Images de page
PDF
ePub

ou petits, selon le nombre de soldats qu'ils entretiennent et des tribus qu'ils emploient pour leur défense, ainsi qu'on le verra exposé dans la section de ce livre qui traite des empires. Or le territoire des Israélites, ainsi que tout le monde le sait, ne s'étendait pas, du côté de la Syrie, plus loin que le Jourdain et la Palestine, et, du côté du Hidjaz1, plus loin que les cantons de Yathreb (Médine) et de Khaïber.

D'ailleurs les savants les plus habiles ne trouvent que trois générations entre Moïse et Israël. En effet Moïse était fils d'Amran (Amram); fils de Cahet ou Cahit (Caath), fils de Laoui ou Laoua (Lévi), P. 11. fils de Yacoub (Jacob), autrement appelé Israël-de-Dieu. Cette généalogie est fournie par le Pentateuque2. L'espace de temps qui les sépare est indiqué par Masoudi de la manière suivante : « Israël, lorsqu'il se rendit auprès de Joseph, entra en Égypte avec ses fils, chefs des [douze] tribus, et leurs enfants, au nombre de soixante et dix individus. Leur séjour en Égypte, jusqu'au moment où ils en sortirent, sous la conduite de Moïse, pour entrer dans le désert, fut de deux cent vingt ans, durant lesquels ils subirent la domination des Pharaons, rois des Coptes. » Or il est invraisemblable que, dans un espace de quatre générations, une famille puisse s'accroître à un tel degré3.

Si l'on prétend que des armées tout aussi nombreuses existaient sous le règne de Salomon et de ses successeurs, la chose n'en est pas moins absurde. Entre Salomon et Israël, on ne compte que onze générations, car Salomon fut fils de Dawoud (David), fils d'Aïchaï (Jessé), fils d'Aoubed ou Aoufedh (Obed), fils de Bâez ou Bouaz (Booz), fils de Salmon, fils de Nahachoun (Nahasson), fils d'Amînadab ou Hamînadeb, fils de Ram, fils de Hadroun ou Hasroun (Hesron), fils de Barès ou Bîrès (Pharès), fils de Yehouda (Juda), fils de Yacoub (Joseph). Or, dans l'espace de onze générations, la descendance d'un seul homme.

[blocks in formation]

ne saurait atteindre un chiffre aussi grand qu'on le dit. Que ce nombre soit de quelques centaines ajoutées à quelques milliers, cela peut être1; mais qu'il dépasse de plusieurs dizaines de fois le chiffre que certains historiens ont énoncé, voilà ce qui est difficile à croire. Qu'on veuille juger de cela d'après ce qui est présent, d'après ce qui se passe au vu et au su de tout le monde, on reconnaîtra que cette assertion est fausse et que la tradition est mensongère. Le renseignement fourni par les chroniques des Israélites, savoir, que la garde de Salomon se composait de douze mille fantassins, et que sa cavalerie consistait en quatorze cents chevaux tenus au piquet devant les portes de son palais 2, est le seul qui soit authentique; quant aux contes populaires, on ne doit y avoir aucun égard. Or le règne de Salomon fut l'époque où l'empire des Juifs était le plus florissant, et où leur territoire avait sa plus grande étendue.

Ce point établi, nous ferons observer que la plupart des hommes, P. 12. lorsqu'ils énumèrent les forces des empires qui existaient à leur époque ou peu auparavant; lorsqu'ils s'étendent sur la grandeur des armées, soit musulmanes, soit chrétiennes; lorsqu'ils parlent des sommes produites par les impôts, des dépenses des souverains, de celles des grands personnages qui vivent dans le luxe, des objets de prix qui se trouvent chez les riches; dans tous ces cas, ils énoncent des nombres qui dépassent toutes les bornes que l'expérience journalière nous fait connaître, et ils suivent aveuglément les suggestions qui proviennent de l'envie de raconter des choses extraordinaires. Si l'on consulte les chefs de l'administration militaire sur le nombre de leurs soldats, si l'on vérifie la position des riches sous le rapport des objets précieux qu'ils possèdent et des avantages dont ils jouissent, si l'on examine les dépenses ordinaires des hommes qui vivent dans le luxe, on trouvera que cela ne va pas à la dixième

1

Ibn Khaldoun oublie quelquefois la règle qui prescrit de faire suivre le mot Upar la particule YI. Les auteurs magh

rebins font assez souvent cette faute. Prolégomènes.

