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nement abbacide s'étaient conduits, ils usurpèrent les titres et les emblèmes de la souveraineté, croyant que personne n'oserait s'y opposer ni leur en faire un reproche1. En effet, l'Espagne était alors un pays où l'esprit de tribu et de corps avait cessé d'exister, ainsi que nous P. 281. l'indiquerons plus tard. Cet état de choses se prolongea et donna au poëte Ibn Chéref2 l'occasion de dire:

J'ai pris l'Espagne en dégoût, à cause de ces noms de Motacem et Motaded, Titres impériaux bien mal placés; cela fait penser au chat qui se gonfla pour atteindre la taille du lion.

Pour soutenir leur autorité, ils eurent leurs affranchis et leurs clients, les serviteurs qu'ils s'étaient attachés par des bienfaits, les Berbers, les Zénatiens et d'autres aventuriers venus de la Mauritanie. Ils suivirent ainsi le système que les derniers Oméiades avaient adopté, lorsque la puissance arabe s'était affaiblie dans le pays et que Ibn Abi Amer (el-Mansour) s'était emparé3 de l'administration de l'empire. Dans plusieurs parties de l'Espagne, ces usurpateurs fondèrent des royaumes considérables, à l'instar de celui dont ils s'étaient partagé les provinces. Ils régnaient encore quand les Almoravides de la tribu des Lemtouna, peuple dont l'esprit de corps était alors trèspuissant, traversèrent le détroit, les dépossédèrent et renversèrent Jeur pouvoir. Les roitelets espagnols n'avaient pas la force de se défendre, parce qu'il leur manquait l'appui de cet esprit de race-et de corps qui sert à fonder et à protéger les empires. Tortouchi s'est imaginé que, dans tous les temps, la force des empires consistait uniquement dans des corps de troupes qui recevaient une solde mensuelle. Il le dit dans son ouvrage intitulé Siradj el-Molouk; mais sa théorie n'explique pas comment les grands empires (d'autrefois)

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ont fondé leur autorité; elle n'est exacte qu'à l'égard des dynasties modernes, dont l'autorité est déjà bien établie, et dont le

gouvernement appartient à une seule famille, habituée depuis longtemps à l'exercice du commandement. Cet auteur n'avait vu que des dynasties P. 282. tombées en décadence, après avoir épuisé toutes les faveurs de la fortune, et qui s'étaient maintenues d'abord par le dévouement de leurs créatures et de leurs clients, puis en s'appuyant sur des troupes mercenaires. Il n'avait vu que les petits royaumes qui s'étaient formés après la chute des Oméiades, quand les Arabes de l'Espagne avaient perdu le sentiment de leur nationalité, et que chaque gouverneur (de ville et de province) s'était déclaré indépendant. Il avait vécu à Saragosse, sous El-Mostaïn Ibn Houd et El-Modhaffer, fils d'El-Mostaïn. Or ces princes ne pouvaient pas s'appuyer sur l'esprit national de la race arabe, car ce peuple s'était abîmé dans le luxe depuis trois siècles. Tortouchi ne voyait qu'un prince revêtu de l'autorité souveraine, à l'exclusion des autres membres de la même famille, et une dynastie habituée au commandement depuis l'origine de l'empire, depuis le temps où les derniers restes de l'esprit de tribu existaient. encore. L'autorité d'un tel souverain est admise sans contestation tant qu'elle a pour appui un corps de troupes soldées. Cet écrivain a donc parlé d'une manière trop absolue, n'ayant pas pris en considération l'état des choses qui eut lieu pendant le premier établissement de la dynastie. Or une dynastie ne peut se fonder sans le concours d'un peuple animé d'un même esprit. Le lecteur voudra bien prendre en considération le principe que nous venons d'exposer; il y reconnaîtra encore une de ces voies secrètes par lesquelles Dieu dirige sa puissance. Dieu donne la souveraineté à qui il veut.

Des personnages appartenant à une famille royale parviennent quelquefois à fonder un empire sans avoir eu l'appui de leur propre parti.

Cela peut arriver si le parti qui avait soutenu la famille du prince était déjà parvenu à subjuguer un grand nombre de peuples. Dans les

provinces situées sur les frontières de l'empire, les chefs à qui cette famille avait confié des commandements conservent toujours pour elle un profond sentiment de dévouement. Aussi, lorsqu'un prince appartenant à cette illustre maison et nourri au sein de la puissance. est obligé de se réfugier auprès d'eux, ils se rallient autour de lui pour le protéger et pour soutenir sa cause. Dans l'espoir qu'il re- P. 283. prendra sa haute position' et qu'il enlèvera le pouvoir à ses parents2, ils travaillent à fonder son autorité sur une base solide, et ne songent même pas à partager le pouvoir avec lui. Ils se dévouent à la cause de leur protégé, parce que le prestige du commandement l'entoure, lui et les siens3, et parce qu'ils regardent comme un article de foi qu'une obéissance entière leur est due. S'ils cherchaient à partager l'autorité avec lui ou à l'exercer à son exclusion, ils perdraient la cause qu'ils voulaient défendre3. Ce fut ainsi que les Idrîcides fondèrent un empire dans le Maghreb-el-Acsa et que les Fatémides établirent leur domination en lfrîkiya et en Égypte. Ces descendants d'Ali Ibn Abi Taleb (gendre de Mohammed) avaient abandonné l'Orient pour se réfugier dans les provinces les plus éloignées du siége du khalifat, et entrepris d'arracher le pouvoir aux mains des Abbacides. Cela eut lieu après que la souveraineté des descendants d'Abd-Ménaf eut passé des Oméiades dans la famille de Hachem. (Les Idrîcides et les Fatémides,) s'étant refugiés dans le fond du Maghreb, prirent les armes (contre la dynastie abbacide) et rallièrent plusieurs fois les peuples berbères autour de leurs drapeaux. Les Auréba' et les Maghila embrassèrent la cause des Idrî

