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tisme et l'étendue de leur ambition. La souveraineté ne leur arrive pas par hasard ou par un jeu de la fortune; de tous les biens et de toutes les dignités, elle seule convient le mieux à l'esprit qui les anime. Cela montre que Dieu leur avait destiné l'empire et les y avait conduits. D'un autre côté, lorsque Dieu veut renverser un empire, il porte les chefs à commettre des actes blâmables, à contracter des qualités ignobles et à suivre le sentier de l'erreur. Alors la dynastie régnante perd toutes les vertus qui l'avaient rendue digne du commandement; elle tombe en décadence et finit par perdre l'empire. Une autre famille la remplace dans l'exercice du pouvoir et rappelle, par sa présence, que Dieu avait enlevé, à ceux qui gouvernaient auparavant, l'empire et les biens qu'il avait daigné leur accorder: « Et lorsque nous voulûmes détruire une cité, nous adressâmes nos ordres à ceux qui y vivaient dans le luxe, et ils s'empressèrent d'y commettre des abominations; ainsi se trouva justifiée notre sentence, et nous détruisîmes la ville de fond en comble. (Coran, sour. XVII, vers. 17.) Si le lecteur veut en chercher des exemples dans l'histoire des peuples anciens, il trouvera de quoi démontrer l'exactitude de nos assertions. « Dieu crée ce qui lui plaît et il choisit (à son gré).» (Coran, sour. xxvIII, vers. 68.) Les qualités qui donnent la perfection (au caractère d'un homme), et que les tribus douées d'esprit de corps recherchent dans un chef, se laissent reconnaître aux égards dont il honore les savants, les hommes saints, les descendants du Prophète, les personnes respectables, les négociants des diverses classes et les étrangers, dont il traite chacun selon ses mérites. C'est donc par un sentiment naturel que les familles et les tribus animées de cet esprit s'empressent d'honorer les gens qui les égalent en noblesse ou qui rivalisent avec elles par la puissance de leur famille et par l'étendue de leur renommée. Ces té- P. 262. moignages de respect s'accordent, en général, par le désir de s'illustrer, ou par la crainte d'offenser la famille de la personne qu'on vient d'accueillir, ou bien dans l'espoir de recevoir d'elle un traitement aussi bienveillant dans une autre occasion.

Quant aux personnes qui n'ont pas une puissante famille pour se faire respecter, et desquelles on ne peut espérer aucun avantage pour soi, elles doivent évidemment tout traitement honorable à l'amourpropre de la famille qui les accueille : elle veut se faire une belle réputation, montrer qu'elle possède les qualités les plus parfaites et se rapprocher davantage (de son but), la domination universelle. Avoir des égards pour ses égaux et ses compétiteurs est un devoir pour celui qui veut régler les rapports qui existent entre les autres tribus et la sienne1. Honorer les étrangers qu'on reçoit et qui se distinguent par leur mérite et par leurs talents indique qu'on possède tout ce qu'il faut 2 pour régner sur une grande nation. Un chef puissant traite avec bonté les hommes distingués par la sainteté de leur vie, parce qu'il veut montrer son respect pour la religion; il reçoit avec honneur les savants docteurs, parce qu'il a besoin d'apprendre de leur bouche les prescriptions de la loi; il fait un bon accueil aux négociants pour les encourager et pour faire jouir le peuple des avantages que procure le commerce; il protége les étrangers par générosité, ou parce qu'il a des motifs pour les attirer; enfin il traite tous les hommes selon les règles de l'équité, c'est-à-dire, avec justice. La tribu qui, par esprit de corps, agit de la sorte, se montre digne d'exercer une domination étendue, c'est-à-dire, l'autorité souveraine. Dieu a permis que les nobles qualités des tribus se manifestassent par ces signes extérieurs; aussi, quand il veut enlever à un peuple la puissance et l'empire, il commence par lui faire perdre l'envie d'honorer les personnes appartenant aux classes que nous venons de signaler. Toutes les fois qu'on verra un peuple répudier cette noble habitude, on peut être assuré que ses bonnes qualités commencent à disparaître et l'on doit s'attendre à la chute de son empire. « Quand Dieu veut du mal à un peuple, rien ne pourra l'empêcher. » (Coran, sour. XIII, vers. 12.)

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Les peuples les moins civilisés font les conquêtes les plus étendues.

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Nous avons déjà dit que les nations à demi sauvages ont tout ce qu'il faut pour conquérir et pour dominer. Ces peuples parviennent à soumettre les autres, parce qu'ils sont assez forts pour leur faire la guerre et que le reste des hommes les regarde comme des bêtes féroces. Tels sont les Arabes, les Zénata et les gens qui mènent le même genre de vie, savoir, les Kurdes, les Turcomans et les tribus voilées (les Almoravides) de la grande famille sanhadjienne. Ces races peu civilisées, ne possédant pas un territoire où elles puissent vivre dans l'abondance, n'ont rien qui les attache à leur pays natal; aussi toutes les contrées, toutes les régions leur paraissent également bonnes. Ne se contentant pas de commander chez elles et de dominer sur les peuples voisins, elles franchissent les limites de leur territoire, afin d'envahir les pays lointains et d'en subjuguer les habitants. Que le lecteur se rappelle l'anecdote du khalife Omar. Aussitôt qu'il fut proclamé chef des musulmans, il se leva pour haranguer l'assemblée et pousser les vrais croyants à entreprendre la conquête de l'Irac. « Le Hidjaz, leur disait-il, n'est pas un lieu d'habitation; il ne convient qu'à la nourriture des troupeaux; sans eux, on ne saurait y vivre. Allons, vous autres qui, les derniers, avez émigré de la Mecque, pourquoi restez-vous si loin de ce que Dieu vous a promis? Parcourez donc la terre; Dieu a déclaré, dans son livre, qu'elle serait votre héritage. Il a dit : « Je le ferai afin d'élever votre religion au-dessus de toutes les autres, et cela malgré les infidèles.» (Coran, sour. Ix, vers. 33.) Voyez encore les anciens Arabes, tels que les Tobba (du Yémen) et les Himyérites; une fois, dit-on, ils passèrent du Yémen en Mauritanie et, une autre fois, en Irac et dans l'Inde. Hors de la race arabe, on ne trouve aucun peuple qui ait jamais fait de pareilles courses. Remarquez encore les peuples voilés (les Almoravides); P. 264. voulant fonder un grand empire, ils envahirent la Mauritanie et étendirent leur domination depuis le premier climat jusqu'au cinquième; d'un côté, ils voyaient leurs lieux de parcours toucher au

