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Touizeri, qui faisait profession de soufisme, parut dans la province de Sous et alla s'installer dans le Mesdjid (ou mosquée) de Massa2, lieu situé sur le bord de la mer (atlantique). S'étant donné pour le Fatémide attendu, il séduisit les gens du peuple, dont l'esprit était déjà frappé par des prédictions annonçant que ce personnage allait paraître et qu'il ferait de cette mosquée son quartier général. De cette manière, il rassembla autour de lui une foule de Berbers, qui se précipitèrent à sa rencontre ainsi que les papillons se laissent attirer par la lumière d'une bougie. Leurs chefs finirent par reconnaître que cette tentative de rébellion pourrait prendre une grande extension, et Omar es-Sekçîouï3, celui d'entre eux qui commandait à toutes les tribus masmoudiennes, aposta des émissaires qui assassinèrent l'imposteur dans son lit.

Vers la même époque, un autre intrigant, nommé El-Abbas, se montra chez les Ghomara, en se donnant aussi pour le Fatémide attendu. Les imbéciles et les mauvais sujets de cette tribu s'étant empressés de répondre à son appel, il se vit bientôt assez fort pour marcher contre la ville de Badis et l'emporter d'assaut; mais quarante jours seulement après avoir commencé sa carrière, il subit le sort de ses devanciers et perdit la vie.

Nous pourrions citer encore un grand nombre d'exemples de ces folles tentatives. On s'y laisse entraîner facilement parce qu'on ignore combien l'appui d'un parti puissant est nécessaire dans une entreprise de cette nature. Si l'on s'y jette avec le seul dessein de tromper le peuple, on mérite de ne pas réussir et de subir le châtiment de

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Une dynastie ne peut étendre son autorité que sur un nombre limité de royaumes et de contrées.

En effet, les partisans de la dynastie, le peuple qui l'a établie et qui la soutient, doivent se distribuer par bandes dans les divers royaumes et forteresses dont ils ont obtenu la possession. Il faut occuper le pays afin de pouvoir le protéger contre l'ennemi et y faire respecter l'autorité du gouvernement central. Parmi leurs attributions, ces détachements ont pour mission de prélever l'impôt et de contenir les vaincus. Or, quand un empire a éparpillé ses forces de cette manière, il épuise ses moyens d'action, et les limites (extérieures) des provinces (qu'il a conquises) deviennent la frontière de son territoire et marquent toute l'étendue qu'il est capable de prendre. Si le souverain voulait essayer d'augmenter ses possessions, il n'aurait plus assez de troupes pour tout garder, et donnerait à ses ennemis. et aux États voisins une occasion favorable de l'attaquer. La crainte qu'il leur inspirait d'abord ne les retiendrait plus, et leurs tentatives audacieuses porteraient un grand préjudice à son autorité. Si les forces de l'empire sont très-nombreuses, si l'on ne les affaiblit pas en les distribuant par détachements dans les places fortes et sur les frontières, l'empire a le moyen de s'emparer des régions situées en dehors de ses limites et d'acquérir toute l'étendue qu'il peut recevoir.

Cela est dans la nature même des choses. L'esprit de corps est une puissance naturelle; chaque puissance produit des résultats, et c'est aux résultats qu'on la reconnaît. Une dynastie est bien plus puissante dans le siége de son gouvernement qu'aux extrémités et aux frontières de son empire. Quand elle a étendu son autorité jusqu'aux P. 199. frontières, elle ne saurait la porter plus loin. C'est ainsi que s'affaiblissent les rayons de lumière qui émanent d'un point central, et les ondulations circulaires qui s'étendent sur la surface de l'eau lorsqu'on la frappe. Aussitôt que l'empire subit les premières atteintes de la vieillesse et de la décrépitude, il rétrécit ses frontières, tout en conservant sa capitale, et il continue à diminuer l'étendue de son

territoire jusqu'au moment où il doit succomber, d'après la volonté de Dieu, et perdre même sa capitale. Une dynastie qui se laisse enlever le siége de sa puissance a beau conserver encore ses provinces frontières, elle disparaît du monde1 à l'instant même. La capitale d'un État est, pour ainsi dire, le cœur de l'empire; à l'instar du cœur des animaux, il transmet les esprits vitaux dans tous les membres du corps; si l'on saisit le cœur, on met toutes les extrémités en désarroi.

Voyez, par exemple, la Perse: aussitôt que les musulmans se furent emparés d'El-Medaïn, capitale de cet empire, toute la puissance des Perses fut anéantie. Les provinces frontières étaient cependant restées au pouvoir de Yezdeguird; mais cela ne lui servit de rien. Il en fut tout le contraire de la domination de l'empire grec en Syrie : lorsque les musulmans eurent enlevé ce pays aux Grecs, ceux-ci se retirèrent vers Constantinople, siége de leur empire; aussi la perte de la Syrie ne leur nuisit pas. En effet, leur puissance se maintiendra jusqu'à ce que Dieu veuille en permettre la chute. Voyez aussi les Arabes dans les premiers temps de l'islamisme. Comme ils étaient très-nombreux, ils s'emparèrent facilement des pays voisins: la Syrie, l'Irac et l'Égypte tombèrent promptement entre leurs mains. Alors ils portèrent leurs armes plus loin et envahirent le Sind, l'Abyssinie, l'Ifrîkiya et le Maghreb; ensuite ils pénétrèrent en Espagne. S'étant fractionnés en bandes, afin d'occuper ces royaumes et de garder ces frontières étendues, ils finirent par perdre de leur force et se trouvèrent dans l'impossibilité de faire de nouvelles conquêtes; aussi l'islamisme se trouva-t-il arrêté dans son progrès et n'alla pas plus loin. Parvenue à cette limite extrême, la domination musulmane commença P. 293. un mouvement rétrograde qui doit continuer jusqu'à ce que Dieu permette la ruine de cet empire. Tel a été le sort des États qui se sont formés depuis (l'établissement de l'islamisme); qu'ils aient eu à leur disposition beaucoup de troupes ou peu, aussitôt qu'ils les eurent

