Images de page
PDF
ePub

pourchassés par les cavaliers de Ben Abd-es-Selam. Le gouverneur général résolut alors de faire acte de souveraineté sur les contrées dont la possession nous était contestée. A cet effet, deux colonnes expéditionnaires, partant d'Alger et de Constantine, durent se mettre en marche dans les premiers jours du mois de décembre 1838, pour se rencontrer du côté des Portes de fer, les Biban.

La colonne de Constantine, retenue à Mila pendant quatre jours par les pluies, arriva enfin le 15 décembre à Setif, la Sitifis colonia des Romains. La splendeur passée de cette capitale mauritanienne se révélait par des ruines considérables, au milieu desquelles était encore debout une citadelle rectangulaire flanquée de dix tours, et dont les matériaux, réunis sans ordre, rappelaient une autre époque de l'histoire de la restauration byzantine. A l'angle nord-ouest, s'élevait un bâtiment soutenu par des colonnes retirées des ruines, qui avait servi à la réception et à l'emmagasinage des grains de l'impôt achour du temps des Turcs, et dont la toiture et les charpentes avaient été enlevées par les Arabes dans les dernières années d'anarchie du règne d'Ahmed bey. Au pied de la face sud de la citadelle, un seul arbre séculaire s'élevait au-dessus d'une source limpide, dont les eaux abondantes allaient arroser une vallée aboutissant à l'Oued-bou-SelJam, qui coule à trois kilomètres de Setif. Cet arbre, un antique peuplier blanc, connu sous le nom de tremble de Setif, semblait avoir été oublié dans une destruction générale, et n'être demeuré là que pour attester aux nouveaux conquérants que des plantations pouvaient prospérer sur ce sol dépourvu d'ombrage.

La colonne d'Alger avait été arrêtée dans la Mitidja par une pluie continue, et s'était vue obligée de rentrer à Alger. Celle de Constantine ne recevant pas de nouvelles, rétrograda et fut attaquée dans sa retraite, au défilé de Mons, par les tribus qui bordent la communication. Cette première reconnaissance avait eu pour résultat de faire comprendre la nécessité d'occuper la position de Setif, si on voulait faire respecter l'autorité de notre khalifa sur le territoire dont le commandement lui avait été confié. Ben Abd-es-Selam avait recommencé ses courses dans la plaine de Setif immédiatement après la rentrée de l'expédition, et notre khalifa, Ahmed-el-Mokrani, s'était encore trouvé dans la nécessité de lui abandonner le pays.

Une colonne revint à Setif en 1839 et y fit un séjour de six semaines; elle laissa, en se retirant, cinq compagnies d'infanterie qui s'installèrent dans la citadelle, s'appuyant sur les postes intermédiaires de Djemila, Mahalla et Mila, qui reliaient Setif à Constantine.

Dans les premiers mois de 1840, l'ancien magasin turc de l'achour avait été recouvert et converti en magasin des subsistances au rez-de-chaussée, et en hôpital au premier étage. Les brêches de la citadelle avaient été relevées à la hâte, et seulement de manière à la mettre à l'abri d'un coup de main.

Pendant que l'armée promenait notre drapeau sur tous les points du territoire pour en chasser les lieutenants d'Abd-el-Kader, les travaux moins brillants, mais non moins utiles de la paix, entrepris d'abord avec peu de vigueur, par la raison que l'occupation permanente était trop souvent mise en question, avaient été poussés, dès

l'année 1842, avec une activité qui n'a fait que s'accroître jusqu'à ce jour. Setif commença donc à sortir de ses ruines.

En 1842, le 61e de ligne, qui avait passé deux hivers sous la tente, terminait une première caserne, dont un tiers avait été affecté au service de l'hôpital et les deux autres livrés aux troupes. Le génie militaire s'était fait dans le réduit quelques baraques qui lui servaient d'ateliers, de logement et de bureaux. Une tour du réduit était convertie en magasin à poudre; une manutention et quelques locaux mis à la disposition de l'administration; un moulin, construit sur l'Oued-bou-Sellam, débitait des farines au-delà de ce qui était nécessaire à la garnison (1).

