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ou par la fondation d'une dynastie, ils se sont mis en état d'assouvir leur rapacité, ils méprisent tous les règlements qui servent à protéger les propriétés et les richesses des habitants. Sous leur domination, la ruine envahit tout. Ils imposent aux gens de métier et aux artisans des corvées pour lesquelles ils ne jugent pas convenable d'offrir une rétribution. Or l'exercice des arts et des métiers est la véritable source de richesses, ainsi que nous le démontrerons plus tard. Si les professions manuelles rencontrent des entraves et cessent d'être profitables, on perd l'espoir du gain et l'on renonce au travail; l'ordre établi se dérange et la civilisation recule. Ajoutons que les Arabes négligent tous les soins du gouvernement; ils ne cherchent pas à empêcher les crimes; ils ne veillent pas à la sûreté publique; leur unique souci c'est de tirer de leurs sujets de l'argent, soit par la violence, soit par des avanies. Pourvu qu'ils parviennent à ce but, nul autre souci ne les occupe. Régulariser l'administration de l'État, pourvoir au bien-être du peuple soumis, et contenir les malfaiteurs sont des occupations auxquelles ils ne pensent même pas. Se conformant à l'usage qui a toujours existé chez eux, ils remplacent les peines corporelles par des amendes, afin d'en tirer profit et d'accroître leurs revenus. Or de simples amendes ne suffisent pas pour empêcher les crimes et pour réprimer les tentatives des malfaiteurs; au contraire, elles encouragent les gens mal intentionnés, qui regardent une P. 272. peine pécuniaire1 comme peu de chose, pourvu qu'ils accomplissent leurs projets criminels; aussi les sujets d'une tribu arabe restent à peu près sans gouvernement, et un tel état de choses détruit également la population d'un pays et sa prospérité. Nous avons dit, vers le commencement de cette section, que le gouvernement monarchique convient d'une manière spéciale à la nature de l'espèce humaine; sans lui, la société et même les individus n'ont qu'une existence bien précaire. Ajoutons encore que les nomades sont avides du pouvoir et qu'à peine en trouvera-t-on parmi eux un seul qui consen

'Pour pill, lisez pl.

la

tirait à remettre l'autorité entre les mains d'un autre; un Arabe, exerçant un commandement ne le céderait ni à son père, ni à son frère, ni au chef de sa famille. S'il y consentait, ce serait à contre-cœur et par égard pour les convenances; aussi trouve-t-on chez les Arabes beaucoup de chefs et de gens revêtus d'une certaine autorité. Tous ces personnages s'occupent, les uns après les autres, à pressurer race conquise et à la tyranniser. Cela suffit pour ruiner la civilisation. Le khalife Abd-el-Mélek (Ibn Merouan) demanda un jour à un Arabe du désert en quel état il avait laissé El-Haddjadj, pensant qu'il entendrait l'éloge de cet officier, dont l'excellente administration avait maintenu la prospérité de la province qu'il gouvernait. Le Bédouin lui répondit en ces termes : « Quand je le quittai, il faisait du tort à lui seul1.» Voyez tous les pays que les Arabes ont conquis depuis les siècles les plus reculés : la civilisation en a disparu, ainsi que la population; le sol même paraît avoir changé de nature. Dans le Yémen, tous les centres de la population sont abandonnés, à l'exception de quelques grandes villes; dans l'Irac arabe, il en est de même; toutes les belles cultures dont les Perses l'avaient couvert ont cessé d'exister. De nos jours, la Syrie est ruinée; l'Ifrîkiya2 et le Maghreb3 souffrent encore des dévastations commises par les Arabes. Au cinquième siècle de l'hégire, les Beni-Hilal et les Soleïm y firent irruption, et, pendant trois siècles et demi, ils ont continué à s'acharner sur ces pays; aussi la dévastation et la solitude réy gnent encore. Avant cette invasion, toute la région qui s'étend de

puis le pays des Noirs jusqu'à la Méditerranée était bien habitée: les

P. 273. traces d'une ancienne civilisation, les débris de monuments 5 et d'édifices, les ruines de villes et de villages sont là

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pour l'attester. Dieu

Voyez, dans l'Histoire des Berbers, t. I de la traduction française, le récit des dé vastations commises par ces tribus.

المعالم lisez, العالم Pour *

Pour all, lisezŵlabl. (Voyez cidevant, p. 84, note 1.)

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est héritier de la terre et de tout ce qu'elle porte; il est le meilleur des héritiers. (Coran, sour. xxi, vers 89.)

En principe général, les Arabes sont incapables de fonder un empire, à moins qu'ils n'aient reçu d'un prophète ou d'un saint une teinture religieuse plus ou moins forte.