pays des Noirs; de l'autre, ils tenaient sous leurs ordres les royaumes (musulmans) de l'Espagne. Entre ces deux limites tout leur obéissait. Voilà ce dont les peuples à demi sauvages sont capables; ils fondent des royaumes qui ont une étendue énorme, et ils font sentir leur autorité jusqu'à une grande distance du pays qui était le berceau de leur puissance. C'est Dieu qui a réglé la succession des nuits et des jours. (Coran, sour. LXXIII, vers. 20.)

Toutes les fois que l'autorité souveraine échappe des mains d'un peuple, elle passe à un autre peuple de la même race, pourvu que celui-ci ait conservé son esprit de corps.

Un peuple qui a soumis d'autres peuples, et qui a fondé un empire par la force des armes, doit avoir des chefs pour le gouverner et pour soutenir le trône. Cet avantage ne saurait appartenir à tous, vu que le grand nombre des concurrents donne lieu à des rivalités sans bornes et à des jalousies qui empêchent bien des ambitieux d'arriver au pouvoir. Le chef désigné pour administrer l'État, s'étant ensuite abandonné aux plaisirs, se plonge dans le luxe; il traite ses compatriotes comme des esclaves et les oblige à épuiser leurs forces dans le service du gouvernement. Les familles qui se voient exclues du pouvoir et qui n'ont obtenu aucune part1 au commandement demeurent sous la protection de la dynastie régnante, à laquelle, du reste, elles se rattachent par les liens du sang. Se tenant loin des séductions du luxe, elles se garantissent contre la décrépitude; mais la famille qui règne subit l'influence du temps, perd sa vigueur et tombe dans la caducité; les P. 265. soins qu'elle doit donner à l'empire brisent ses forces; elle devient le

jouet de la fortune2, parce qu'elle s'était énervée dans les plaisirs et avait épuisé ses forces dans les jouissances du luxe. Voilà le terme de sa domination administrative et de son progrès dans la civilisation de la vie sédentaire, mode d'existence naturel à l'espèce humaine. Ainsi que le ver à soie, elle file son cocon 3 pour y mourir, frappée d'un revers de fortune.

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Les familles exclues du commandement conservent pendant ce temps l'esprit de corps et gardent intacte la supériorité dont elles ont toujours donné des preuves. Ayant la conscience de leurs propres forces, elles visent au pouvoir, dont elles avaient été tenues éloignées par des parents' plus puissants; mais elles sentent trop leur infériorité pour engager avec eux une lutte prématurée. Si elles s'emparent enfin de l'autorité suprême, elles subissent le même sort que leurs prédécesseurs, après avoir tenu, comme eux, leurs parents éloignés du pouvoir. La souveraineté continue toutefois à rester dans la famille régnante, jusqu'à ce que cette famille ait perdu toutes ses forces, ou qu'il n'y ait plus de collatéraux pour la remplacer. « Telle est la voie de Dieu en ce qui regarde la vie de ce monde; car la vie future, ton Seigneur la réserve aux pieux. » (Coran, sour. XLIII, vers. 34.) Voyez ce qui s'est passé chez les anciens peuples: la dynastie des Adites succombe, et leurs frères, les Thémoudiens, la remplacent au pouvoir. Ceux-ci ont pour successeurs leurs frères, les Amalécites. Les Himyérites, frères de ceux-ci, héritent ensuite de la souveraineté. Des Himyérites, l'autorité passe à leurs frères, les Tobbâ; puis aux Dhou1, puis à la race modérite (qui venait d'embrasser l'islamisme). En Perse, les choses se passèrent de la même manière. Après la chute des Caïaniens, le pouvoir se transmit aux Sassanides et resta entre leurs mains jusqu'à ce que Dieu eût permis que cette dynastie fût renversée par l'islamisme. D'un autre côté, l'empire des Grecs tombe au pouvoir de leurs frères, les Romains. Chez les Berbers de la Mauritanie, les mêmes faits se reproduisent: après la chute de leurs premières dy- P. 266. nasties, celle des Maghraoua (à Tlemcen)2 et celle des Ketama (à Cairouan), l'autorité passa aux Sanhadja (Zîrides), puis aux peuples voilés (les Almoravides), puis aux Masmouda (les Almohades), puis aux peuples zenatiens, qui florissent encore (les Abd-el-Ouadites de Tlemcen et les Merinides du Maroc). Telle est la règle que Dieu ob

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