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famille de marabouts jouissait d'une certaine influence; il importe d'en dire quelques mots qui se rattacheront à l'histoire du pays. Lakhdar-bel-Ouari, originaire des environs de Miliana, vient s'établir dans cette région du Sahel et y acquit une certaine autorité. Peu de temps avant la prise d'Alger, Ahmed-Bey dirigea contre Lakhdar une expédition qui ne réussit pas au gré de ses désirs. Rentré à Constantine, le bey, conformément aux principes de sa politique ordinaire, mit à profit l'ambition de certains membres de la famille des Abid. Il fit venir à lui Amar-ben-Abid, cousin de Lakhdar, et lui promit le titre de khalifa du Sahel, s'il lui apportait la tête de ce dernier. Amar attira son cousin dans un guet-apens, l'assassina et porta sa tête au bey. Celui-ci tint sa promesse et l'investit à la place de sa victime. Lakhdar laissait, en mourant, trois enfants encore jeunes: Saïd, Mançour et Lakhdar. Ils s'enfuirent dans le commandement de leur parent, le kaïd Ou-Rabah du cercle de Bougie, chez lequel ils vécurent une dizaine d'années. Nous reverrons plus loin ces jeunes gens venir offrir leurs services au gouvernement français.

Conquête française.

Nous avons déjà parlé des causes qui, en 1838, après une première sortie de nos troupes, firent comprendre au gouvernement français la nécessité d'occuper la position de Setif. Mais rien n'avait été disposé pour s'établir sur ce point, où la prudence conseillait de ne pas s'arrêter longtemps au cœur de l'hiver. Quelques avantages étaient, néanmoins, obtenus; une grande reconnaissance était opérée; notre khalifa de la Medjana avait reçu un appui moral qui avait déjà suffi pour appeler, auprès du général Galbois, les principaux chefs arabes des tribus circonvoisines, et, bien que nos soldats retournassent vers Constantine, comme ils avaient appris le chemin de l'ouest, on s'attendait à les voir bientôt revenir.

Un demi-bataillon, resté à Djemila, s'y était retranché dans les ruines.

Les Kabiles tentèrent, dans la nuit du 15 au 16 décembre, une attaque fort vive qui fut vigoureusement repoussée ces mêmes assaillants, grossis par des renforts accourus de la montagne, vinrent attendre au passage de Mons le corps expéditionnaire qui revenait de Setif. Lorsque la colonne se fut engagée dans ce défilé, long sentier en pente, dominé par des hauteurs, où l'on ne pouvait marcher que par un, les Kabiles attaquèrent vivement l'arrière-garde et la suivirent jusqu'à Mila. De là,

ils retournèrent sur leurs pas pour aller attaquer de nouveau la garnison de Djemila.

Pour ne pas paraître reculer devant les ennemis jusqu'à son point de départ, le général Galbois, en regagnant Constantine, avait laissé à Djemila le 3e bataillon d'Afrique avec deux obusiers de montagne, quelques tentes et quelques vivres, sous les ordres du commandant Chadeysson, avec mission de créer sur ce point un poste permanent destiné à devenir l'anneau intermédiaire entre Mila et Setif.

« Les Kabiles, dit le duc d'Orléans, certains que, dans la mauvaise saison, ce camp, encore à l'état de simple bivac, serait impossible à ravitailler sans forces très-considérables, conçurent l'espoir d'enlever ou de détruire les six cents Français qui n'avaient pas eu le temps de s'y retrancher. Trois mille hommes vinrent, le 18 décembre, occuper toutes les positions qui dominent circulairement, à quatre cents mètres, le mamelon déprimé formant le centre de l'entonnoir au fond duquel est situé Djemila. Ils n'attaquèrent point avec leur fureur ordinaire, se croyant certains de réduire la garnison par d'autres moyens plus efficaces quoique plus lents. Ils établirent la plus grande partie de leurs forces sur la crète d'un ravin, au fond duquel coule la seule eau que fournisse le pays; puis, ayant gardé des réserves prêtes à se porter sur les points où la garnison pourrait tenter des sorties, une chaîne circulaire de tirailleurs entretint, de jour et de nuit, une fusillade continue sur le camp français, dont pas un seul point n'était défilé de leurs balles. Le commandant Chadeysson fit coucher ses hommes derrière les parapets ébauchés, qu'ils relèvèrent en