croyances

De tous les peuples, les Arabes sont les moins disposés à la subordination. Menant une vie presque sauvage, ils acquièrent une grossièreté de mœurs, une fierté, une arrogance et un esprit de jalousie qui les indisposent contre toute autorité. Aussi le bon accord se trouve bien rarement dans une tribu. S'ils acceptent les religieuses qu'un prophète ou un saint leur enseigne, la puissance qui doit les maintenir dans la bonne voie se trouve alors dans leurs propres cœurs, leur esprit hautain et jaloux s'adoucit, et ils se laissent porter facilement à la concorde et à l'obéissance. C'est la religion qui effectue ce changement: elle fait disparaître leur humeur fière et insolente; elle éloigne leurs cœurs de l'envie et de la jalousie. Si le prophète ou saint qui les invite à soutenir la cause de Dieu, à remplacer leurs habitudes blâmables par des usages dignes de louange, à combiner leurs efforts afin de faire triompher la vérité; si cet homme appartient à leur tribu, l'unanimité la plus complète 1 s'établit parmi eux et les met en mesure d'effectuer des conquêtes et de fonder un empire. Au reste, les Arabes ont surpassé tous les peuples par leur empressement à recevoir la vraie doctrine et à suivre la bonne voie. Cela tenait à la simplicité de leur nature, qui ne se laissait pas corrompre par de mauvaises habitudes et qui ne contractait jamais des qualités méprisables. On ne pouvait pas même leur faire un reproche du caractère sauvage par lequel ils se distinguaient naguère; ce naturel farouche les disposait au bien; il leur était inné, et n'avait jamais contracté l'immoralité ni la déloyauté dont les âmes reçoivent si facilement l'empreinte. Notre Prophète a bien dit : « Tous les hommes naissent avec un bon naturel. » Nous avons déjà eu l'oc- P. 274. casion de citer cette parole.

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De tous les peuples, les Arabes sont les moins capables de gouverner un empire. les autres peu

Les Arabes sont plus habitués à la vie nomade que ples; ils pénètrent plus loin qu'eux dans les profondeurs du désert, et, étant accoutumés à vivre dans la misère et à souffrir des privations, ils se passent facilement des céréales et des autres produits des pays cultivés. Indépendants et farouches, ils ne comptent que sur eux-mêmes et se plient difficilement à la subordination. Si leur chef a besoin de leurs services, c'est presque toujours pour employer contre un ennemi l'esprit de corps qui les anime. En ce cas, il doit ménager leur fierté et se garder bien de les contrarier, afin de ne pas jeter la désunion dans la communauté; ce qui pourrait amener sa perte et celle de la tribu.

Dans un empire, les choses se passent autrement; le roi ou sultan doit employer la force et la contrainte afin de maintenir le bon ordre dans l'État. D'ailleurs les Arabes, ainsi que nous l'avons dit, sont naturellement portés à dépouiller les autres hommes: voilà leur grand souci. Quant aux soins qu'il faut donner au maintien du gouvernement et au bon ordre, ils ne s'en occupent pas. Quand ils subjuguent un peuple, ils ne pensent qu'à s'enrichir en dépouillant les vaincus; jamais ils n'essayent de leur donner une bonne administration. Pour augmenter le revenu qu'ils tirent du pays conquis, ils remplacent ordinairement les peines corporelles par des amendes. Cette mesure ne saurait empêcher les délits; bien au contraire, si un homme a des motifs assez forts pour se porter au crime, il ne se laissera pas arrêter par la crainte d'une amende, qui serait pour lui de chose en comparaison des avantages que l'accomplissement de son projet1 pourra lui procurer. Aussi, sous la domination des Arabes, les délits ne cessent d'augmenter; la dévastation se propage partout; les habitants, abandonnés, pour ainsi dire, à eux-mêmes, s'attaquent entre eux et se pillent les uns les autres; la prospérité du

peu

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pays, ne pouvant plus se soutenir, ne tarde pas à tomber et à s'a- P. 275. néantir. Cela arrive toujours chez les peuples abandonnés à euxmêmes. Toutes les causes que nous venons d'indiquer éloignent l'esprit arabe des soins qu'exige l'administration d'un État. Pour les décider à s'en occuper, il faut que l'influence de la religion change leur caractère et fasse disparaître leur insouciance. Ayant alors dans leurs cœurs un sentiment qui les contrôle, ils travaillent à maintenir leurs sujets dans l'ordre, en les contenant les uns par les autres. Voyez-les à l'époque où ils fondèrent un empire sous l'influence de l'islamisme : se conformant aux prescriptions de la loi divine, ils s'adonnèrent aux soins du gouvernement et mirent en œuvre tous les moyens physiques et moraux qui pouvaient aider au progrès de la civilisation. Comme les (premiers) khalifes suivirent le même système, l'empire des Arabes acquit une puissance immense. Rostem1, ayant2 vu les soldats musulmans se rassembler pour faire la prière, s'écria: «Voilà Omar qui me met au désespoir 3; il enseigne aux chiens la civilisation! »

Plus tard, quelques tribus se détachèrent de l'empire, rejetèrent la vraie religion et négligèrent l'art du gouvernement; rentrées dans leurs déserts, elles y demeurèrent si longtemps insoumises qu'elles oubliérent comment on fait régner la justice parmi les hommes et ne se rappelèrent plus que leurs aïeux avaient soutenu la cause de l'empire. Devenues aussi sauvages qu'auparavant, à peine se rappelèrentelles la signification du mot empire; elles savaient, tout au plus, que le khalife en était le chef, et qu'il appartenait à la même race qu'elles. Lorsque les dernières traces de la puissance des khalifes eurent disparu, le pouvoir échappa aux mains des Arabes et passa entre celles d'une race étrangère. Depuis lors, ils sont restés dans leurs déserts, sans avoir la moindre idée de ce qu'est un royaume ou une administration politique ; la plupart d'entre eux ne savent même pas que leurs

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