* Quarante mille chevaux pour les chariots et douze mille chevaux de selle. (Rois, III, c. iv, v. 26, et c. x, v. 26.)

3

partie du chiffre qu'on allègue. Mais cela tient au penchant de l'esprit humain pour l'exagération, à la facilité avec laquelle ce sentiment influe sur la langue, et à l'indifférence des historiens pour les résultats déjà constatés par un examen approfondi. Ils n'essayent pas de reconnaître les erreurs dans lesquelles ils peuvent tomber, soit par mégarde, soit par intention; ils ne cherchent pas à garder le juste milieu dans un récit, ni à lui faire subir un examen critique; au contraire, ils lâchent la bride à leur langue, pour la laisser courir dans les champs du mensonge: On achète les discours frivoles afin d'égarer les hommes loin du sentier de la vérité (Coran, sour. xxxi, v. 5), et c'est là, il faut l'avouer, un marché bien désavantageux.

que,

si

On peut toutefois répondre à ce qui précède en disant partout ailleurs l'expérience habituelle n'admet pas l'accroissement aussi rapide d'une seule famille, il n'en est pas de même à l'égard des enfants d'Israël : chez eux cette multiplication était l'effet d'un miracle, Dieu ayant révélé à leurs pères, les prophètes Abraham, Isaac et Jacob, qu'il multiplierait leur race au point qu'elle égalerait en nombre les étoiles du ciel et les cailloux de la terre. Or Dieu aurait accompli sa promesse envers eux par l'effet d'une grâce extraordinaire et par un prodige surnaturel. Donc les événements ordinaires ne militent pas contre ce récit, et personne ne devrait le taxer de fausseté. Si l'on voulait l'attaquer en alléguant qu'il est rapporté dans le PenP. 13. tateuque, et que ce livre, ainsi qu'il est constant, a été altéré par les Juifs, on peut répondre que cette opinion, bien qu'elle paraisse d'abord assez plausible, n'a aucune valeur aux yeux des critiques les plus capables; car l'expérience démontre que les hommes des diverses religions n'ont jamais agi de cette manière relativement à leurs livres théologiques, ainsi qu'El-Bokhari le déclare dans son Sahîh1. Or cette multiplication extraordinaire qui eut lieu chez les enfants d'Israël était un prodige en dehors du cours de la nature, et, chez

'Abou Abd-Allah Mohammed el-Bokhari, auteur du célèbre recueil de traditions intitulé Es-Sahih (l'Authentique) ou

El-Djame's-Sahih (le Recueil authentique), est mort l'an 256 de l'hégire (869-870 de J. C.).

les autres peuples, la nature suit son cours et s'oppose à l'existence d'un pareil fait, ainsi que les preuves l'attestent. Quant à l'impossibilité d'un combat entre de pareilles armées, elle est réelle; mais ce combat n'a pas eu lieu et rien n'en a amené la nécessité. Il est parfaitement vrai que chaque royaume met sur pied un nombre de soldats proportionné à ses moyens; mais les Israélites, dans l'origine, n'étaient pas guerriers et n'avaient pas fondé un empire. L'accroissement extraordinaire de leur nombre avait pour but de leur faire conquérir la terre de Canaan, que Dieu leur avait promise, et ce fut en leur faveur qu'il purifia le territoire de ce pays. Or tout cela constitue des miracles, et Dieu dirige les hommes vers la vérité.