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distribuées dans les provinces, ils ne purent plus effectuer des con

quêtes.

La grandeur d'un empire, son étendue et sa durée sont en rapport direct avec le nombre de ceux qui l'ont fondé.

C'est avec l'aide d'un corps puissant qu'on parvient à fonder un empire. Ce corps se compose de troupes que l'on doit distribuer ensuite dans les États et les provinces dont l'empire se compose, afin d'y tenir garnison. Plus la tribu et le peuple qui ont fondé un grand empire sont nombreux, plus cet empire est fort, et plus il possède de provinces et de territoires. Nous en voyons un exemple dans l'empire islamique lorsque Dieu eut rallié tous les Arabes à la religion, le nombre des musulmans qui prirent part à l'expédition de Tebouk, dernière campagne entreprise par le Prophète, montait à cent vingt mille, tant cavaliers que fantassins. De ces guerriers les uns appartenaient à la grande tribu de Moder et les autres à celle de Cahtan. Ajoutez à cette masse les gens qui embrassèrent l'islamisme pendant le temps qui s'écoula depuis cette expédition jusqu'à la mort du Prophète. Lorsque ces Arabes se mirent en marche pour conquérir des royaumes, aucune forteresse, aucun pays, quelque bien protégé qu'il fût, ne put leur résister. Ils envahirent le territoire des Perses et celui des Grecs, de ces deux peuples qui formaient alors les plus puissantes nations du monde. Ils attaquèrent les Turcs en Orient, les Francs et les Berbers en Occident et les Goths en Espagne. S'étant P. 294. portés depuis le Hidjaz jusque dans le Sous El-Acsa, et depuis le

Yémen jusque chez les Turcs, dans la région la plus reculée du nord, ils étendirent leur domination sur les sept climats. Voyez ensuite l'empire des Sanhadja (Zîrides) et celui des Almohades, comparés à celui des Fatémides, qui précéda ceux-ci. Comme la tribu des Ketama, celle qui avait établi la dynastie fatémide sur le trône, était plus nombreuse que les tribus des Sanhadja et des Masmouda (Almohades), elle les surpassa aussi par l'étendue de l'empire qu'elle fonda. L'Ifrîkiya, le Maghreb, la Syrie, l'Égypte et le Hidjaz leur

étaient soumis. Après eux on vit s'élever l'empire des Zenata. Ce
peuple, depuis le commencement de sa carrière, avait toujours été
moins nombreux que les Masmouda; aussi leur était-il inférieur
quant à l'étendue de son empire. Le même fait se reconnaît encore
quand on considère l'état des Zenatiens1 du Maghreb : celui des Méri-
nides (en Maroc) et celui des Beni Abd el-Ouad (à Tlemcen). Lorsque
les Mérinides commencèrent à faire des conquêtes, ils étaient plus
nombreux les Beni Abd el-Ouad; aussi les surpassèrent-ils par
la puissance et l'étendue de leurs possessions; ils les vainquirent
même à plusieurs reprises. On assure que les Mérinides avaient d'abord
trois mille hommes sous les armes, et que les Beni Abd el-Ouad
n'étaient
que mille2. Il est vrai que ces nombres augmentèrent plus
tard, avec le progrès du bien-être général et par l'adjonction d'une
foule de partisans.

que

Donc l'étendue d'un empire et sa puissance sont en rapport direct avec le nombre de ceux qui l'ont fondé. Il en est de même de la durée des empires. La durée de toute chose qui a eu un commencement dépend de la force du tempérament de cette chose; or le tempérament des empires 3, c'est l'esprit de corps. Plus cet esprit est fort, plus l'empire se distingue par la vigueur de son tempérament et par sa durée. C'est dans les masses nombreuses que l'esprit de corps se développe le mieux, ainsi que nous l'avons déjà dit.

Ce que nous venons d'exposer dépend d'une cause réelle. Quand un empire commence à perdre de son étendue, c'est aux frontières que ce rétrécissement a lieu. S'il se compose d'un grand nombre de P. 295. provinces, ses frontières seront très-éloignées de la capitale et auront un vaste développement. Chaque perte de territoire a lieu dans un certain temps. Si les provinces sont nombreuses, ces époques de diminution seront nombreuses aussi; car chaque province a un temps pour se maintenir et pour faiblir. (Donc un empire renfermant beaude provinces) aura une longue durée.

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