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serve à l'égard de ses créatures et de ses serviteurs. Tous ces changements dépendent de l'esprit de corps qui anime chaque peuple et dont l'intensité varie selon les races. La souveraineté s'use dans le luxe, et c'est le luxe qui la renverse. Nous aurons plus tard l'occasion de fournir la démonstration de ce principe. Une dynastie succombe et laisse sa place à une autre famille qui lui tient par les liens du sang et par le même esprit de corps; une famille qui, au moyen de ce sentiment patriotique, a déjà établi son ascendant et imposé à tous les autres partis la soumission et l'obéissance. (Lors de la chute d'une dynastie) son esprit de corps reparaît dans la race qui s'en rapproche le plus par les liens du sang; plus cette parenté est intime, plus l'esprit de corps est fort, et vice versa. Mais, si une grande révolution vient à remplacer une religion par une autre, ou à anéantir la civilisation, ou à produire tel autre effet que Dieu aura voulu; en ce cas, l'autorité souveraine échappe à la race dominante pour devenir l'apanage du peuple que les plans du Seigneur ont désigné. Ainsi les tribus descendues de Moder ont subjugué les nations, renversé les trônes et enlevé l'autorité aux autres peuples, après que Dieu les eut retenues dans l'inaction pendant des siècles.

Le peuple vaincu tâche toujours d'imiter le vainqueur par la tenue, la manière de s'habiller, les opinions et les usages.

Les hommes1 regardent toujours comme un être supérieur celui qui les a subjugués et qui les domine. Inspirés d'une crainte révérencielle envers lui, ils le voient entouré de toutes les perfections, ou P. 267. bien ils les lui attribuent, pour ne pas admettre que leur asservissement ait été effectué par des moyens ordinaires. Si cette illusion se prolonge, elle devient pour eux une certitude. Alors ils adoptent les du maître et tâchent de lui ressembler sous tous les rapports. C'est par esprit d'imitation qu'ils agissent ainsi, ou bien parce qu'ils s'imaginent que le peuple vainqueur doit sa supériorité non pas à sa puissance ni à son esprit de corps, mais aux usages et aux

usages

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pratiques par lesquels il se distingue. Cette manière de se dissimuler sa propre infériorité a pour motif le sentiment que nous venons de signaler. Aussi peut-on remarquer que partout les peuples vaincus. tâchent de ressembler à leurs maîtres par l'habillement, les équipages, les armes et tous les usages de la vie. Voyez comme les enfants se modèlent sur leurs pères, et cela parce qu'ils les regardent comme des ètres sans défaut. Voyez, dans toutes les contrées de la terre, comme les populations se plaisent à porter l'habillement militaire, tant elles apprécient la supériorité des milices et des troupes du sultan. De même tout peuple qui demeure dans le voisinage d'un autre, et qui en a senti la prééminence, acquiert cette habitude d'imitation à un haut degré. De nos jours cela se voit (chez les musulmans) de l'Andalousie, par suite de leurs rapports avec les Galices (les chrétiens de Léon et de Castille); ils leur ressemblent par la manière de s'habiller et de se parer; ils ont même adopté la plupart de leurs usages, au point d'orner les parois de leurs maisons et de leurs palais avec des tableaux. Dans ces faits le philosophe ne saurait méconnaître un indice de supériorité. Au reste, Dieu ordonne ce qui lui plaît! Ces phénomènes démontrent la vérité de la maxime populaire, que chaque peuple suit la religion de son roi. En effet, le roi domine sur ses sujets, et ceux-ci le prennent pour un modèle tellement parfait1 qu'ils s'efforcent à l'imiter en tout. C'est ainsi que les enfants tâchent de ressembler à leurs pères et les écoliers à leurs P. 268. maîtres. Dieu est l'être savant et sage!

Un peuple vaincu et soumis dépérit rapidement.

Lorsqu'un peuple s'est laissé dépouiller de son indépendance, il passe dans un état d'abattement qui le rend le serviteur du vainqueur, l'instrument de ses volontés, l'esclave qu'il doit nourrir. Alors il perd graduellement l'espoir d'une meilleure fortune. Or la propagation de l'espèce et l'accroissement de la population dépendent de la force et de l'activité que l'espérance communique à toutes les facultés

