ainsi qu'aux Francs (qui étaient avec eux); mais cela n'eut aucun résultat ; ils prirent l'habitude de se révolter et d'apostasier; à chaque instant ils se mettaient en insurrection, sans se laisser contenir par Pour, lisez 3. Voyez ci-devant, page 320, note 5.

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les châtiments que leur infligeaient les armées musulmanes. Lorsque l'islamisme eut pris pied chez eux, ils retombèrent dans leurs habitudes de révolte et embrassèrent les opinions religieuses des Kharedjites. Ces mouvements eurent lieu à plusieurs reprises. « Les Berbers du Maghreb, dit Ibn Abi Zeïd1, apostasièrent jusqu'à douze fois, et la doctrine de l'islamisme ne s'établit définitivement dans leurs cœurs qu'à partir de l'administration de Mouça Ibn Noceïr. » Omar (le khalife), voulant désigner cet état de choses, disait que l'Ifrîkiya semait la discorde2 dans les cœurs de ses habitants. Par ces paroles il donnait à entendre que cette contrée était remplie de tribus et de peuplades; ce qui portait les habitants à la désobéissance et à l'insubordination.

Dans l'Irac, à la même époque, ainsi qu'en Syrie, un pareil état de choses n'existait pas. L'un de ces pays avait des troupes perses pour le garder, et l'autre, des troupes grecques. Ces armées consistaient en un mélange de gens de toute espèce, habitants des villes. Quand les musulmans eurent effectué la conquête de ces deux pays, il n'y eut plus de résistance ni de révoltes à craindre. Dans le Maghreb, au contraire, les tribus berbères étaient innombrables; elles s'adonnaient toutes à la vie nomade, et chacune d'elles avait pour se soutenir un vif esprit de corps et de famille. Chaque fois qu'une de ces peuplades venait à s'éteindre, une autre la remplaçait et en adoptait les habitudes de révolte et d'apostasie; aussi les Arabes durent travailler longtemps avant de pouvoir établir l'autorité de l'empire musulman dans l'Ifrîkiya et dans le Maghreb.

En Syrie, les Israélites trouvèrent des tribus composées de Phi- P. 297. listins, de Canaanéens, de descendants d'Ésau, de Madianites, de

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descendants de Lot (les Moabites), d'Édomites, d'Araméens, d'Amalécites, de Gergéséens et de Nabatéens; ceux-ci se tenaient du côté de la Mésopotamie et de Mosul. Le nombre de ces tribus, ainsi que la diversité de leurs sentiments et de leurs intérêts, était immense. Les Israélites éprouvèrent donc de grandes difficultés avant de pouvoir établir leur domination dans ce pays et y fonder un empire. Leur autorité fut souvent ébranlée par des révoltes, et ils se laissèrent infecter euxmêmes par l'esprit de désordre qui animait leurs sujets. Aussi se mirent-ils souvent en insurrection contre leurs rois, et ils n'eurent jamais un empire solidement établi. Vaincus par les Perses, puis par les Grecs, ils furent enfin subjugués et dispersés par les Romains.

Il en est tout autrement des pays où l'esprit de corps et de tribu n'existe pas. On peut y fonder un empire facilement; le souverain est toujours sans inquiétude, parce que les soulèvements et les révoltes y sont très-rares. Cet empire n'a pas besoin de s'appuyer sur une foule de partisans animés d'un même esprit de corps. Telle est l'Égypte, ainsi que la Syrie de nos jours; il n'y a pas de tribus ni de peuplades organisées en bandes; on pourrait même croire que се dernier pays n'avait jamais été une pépinière de tribus. Le sultan. d'Égypte vit dans une tranquillité parfaite, tant est rare dans cette contrée l'esprit de faction et de révolte. Là on ne trouve qu'un souverain et des sujets obéissants. Le gouvernement, dirigé par un prince d'origine turque et soutenu par des bandes (de mamlouks) appartenant à la même race, passe d'un souverain à un autre, de famille en famille. Il s'y trouve aussi un khalife que l'on intitule l'Abbacide et qui descend des khalifes de Baghdad.