Parmi les récits improbables que les historiens ont accueillis, il faut ranger ce qu'ils racontent tous, relativement aux Tobbá, souverains du Yémen et de la presqu'île des Arabes. Ils prétendent que ces princes, partant du Yémen, siége de leur empire, allèrent porter la guerre en Ifrîkiya, combattre les Berbers de l'Occident (Maghreb), marcher contre les Turcs et envahir le pays des Tibétains en Orient; qu'Ifricos, fils de Caïs, fils de Saïfi, l'un des plus puissants parmi leurs anciens rois, et qui vivait à l'époque de Moïse ou peu auparavant, entreprit une expédition en Ifrîkiya et fit un massacre des Berbers. Ce fut lui, disent-ils, qui leur donna ce nom, attendu qu'il s'écria, lorsqu'il entendit leur langage barbare : « Quel est donc ce jargon (berbera)? » Ils ajoutent que de là vient le nom que ce peuple a toujours porté depuis cette époque; que ce prince, à son départ du Maghreb, laissa dans cette contrée plusieurs corps de troupes composés de tribus himyerites; qu'elles s'y établirent et se mêlèrent avec les habitants primitifs, et que de ces tribus descendent les Sanhadja et les Ketama. D'après tout cela Taberi, El-Djordjani 1, P. 14.

Le cadi Abou'l-Hacen Ali el-Djordjani, docteur du rite chafeïte, fut un des hommes les plus savants de son siècle. Il laissa un recueil de généalogies intitulé El-Mouéthac (l'Authentique), qui est cité par

notre auteur dans l'Histoire des Berbers.
El-Djordjani mourut à Neïsapour, l'an 366
(976 de J. C.), ou, selon un historien cité
par Ibn Khallikan, en l'an 392 (1001-2
de J. C.).

Masoudi, Ibn el-Kelbi1 et El-Beïhaki2 assurent que les Sanhadja et les Ketama sont issus des Himyerites; mais cette hypothèse est repoussée par les généalogistes du peuple berber, et leur opinion est bien fondée. Selon Masoudi, Dhou'l-Adaar3, un des rois himyerites, postérieur à Ifricos, et qui vivait du temps de Salomon, porta la guerre dans le Maghreb et soumit cette contrée. Suivant le même auteur, Yaser, fils et successeur de Dhou'l-Adaar, entreprit une expédition semblable, pénétra jusqu'à Ouadi'r-Remel (la rivière de Sable) qui est dans le Maghreb, et, ne pouvant le traverser à cause de la quantité énorme de sable, il revint sur ses pas. On rapporte aussi qu'Asâd Abou-Kerib, le dernier des Tobbâ et prince contemporain de Yestasb, roi des Perses de la dynastie des Kîniya (Caïaniens)5, s'empara de Mosul et de l'Aderbeïdjan; qu'il attaqua les Turcs, les mit en déroute et en tua un grand nombre; qu'il entreprit contre ce peuple une seconde et une troisième expédition; qu'ensuite il chargea trois de ses fils de porter la guerre dans la Perse, dans le pays des Soghdiens, peuple turc qui habite au delà de la rivière (l'Oxus), et dans le Roum (l'Asie Mineure); que le premier de ces princes conquit tout le pays qui s'étend jusqu'à Samarkand; qu'ayant traversé le désert et atteint le pays de Sîn (la Chine), il rencontra son second frère, qui, après avoir envahi la Soghdiane, était arrivé en Chine avant lui; qu'ils dévastèrent cette contrée et revinrent sur leurs pas, chargés de butin, et qu'ils laissèrent dans le Tibet plusieurs tribus d'Himyerites, qui s'y trouvent encore de nos jours. Le troisième frère pénétra jusqu'à Constantinople, mit le siége devant cette ville, et revint sur ses pas après avoir soumis les provinces appartenant aux Roum (les Grecs).

1

2

6

Toutes ces histoires sont bien éloignées de la vérité; fondées uni

Voyez ci-devant, page 5, note 3. Abou-Bekr Ahmed el-Beihaki, célèbre traditionniste et auteur de plusieurs ouvrages, mourut à Neisapour, l'an 458 (1066 de J. C.).

[blocks in formation]

الاذعار isez اذعار Pour

« PrécédentContinuer »