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du corps. Quand les âmes s'engourdissent dans l'asservissement, et perdent l'espérance et jusqu'aux motifs d'espérer, l'esprit national s'éteint sous la domination de l'étranger, la civilisation recule, l'activité qui porte aux travaux lucratifs cesse tout à fait, le peuple, brisé par l'oppression, n'a plus la force de se défendre et devient l'esclave de chaque conquérant, la proie de chaque ambitieux. Voilà le sort qu'il doit subir, soit qu'il ait fondé un empire et atteint ainsi au terme de son progrès, soit qu'il n'ait rien accompli encore. L'état de servitude amène, si je ne me trompe, un autre résultat : l'homme est maître de sa personne, grâce au pouvoir que Dieu lui a délégué; s'il se laisse enlever son autorité et détourner du but élevé qui lui est posé, il s'abandonne tellement à l'insouciance et à la paresse, qu'il ne recherche pas même les moyens de satisfaire aux exigences de la faim et de la soif. C'est là un fait dont les exemples ne manquent dans aucune classe de l'espèce humaine. Un changement semblable a lieu, dit-on, chez les animaux1 carnassiers : ils ne s'accouplent point dans la captivité. Le peuple asservi continue ainsi à perdre son énerP. 269. gie et à dépérir jusqu'à ce qu'il disparaisse du monde. Au reste l'existence éternelle n'appartient qu'à Dieu seul. Considérez, par exemple, la race persane, dont la nombreuse population avait rempli un pays immense. Lorsque la Perse eut perdu ses armées en combattant les Arabes, elle conservait encore une population énorme. On rapporte que Saad (Ibn Abi Oueccas, le général musulman), ayant ordonné le dénombrement du peuple qui habitait au delà d'El-Médaïn3, apprit qu'il y avait cent trente-sept mille individus, dont trente-sept mille étaient chefs de famille. Or la race persane, ayant été vaincue par les Arabes et forcée de subir leur domination, ne se conserva que peu de temps; elle finit par disparaître sans laisser une trace de son existence. On ne saurait attribuer son anéantissement à la tyrannie du

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nouveau gouvernement ni à l'oppression dont on l'aurait accablée; on sait assez combien l'administration musulmane est équitable. La véritable cause se trouvait dans la nature même de l'homme; privé de son indépendance et forcé de subir la volonté d'un maître (il perd toute son énergie). Il est vrai que la plupart des nègres s'habituent facilement à la servitude; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l'avons dit ailleurs', d'une infériorité d'organisation qui les rapproche des animaux brutes. D'autres hommes ont pu consentir à entrer dans un état de servitude, mais cela a été avec l'espoir d'atteindre aux honneurs, aux richesses et à la puissance. Tels furent les Turcs (au service des khalifes abbacides et fatemides) de l'Orient; tels furent aussi les Galiciens et les Français qui prirent du service sous les gouvernements musulmans de l'Espagne. Voyant que les souverains de ces pays leur témoignaient habituellement une préférence marquée, ils ne dédaignèrent pas de s'en faire les serviteurs et les esclaves, et cela dans l'espoir d'arriver à la puissance et aux honneurs, par la faveur du gouvernement.

Les Arabes ne peuvent établir leur domination que dans les pays de plaines.

Le naturel farouche des Arabes en a fait une race de pillards et de brigands. Toutes les fois qu'ils peuvent enlever un butin sans courir un danger ou soutenir une lutte, ils n'hésitent pas à s'en emparer et à rentrer au plus vite dans la partie du désert où ils font paître leurs troupeaux. Jamais ils ne marchent contre un ennemi pour le combattre ouvertement, à moins que le soin de leur propre défense P. 270. ne les y oblige. Si, pendant leurs expéditions, ils rencontrent des emplacements fortifiés, des localités d'un abord difficile, ils s'en détournent pour rentrer dans le plat pays. Les tribus (berbères) se tiennent à l'abri d'insultes, sur leurs montagnes escarpées, et défient l'esprit dévastateur qui anime les Arabes. En effet ceux-ci n'oseraient pas les y attaquer; ils auraient à gravir des collines abruptes, à s'engager dans des chemins presque impraticables et à s'exposer aux plus

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grands dangers. Il en est autrement dans les plaines; s'il n'y a pas de troupes pour les garder, et si le gouvernement établi montre de la faiblesse, elles deviennent la proie des Arabes, la curée dont ils se repaissent. Ces nomades y renouvellent leurs incursions, et, comme ils peuvent en parcourir toute l'étendue très-facilement, ils s'y livrent au pillage et aux actes de dévastation, jusqu'à ce que les habitants se résignent à les accepter pour maîtres. La possession de ces malheureuses contrées passe ensuite d'une tribu à une autre ; tout s'y désorganise, et la civilisation en disparaît tout à fait. Dieu seul a du pou

voir sur ses créatures.

Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné.

Les habitudes et les usages de la vie nomade ont fait des Arabes un peuple rude et farouche. La grossièreté des mœurs est devenue pour eux une seconde nature, un état dans lequel ils se complaisent, parce qu'il leur assure la liberté et l'indépendance. Une telle disposition s'oppose au progrès de la civilisation. Se transporter de lieu en lieu, parcourir les déserts, voilà, depuis les temps les plus reculés, leur principale occupation. Autant la vie sédentaire est favorable au progrès de la civilisation, autant la vie nomade lui est contraire. Si les Arabes ont besoin de pierres pour servir d'appuis à leurs marmites, ils dégradent les bâtiments afin de se les procurer; s'il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des soutiens de tente, ils déP. 271. truisent les toits des maisons pour en avoir. Par la nature même de

leur vie, ils sont hostiles à tout ce qui est édifice; or, construire des édifices, c'est faire le premier pas dans la civilisation. Tels sont les Arabes nomades en général; ajoutons que, par leur disposition naturelle, ils sont toujours prêts à enlever de force le bien d'autrui, à chercher les richesses les armes à la main1 et à piller sans mesure et sans retenue. Toutes les fois qu'ils jettent leurs regards sur un beau troupeau, sur un objet d'ameublement, sur un ustensile quelils l'enlèvent de force. Si, par la conquête d'une province

conque,
Littéral. à l'ombre de leurs lances. »

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