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pour les surprendre, ils leur firent acheter, par un tribut, la permission de se servir de leurs propres terres. La peuplade berbère des Adjica, qui, depuis un temps. immémorial, habitait la montagne voisine de la Kalâa, fut chassée de ce pays. Le territoire qu'elle possédait devint l'héritage des Aïad, peuple formé d'un mélange d'Arabes hilaliens, et la montagne prit le nom de DjebelAïad, qu'elle porte encore de nos jours.

Fidèles à leurs habitudes destructives, les Arabes ne cessèrent de se livrer à toute espèce de brigandage, au point qu'ils forcérent En-Nacer d'abandonner la Kalâa et de se transporter à Bougie, qui devint sa nouvelle capitale. Les montagnes de Bougie étant d'un accès fort difficile et les chemins étant presque impraticables, mettaient son territoire à l'abri de toute insulte.

Nous avons vu plus haut que, lors de la fondation de la Kalâa des Beni-Hammad, en l'an 1004 de notre ère, une colonie nombreuse de chrétiens était venue s'y fixer. Sous le règne du roi El-Aziz, descendant de En-Nacer, en 1114, disent les Documents européens (1), ces chrétiens, tous africains et berbères, avaient encore à la Kalâa une église dédiée à la Vierge Marie. Leur évêque habitait une maison voisine de l'église. C'est le dernier prélat indigène dont nous puissions constater l'existence; et déjà la population, peut-être ses propres fidèles, qu'envahissait, d'année en année, l'influence du langage et des habitudes, le désignaient sous le nom musulman de khalife.

lahïa, dernier souverain de la dynastie sanhadjienne,

(1) De Mas-Latrie.

dominé par l'amour de la chasse, ne songea qu'à s'amuser pendant que l'empire tombait en dissolution et que les tribus sanhadjiennes s'éteignaient successivement autour de lui. Il se rendit de Bougie à la Kalâa pour y faire des perquisitions, et en emporta tous les objets de valeur qui y existaient encore.

Vers cette époque, 547 (1152-3 de J.-C.), Abd-el-Moumen, sorti du Maroc à la tête de ses Almohades, envahit le pays et s'empara du royaume de Bougie. Abd-el-Moumen était le disciple du mehdi Ibn-Toumert, qui, en prêchant des réformes dans les doctrines musulmanes, réussit à attirer à lui de nombreux adhérents, et fonda, dans le Moghreb, la dynastie des Almohades.

lahïa, roi de Bougie, voyant son territoire envahi par les armées du nouveau conquérant, eut à peine le temps. de s'embarquer avec ses trésors. Abd-el-Moumen plaça son fils, Abd-Allah, à la tête d'une armée et l'envoya contre la Kalâa. Cette place fut emportée d'assaut et livrée aux flammes; la garnison fut passée au fil de l'épée et dix-huit mille cadavres, dit-on, attestèrent la fureur des vainqueurs.

A cette nouvelle, les Arabes nomades, alliés aux princes sanhadjiens, se rendirent à Setif après avoir pris l'engagement de soutenir leur roi lahïa. Les deux partis en vinrent aux mains près de cette ancienne ville, et continuèrent à se battre pendant trois jours; mais, enfin, les Arabes reculèrent en désordre, après avoir perdu beaucoup de monde, et ils laissèrent leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfants au pouvoir des Almohades.

Lorsqu'éclata la révolte d'Ibn-Ghania, vers l'an 1185 de notre ère, la ville de Bougie tomba en son pouvoir par

surprise, et il est probable que toute la contrée environnante reconnut son autorité, puisqu'il fut assez puissant pour pénétrer dans la Kalâa des Beni-Hammad et aller, de là, mettre le siége devant Constantine. Mais l'autorité d'Ibn-Ghania ne fut qu'éphémère dans cette région ; poursuivi à outrance par les Almohades, il dut s'éloigner vers le pays de Tripoli.

Cinquante ans après environ, l'émir Abou-Zakaria le hafsite, gouverneur de l'Ifrikia pour le compte des Almohades, mécontent de la conduite de son souverain, se rendait indépendant, faisait reconnaître partout son autorité et fondait la dynastie hafsite, qui, pendant plusieurs siècles, se maintint au pouvoir, malgré les révoltes qui éclatèrent souvent dans le sein même de ses états, et les attaques acharnées de ses puissants voisins, les Abd-elQuadites et les Merinites.