creusant à l'intérieur; et, de part et d'autre, on tira sur tout ce qui se montrait. Les Français devaient s'user les premiers, car ils n'avaient ni sommeil, ni eau, ni espérance. Si économes qu'ils fussent de leurs munitions, ils les voyaient diminuer rapidement par la nécessité d'éloigner à coups de fusil, surtout la nuit, les Kabiles qui s'approchaient en rampant dans les fissures du terrain. Il n'y avait aucun moyen de faire connaître cette situation à Constantine. Avec beaucoup d'hommes blessés par le feu de l'ennemi, et des malades dont le mauvais temps et les fatigues augmentent chaque jour le nombre, il eût été matériellement impossible de rejoindre le poste français de Mila. Il n'y avait pas de chance de lasser l'ennemi; les tentatives faites pour se procurer de l'eau avaient échoué; on eût versé plus de sang qu'on n'eût rapporté d'eau. Le ruisseau coulait à une portée de pistolet d'une crète escarpée et garnie, comme un rempart, d'une ligne serrée de Kabiles. Ni le canon, ni les sorties, ne pouvaient éloigner les Kabiles, car ils n'offraient d'autre prise aux boulets que la tête des hommes isolés, embusqués sur les hauteurs, et seulement encore pendant qu'ils tiraient. Ils cédaient aux sorties des Français un terrain que ceux-ci étaient trop faibles pour conserver, le reprenant aussitôt, après leur avoir fait éprouver des pertes pour cette possession éphémère. Cette lutte, d'un caractère si étrange, durait depuis six jours et six nuits. La tempête accroissait les souffrances du bataillon, diminuait ses espérances en grossissant les rivières et couvrant de neige les montagnes qui conduisent à Constantine, lorsque la délivrance vint d'où on l'attendait le moins. Les chefs des Kabiles se disputèrent entre eux, et vendirent la peau de l'ours avant

de l'avoir tué. Cette querelle dispersa le rassemblement des montagnards.

« L'ennemi s'était retiré; mais il restait encore, la faraine, le froid, l'incertitude de l'avenir. Cette situation fut supportée par les zéphyrs avec cette ferme et courageuse insouciance, qui est le fond de leur caractère. Le douzième jour, le colonel d'Arbouville, envoyé par le général Galbois, justement inquiet de la garnison de Djemila, pour lui porter des vivres et des moyens d'établissement, prit sur lui d'évacuer ce poste inutile, qu'il eût été impossible de ravitailler régulièrement, dans l'état de pénurie et avec les forces de la division (1). »

La défense du 3e bataillon d'Afrique avait été, en effet, héroïque; mais la véritable cause de la cessation des hostilités, c'est que Bou-Akkaz, cheikh du Ferdjioua, s'était montré aux Kabiles, et avait, par son influence, dissipé les rassemblements (2). Les renseignements de source indigène que nous avons recueillis depuis sont très-précis.

Au mois de mai 1839, le général Galbois reprenait la direction de Setif. Il suivait, pour s'y rendre, la même route que lors de la première expédition, voulant, avant tout, prouver aux Arabes qui avaient précédemment inquiété sa marche, qu'il ne craignait pas de se mesurer une seconde fois avec eux, s'ils tentaient de s'opposer à son passage. Le 17e léger, en gravissant le défilé de Mons, où ses compagnies avaient eu déjà un beau fait d'armes un an avant, fit battre la charge et sonner le clairon. C'était

(1) Campagnes d'Afrique, par le duc d'Orléans.

(2) En faisant l'historique de la famille féodale des Ben-Achour, nous entrerons dans des détails plus précis sur le rôle de Bou-Akkaz dans cette affaire de Djemila.

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