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cides; les Kétama, les Sanhadja et les Hoouara se rallièrent autour des Obéidites (Fatémides). Soutenus par ces bandes, les princes Alides réussirent à fonder des dynasties, et à détacher le Maghreb entier du royaume des Abbacides. Ensuite ils enlevèrent l'Ifrîkiya à l'autorité de la même famille. Pendant que la domination des Abbacides reculait, celle des Fatémides prenait de l'extension ; aussi ces derniers finirent par soumettre l'Egypte, la Syrie et le Hidjaz. De cette manière, l'empire se trouva partagé également entre les deux dynasties rivales. Les Berbers, qui avaient établi et soutenu l'empire des Fatémides, ne cessèrent de leur montrer un dévouement sans bornes, leur seule ambition étant d'obtenir des charges honorables à la cour de cette famille'. Ils cédèrent ainsi au prestige dont l'exercice du pouvoir avait entouré les descendants de Hachem 2, et à la renommée que les Coréichides et les tribus modérides avaient conquise en subjuguant les autres peuples. En effet, la souveraineté P. 284. resta dans la lignée de Hachem jusqu'à la ruine totale de l'empire des Arabes. Dieu décide, et personne ne peut contrôler ses décisions. (Coran, sour. XII, vers. 41.)

La religion enseignée par un prophète ou par un prédicateur de la vérité est la seule base sur laquelle on puisse fonder un grand et puissant empire.

C'est par la conquête que se fondent les empires; pour conquérir, il faut s'appuyer sur un parti animé d'un même esprit de corps et visant à un seul but. Or l'union des cœurs et des volontés ne peut s'opérer que par la puissance divine et pour le maintien de la religion. Dieu lui-même a dit : « Tu dépenserais toutes les richesses de la terre avant de pouvoir réunir les cœurs. » (Coran, sour. VIII, vers. 64.) Ce verset fait entendre que les hommes, lorsqu'ils livrent leurs cœurs aux vaines passions et au désir des biens mondains, deviennent jaloux les uns des autres et que la discorde se met entre eux. Si, au contraire, les cœurs se tournent vers la vérité et rejettent le monde et

1

lisez, ضدهم Pour . عندهم

2

— Les Alides descendaient de Hachem ainsi que les

Abbacides.

ses vanités

pour l'amour de Dieu, ils prennent tous une bonne direction; les jalousies disparaissent; la discorde s'éteint, les hommes. s'entr'aident avec dévouement; leur union les rend plus forts; la bonne cause fait un progrès rapide et aboutit à la fondation d'un grand et puissant empire. Plus loin, nous reviendrons là-dessus.

Une dynastie qui commence sa carrière en s'appuyant sur la religion double la force de l'esprit de corps qui aide à son établissement.

La religion, avons-nous dit, est une teinture au moyen de laquelle on fait disparaître les sentiments de jalousie et d'envie qui règnent chez les peuples animés d'un fort esprit de corps. Elle donne à tous les cœurs la même direction, celle de la vérité. Aussi, lorsque P. 285. un pareil peuple veut s'occuper de ses intérêts, rien ne peut lui résister: il agit avec un ensemble parfait, visant toujours au même but et s'exposant à la mort pour parvenir à ses fins. Les habitants de l'empire dont ce peuple cherche à effectuer la conquête peuvent être bien plus nombreux que leurs adversaires, mais ils forment plusieurs partis dont chacun travaille follement pour ses intérêts privés et s'abstient, par lâcheté, de porter secours à ses concitoyens. Bien qu'ils surpassent en nombre le peuple qui vient les attaquer, ils ne sauraient lui résister. Vaincus dans la lutte, ils s'éteignent rapidement, suite inévitable de l'amollissement des mœurs et de la dégradation. Ce fut ainsi que, dans les premiers temps de l'islamisme, les Arabes effectuèrent leurs grandes conquêtes : l'armée musulmane, forte de trente et quelques mille guerriers, combattit à Cadeciya toutes les forces de la Perse, composées de cent vingt mille hommes; à Yermouk, elle se mesura avec les troupes qu'Héraclius y avait rassemblées, et dont le nombre, s'il faut en croire El-Ouakedi1, montait à quatre cent mille hommes. Dans ces deux batailles, rien ne résista aux Arabes; ils mirent l'ennemi en pleine déroute et s'emparèrent de ses dépouilles. Voyez encore les mêmes faits se reproduire quand les Lemtouna (les Almoravides) et les Almohades fondèrent Voyez p. 5, note 4.

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