Le 19e léger, arrivé à Setif au mois d'octobre 1842 pour remplacer le 61e de ligne, éleva successivement deux autres casernes, dans lesquelles entrèrent les hommes qui étaient encore sous la tente. Un logement pour le commandant supérieur; un magnifique hôpital; un magasin à poudre; un parc aux bœufs avec abattoir; des écuries et un quartier de cavalerie; une prison militaire ; une prison pour les otages indigèncs; un magasin à fourrage; un magasin de campement; un bureau arabe; une

(1) Ce moulin fut construit par M. Lavie, à qui la province doit toutes les créations industrielles des premiers temps de la conquête. A cette époque, la seule route reliant Setif à Constantine était celle passant par Mila et Djemila, à travers un pays très-accidenté, coupé de nombreux ravins et, par conséquent, impraticable aux voitures. Il fallait cependant transporter les meules du nouveau moulin, et, dans ce but, M. Lavie se mit lui-même, avec quelques indigènes, à la recherche d'une voie plus commode, en suivant les plateaux des Ouled-Abd-en-Nour et des Eulma; son itinéraire servit de tracé à la route carrossable actuelle de Constantine à Setif.

chapelle pour le culte catholique (1); une mosquée; un fondouk; tout cela était créé progressivement. Le mur d'enceinte, flanqué de tours et de bastions, se terminait dès 1847.

Les eaux prises à la source étaient réparties entre trois canaux, dont un les conduisait à une promenade plantée de mûriers, très-bien située et touchant à la porte d'Afger. Les deux autres les distribuaient pour les besoins de la ville par cinq fontaines, un abreuvoir, un lavoir et un vivier à sangsues attenant à l'abattoir. Ces eaux étaient ensuite reçues, à la sortie de l'enceinte, dans des canaux d'irrigation pour être amenées dans une pépinière florissante et dans les jardins qui s'étendent à plus d'un kilomètre de la place.

Cependant l'armée n'avait pu suffire à l'érection de tant d'établissements importants; il lui avait fallu le concours d'ouvriers civils, que le prix élevé de la main-d'œuvre avait attirés et qui formaient déjà, à la fin de 1843, avec les commerçants, une population de deux cents âmes, non compris soixante-six indigènes. Deux ilots, séparés par une grande rue perpendiculaire à la face sud du réduit, et composés de maisons faites à la hâte, avaient d'abord servi de demeure à cette population civile ; mais ces maisons ne furent pas comprises dans le plan régulier arrêté en 1843 et disparurent définitivement en 1845, pour être remplacées par des constructions élevées suivant le nouvel alignement. A cette époque, le commerce s'était déjà presque entièrement transporté dans les deux rues principales, rapidement créées avec les économics

(1) Une grande église a été construite il y a peu d'années.

des ouvriers et les bénéfices des marchands joints à quelques capitaux venus du dehors. En peu de temps, la population avait augmenté considérablement. Ce phénomène s'est toujours manifesté partout où une agglomérations de troupes a eu lieu. Les marchands, les petits débitants, les traficants de toute sorte qui viennent sc fixer autour des camps, forment les premiers noyaux de tous les établissements coloniaux. Le camp se transforme plus tard en village, et, si l'emplacement a été heureusement choisi au point de vue agricole, commercial et industriel, il devient une petite ville comme Setif.

L'expédition de Bougie, décidée un instant en 1845, et l'augmentation définitive de l'effectif de la garnison, avaient fait sentir le besoin d'agrandir le quartier mili laire et, en même temps, l'espace destiné à la population civile. Un projet d'extension fut adopté et, déjà, un nombre assez considérable de concessions avaient été faites dans l'annexe, lorsque survint une crise commerciale qui se fit sentir à Setif comme sur tous les autres points de l'Algérie; et la plupart des concessionnaires, qui s'étaient présentés d'abord avec une grande confiance, durent ajourner l'exécution de leurs projets. Néanmoins, le progrès était ce qu'il pouvait être alors, en raison des obstacles que la colonisation avait à vaincre. Bien que les habitants eussent été forcés, faute d'une route directe sur Bougie, de tirer de Philippeville, par Constantine, les bois nécessaires à leur installation et qu'ils n'eussent reçu aucune subvention du gouvernement, vers la fin de 1846, les maisons achevées s'élevaient au nombre de soixantehuit et celles en construction à cinquante-une, évaluées ensemble à huit cent quatre-vingt-dix mille francs, témoi

« PrécédentContinuer »