La famille royale hafsite régnait encore au seizième siècle, lorsque parurent sur la côte d'Afrique les frères Barberousse. Pendant cette longue période, les populations du pays de Setif, je ne parle pas de la ville même, puisque depuis longtemps elle avait été ruinée, -durent souvent épouser la querelle des princes hafsites, gouverneurs de Constantine et de Bougie, que la rivalité arma les uns contre les autres. Il est également probable que ces populations allèrent au secours d'Abdel-Aziz, dernier roi de Bougie, attaqué par les Espagnols, sous les ordres de Pierre de Navarre, en 1510.

On verra plus loin, dans la Biographie de la famille féodale des Mokrani, les événements qui marquèrent le début de la conquête turque. L'autorité des nouveaux dominateurs était plus nominale que réelle; dans la

région des plaines, ils ne réussirent à étendre leur influence qu'en semant la division parmi les grands personnages des tribus. Les marabouts leur furent également d'une immense utilité. En flattant l'amour-propre de ces hommes religieux par des cadeaux et des compliments emphatiques, en leur constituant des apanages seigneuriaux pour satisfaire en même temps leur cupidité, les Turcs se créaient ainsi des alliés assez fidèles, dont le concours était fort utile pour mettre un frein à l'esprit indépendant et en même temps turbulent des Kabiles. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai déjà dit sur les marabouts des montagnes du Babor, et autres qui servaient les intérêts des Turcs. On trouvera ces renseignements dans mes Monographies de Bougie et de Gigelli.

Tous les ans, un peu avant la moisson, le bey, à la tête d'une petite colonne de troupes turques et de contingents de cavaliers arabes, pénétrait sur les contre-forts des montagnes, aussi avant qu'il le pouvait, sans grand danger. Les populations s'enfuyaient devant lui et se retiraient sur les hauteurs. Le bey s'installait dans le pays, prenait des positions, et faisait alors prévenir les fuyards qu'ils avaient à payer telle somme qu'il fixait arbitrairement, s'ils ne voulaient voir détruire leurs récoltes. Les Kabiles, atteints dans leurs intérêts, s'exécutaient presque toujours. Aussitôt l'amende perçue, le bey se retirait, accompagné le plus souvent à coups de fusil, et laissait le pays dans l'état d'insoumission où il l'avait trouvé en arrivant. Le point que les colonnes turques avaient l'habitude d'occuper pour ces sortes d'excursions est Tazrout, chez les Richïa. Là, existe un vaste plateau appelé Stab-Djebel-el-R'enem. Comme l'eau était assez loin de ce lieu

de campement, le bey El-Hadj-Ahmed fit creuser sur le plateau même, à un endroit humide et couvert de joncs, une sorte de grand puisard qui a conservé le nom d'AïnTurc.

Avant l'occupation française, les populations de la montagne, dont l'énergie n'avait pu s'user, vivaient indépendantes des Turcs, qui ne tentèrent jamais de les sou

meltre.

Dans la plaine, les tribus étaient divisées en autant de fractions qu'il y avait de familles puissantes. La politique turque, fondée sur l'art de diviser et d'opposer les influences les unes aux autres, entretenait avec soin ces inimitiés, qui eurent pour conséquence la formation des sofs, c'est-à-dire de ligues offensives et défensives d'un parti contre le parti rival. Des tribus entières, faisant cause commune avec telle ou telle famille féodale, étaient ainsi organisées en confédérations toujours prêtes à s'entre-déchirer pour le motif le plus futile. Afin d'expliquer les causes de certains événements politiques que nous aurons à raconter, il n'est pas sans utilité d'exposer sommairement ici l'origine des rivalités existant dans quelques-unes des principales tribus, ainsi que la position de certains personnages influents.

RIR'A.

Les Rir'a-Dahara et les Rir'a-Guebala, c'est-à-dire du Nord et du Sud, sont deux portions d'une même tribu; ils sont aujourd'hui rangés sous deux commandements distincts, mais ils ont toujours été mêlés aux mêmes événe

ments.

La tradition mentionne un certain lahïa-ben-Msahel

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