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ancêtres avaient fondé des empires; et cependant aucun peuple du monde n'a jamais produit tant de dynasties que la race arabe. Le royaume des Adites, ceux des Themoud, des Amalécites, des Himyėrites et des Tobba, en sont la preuve. L'empire des Arabes descenP. 276. dus de Moder parut ensuite avec l'islamisme, et se maintint sous les Oméiades et les Abbacides. Ayant oublié leur religion, ils finirent par ne plus conserver le souvenir du puissant empire qu'ils avaient fondé1; ils reprirent leurs anciennes habitudes de la vie nomade, et, s'il leur arrivait quelquefois de s'emparer d'un royaume tombé en décadence, ils ne le faisaient que pour ruiner le pays et en détruire la civilisation, que cela se voit encore de nos jours dans l'Afrique septentrionale. Dieu est le meilleur des héritiers.

ainsi

Les peuplades et les tribus (agricoles) qui habitent les campagnes subissent l'autorité des habitants des villes.

La civilisation des campagnards est inférieure à celle des habitants de villes; tous les objets de première nécessité se trouvent chez ceux-ci, et manquent très-souvent chez les autres. Les campagnes ne peuvent pas fournir aux cultivateurs les divers instruments agricoles, ni leur offrir tous les moyens qui facilitent la culture de la terre; les arts manuels surtout n'y existent pas. On n'y trouve ni menuisiers, ni tailleurs, ni forgerons. Tous les arts qui fournissent aux premiers besoins de la vie et qui offrent à l'agriculture les objets les plus indispensables n'existent pas en dehors des villes. Les campagnards n'ont pas de monnaie d'or et d'argent, mais il en possèdent l'équivalent dans les produits de leurs terres et de leurs troupeaux. Le lait ne leur manque pas, ni la laine, ni le poil de chèvre et de chameau, ni les peaux, ni d'autres choses dont les habitants de villes ont besoin. Ils échangent ces matières contre des dirhems et des dinars. Faisons toutefois observer que le campagnard a besoin du citadin lorsqu'il veut se procurer les objets de première nécessité, tandis

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par un

que celui-ci peut se passer du campagnard tant qu'il ne recherche pas les choses qui lui sont d'une nécessité secondaire, ou qui peuvent contribuer à son bien-être. Un peuple qui continue à habiter le pays ouvert sans être parvenu à fonder un empire, ou à conquérir des villes, ne saurait se passer du voisinage d'une population urbaine. P. 277. Il doit travailler pour les citadins, se conformer aux ordres et aux réquisitions de leur gouvernement. Si la ville est commandée roi, les gens de la campagne s'humilient devant la puissance du monarque. Si elle n'a pas de roi, elle doit avoir pour la gouverner un chef ou bien une espèce de conseil formé de citoyens qui se sont emparés du pouvoir; car une ville sans gouvernement ne saurait prospérer. Ce chef détermine les habitants de la campagne à lui obéir et à le servir. Leur soumission peut être volontaire ou contrainte. Dans le premier cas, elle s'obtient par de l'argent, et par le don de ces objets de première nécessité qu'une ville seule peut fournir. Un peuple campagnard dont on achète ainsi les services ne cesse de prospérer. Dans le second cas, le chef de la ville, s'il est assez puissant, emploie la force des armes contre les insoumis, ou bien il travaille à semer la désunion parmi eux et à s'y faire un parti, à l'aide duquel il pourra réussir à les dominer tous. Ils font alors leur soumission pour éviter la destruction de leurs propriétés. S'ils voulaient abandonner cette localité pour en occuper une autre, ils ne pourraient guère effectuer leurs projets, car ils trouveraient ordinairement que celle-ci est déjà tombée au pouvoir d'un peuple nomade qui est bien décidé à la garder. Dans l'impossibilité de trouver un asile, ils doivent se résigner à subir l'autorité de la ville; ils ne peuvent que se soumettre et obéir. Dieu est le maître absolu de ses créatures; il est le Seigneur unique, le seul être adorable.

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P. 278.

TROISIÈME SECTION.

SUR LES DYNASTIES, la royauté, le KHALIFAT, et l'ordre des dignités danS LE SULTANAT (GOUVERNEMENT TEMPOREL). INDICATION DE TOUT CE QUI S'Y PRÉSENTE DE REMARPRINCIPES FONDAMENTAUX ET DÉVELOPPEMENTS.

QUABLE.

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On ne peut établir une domination ni fonder une dynastie sans l'appui du peuple et de l'esprit de corps qui l'anime'.

Dans la première section de ce livre, nous avons posé en principe qu'un peuple ne saurait effectuer des conquêtes ni même se défendre, à moins d'être uni par l'influence d'un fort esprit de corps, de cette sympathie et de ce dévouement qui portent chaque individu à risquer sa vie pour le salut de ses amis. A cela nous pouvons ajouter maintenant d'autres considérations: la dignité de souverain est aussi noble qu'attrayante. Avec elle, on se procure les jouissances mondaines, tout ce qui peut satisfaire les sens et charmer l'esprit. Celui qui la possède est presque toujours un objet d'envie, et il s'en dessaisit rarement, à moins d'y être contraint par la force. La jalousie qu'on lui porte amène des luttes qui aboutissent à la guerre, aux combats et au renversement du trône; mais rien de cela n'arrive que par l'effet d'un fort esprit de corps. Voilà ce que la grande majorité des individus (soumis à une autorité souveraine) ne saurait comprendre; ils n'y songent même pas2, parce qu'ils ont oublié de quelle manière leur empire a été fondé et qu'ils ont eu des demeures fixes pendant plusieurs générations. Ils ignorent comment Dieu a fait pour élever la dynastie qui les gouverne; ils voient une souveraineté bien établie, une autorité qui se fait obéir et qui maintient l'ordre dans l'État, sans avoir besoin de l'appui que l'esprit de famille et de tribu pourrait lui fournir. Ils ne savent pas comment leur empire prit son origine; ils n'ont aucune idée des difficultés que leurs ancêtres eurent à sur