De nos jours, le même état de choses se voit en Espagne, pays P. 298. gouverné par Ibn el-Ahmer. Quand la dynastie de ce prince commençait à s'établir, elle n'était pas très-forte et n'avait pas beaucoup de troupes. Les Beni'l-Ahmer appartiennent à une de ces familles arabes qui avaient été au service des Oméiades et dont il ne restait qu'un très-petit nombre. Lorsque le gouvernement des Arabes fut renversé en Espagne et que les Berbers lemtouniens (almoravides) et les Al

mohades eurent effectué (successivement) la conquête de ce pays, les musulmans espagnols furent tellement opprimés et maltraités par les vainqueurs, que leurs cœurs en furent remplis de haine et d'indignation. A l'époque où le gouvernement des Almohades tirait vers sa fin, les Cids' (ou princes) de cette dynastie cédèrent au roi chrétien un grand nombre de forteresses, dans l'espoir d'obtenir de lui des secours qui les mettraient en mesure d'entreprendre la conquête de Maroc, capitale3 de l'empire. Toutes les anciennes familles arabes qui étaient restées en Espagne et qui conservaient encore leur esprit national se réunirent alors; peu disposées par leur origine à rester dans des villes et à séjourner dans des établissements fixes, elles s'étaient consacrées à la vie militaire et servaient dans les milices de l'empire". Ibn Houd (roi de Saragosse), Ibn el-Ahmer (le Nasride, sultan de Grenade), et Ibn Merdenîch (chef de l'Andalousie orientale), appartenaient chacun à une de ces familles. Le premier, ayant saisi le commandement, fit proclamer en Espagne l'autorité spirituelle des khalifes abbacides, souleva le peuple contre les Almohades, dont il venait de répudier la souveraineté, et parvint à les expulser du pays. Ensuite Ibn el-Ahmer aspira au pouvoir et, ne voulant pas reconnaître pour chef religieux le khalife abbacide, ainsi que l'avait fait Ibn Houd, il fit prononcer la prière publique au nom d'Ibn Abi Hafs, chef almohade et souverain de l'Ifrîkiya. Pour s'emparer du pouvoir, il n'eut besoin que d'un très-faible parti, composé de membres de sa propre famille, qu'on nommait les Roouça (les reïs

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ou chefs). Il pouvait se passer d'un corps plus nombreux parce que l'esprit de tribu existait à peine parmi les populations du pays. Là aussi il n'y avait qu'un souverain et des sujets. Plus tard, il prit les armes1 contre le roi chrétien et, s'étant attaché les princes zenatiens2, qui avaient traversé le détroit pour se réfugier chez lui, il en forma un corps de troupes, auxquelles il confia la garde de ses P. 299. forteresses et de ses frontières. Le souverain zenatien (mérinide) qui régnait sur le Maghreb avait conçu l'espoir de s'emparer de l'Espagne; mais ce corps de réfugiés seconda Ibn el-Ahmer avec dévouement, et le soutint jusqu'à ce qu'il pût rétablir ses affaires, concilier les esprits et se mettre à l'abri de toute attaque. L'autorité reste encore dans sa famille.

Il ne faut pas croire qu'Ibn el-Ahmer ait pu fonder un empire sans être soutenu par un parti animé d'un certain esprit de corps. Lorsqu'il commença sa carrière il avait un parti, assez faible, il est vrai, mais parfaitement suffisant pour l'exécution de ses projets. En effet, l'esprit de tribu et de corps n'était pas fort en Espagne; ce prince n'avait donc aucun besoin d'un nombreux corps de partisans afin de faire la conquête du pays. Dieu seul peut se passer de l'appui de ses créatures.

Dans un empire, le souverain est naturellement porté à se réserver toute l'autorité3; on s'y abandonne au luxe, à l'indolence et au repos*.

Commençons par l'esprit d'autocratie. C'est par l'influence de l'esprit de corps que se fondent les empires", ainsi que nous l'avons dit. Or un peuple animé d'un vif sentiment de sa dignité se compose

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