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monter avant d'arriver au pouvoir. C'est surtout chez les musulmans de l'Espagne que l'on méconnaît l'importance de l'esprit de corps; depuis très-longtemps ils ont cessé d'apprécier l'influence qu'il peut exercer; ils ne le connaissent plus depuis la dévastation de leurs pro- P. 279. vinces et l'extinction des tribus et des familles qui avaient conservé ce noble sentiment. Dieu fait ce qu'il veut.

Une dynastie qui parvient à s'établir d'une manière solide cesse de s'appuyer sur le parti qui l'avait portée au pouvoir.

Le souverain qui vient de fonder un grand empire a devant lui une tâche bien difficile, celle d'amener tous les esprits à la soumission. Pour y parvenir, il doit agir (contre ceux de son propre parti) avec autant de vigueur qu'il mettrait à subjuguer un peuple étranger. Sans l'emploi de la force, il ne saurait réduire à l'obéissance des gens qui, jusqu'alors, n'en avaient pas l'habitude. Plus tard, lorsque l'autorité de l'empire est bien établie, et que le haut commandement est resté, comme un héritage, dans la même famille, pendant plusieurs générations et à travers les diverses vicissitudes de la fortune, le peuple oublie comment la dynastie s'est établie. Habitué à voir la même famille exercer toute l'autorité, il finit par croire, comme un article de foi, qu'il doit obéir toujours et combattre pour cette famille avec autant de zèle que pour le maintien de la religion. Dès lors, le chef n'a plus besoin d'un fort parti pour le soutenir, l'obéissance étant devenue comme un devoir imposé par Dieu et dont personne ne songe à s'écarter. Ensuite il profite de la première occasion pour faire ajouter aux dogmes de la foi l'obligation de reconnaître au souverain la qualité de chef spirituel et temporel. A partir de ce moment, l'autorité du prince et de l'empire a pour soutiens les nombreux affranchis et les clients de la famille régnante, les gens qui ont vécu sous la protection de la maison royale et à l'ombre de sa puissance1; ou bien elle s'appuie sur des bandes armées appartenant à une autre race et qu'elle admet dans sa clientèle. Nous en

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P. 280. avons un exemple dans l'histoire des Abbacides: sous le règne d'ElMotacem et sous celui de son fils El-Ouathec, l'esprit national1 des Arabes avait presque disparu, et les khalifes ne purent soutenir leur puissance qu'à l'aide de leurs clients persans, turcs, déilemites, seldjoukides ou autres. Ces étrangers 2 finirent par s'emparer des provinces de l'empire et ne laissèrent rien au khalifat, excepté le territoire de Baghdad. Ensuite les Déilemites marchèrent contre cette ville, s'en emparèrent et tinrent les khalifes sous leur tutelle. Cette usurpation ne dura pas, les Seldjoukides leur enlevèrent le pouvoir, et le perdirent ensuite; puis vinrent les Tartars, qui tuèrent le khalife et firent disparaître jusqu'aux dernières traces de l'empire. Dans le Maghreb, la puissance des Sanhadjaa eut un sort analogue. Depuis, ou même avant le ve siècle de l'hégire, l'esprit de corps qui avait animé ce peuple s'était presque éteint; rien ne leur restait d'un vaste empire, excepté El-Mehdiya, Bougie, El-Calà3 et quelques autres places fortes de l'Ifrîkiya. Leurs souverains eurent même à soutenir des siéges dans ces lieux de retraite, tout en conservant les honneurs de la royauté; mais Dieu permit enfin la chute de cette dynastie. Les Almohades, soutenus par l'esprit de corps qui régnait alors parmi les tribus masmoudiennes, détruisirent complétement le royaume des Sanhadja. En Espagne, la dynastie des Oméiades succomba aussitôt qu'elle eut perdu l'appui des Arabes, dont le dévouement l'avait soutenue. Les chefs des villes et des provinces secouèrent le joug de la subordination, et, s'étant jetés à l'envi sur l'empire, ils s'en partagèrent les débris. Chacun d'eux s'arrogea l'autorité suprême dans le lieu où il commandait et se posa en souverain. Sachant comment les chefs étrangers qui servaient le gouverrétrécit au point de ne pas dépasser le territoire de Baghdad.

1

Ou bien la force des Arabes, le parti arabe. Notre auteur ne distingue pas toujours bien la double signification du note, qui signifie également esprit de corps, et fort parti.

2 Littéral. «les Persans et les clients. >>

3 Littéral. « et l'ombre du khalifat se

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'C'est-à-dire, les Zîrides et les Hammadides. (Voy. Histoire des Berbers, t. II.) El-Calà, appelée aussi la Calâ des Beni Hammad, était située à une journée nordest d'El-Mecîla.

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