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Malgré ce châtiment sévère, une seconde révolte éclata encore l'année suivante chez les Ketama, dans les montagnes des Beni-Seliman, non loin de Setif. Elle avait été suscitée par un nommé Abou-el-Ferdj, juif, à ce que l'on rapporte, qui se donnait pour un petit-fils d'El-Kaïm, khalife fatimite. Les partisans qu'il trouva parmi les Ketama succombèrent presque tous sur le champ de bataille, el El-Mansour profita de la victoire pour accabler cette tribu de contributions et d'impôts. Abou-el-Feredj fut livré par les siens, et périt dans les tortures (1).

Hammad, frère d'El-Mansour et fondateur de la dynastie hammadite, qui acquit une si grande renommée en Afrique, était le chef de l'une des branches de la grande famille sanhadjienne des Zirides.

En l'an 398 (1007 de J.-C.), pendant qu'il était gouverneur de la ville de Msila, au nom des souverains fatimites, il fit construire, sur le flanc de la montagne du Kiana, par un esclave chrétien nommé Bouniache, une ville fortifiée, que l'on appela la Kalâa des Beni-Hammad.

transporta dans la Kalàa les habitants de Msila et de Hamza, villes qu'il détruisit de fond en comble, et y fit venir aussi des Djeraoua, peuplade mélangée de juifs et de chrétiens, habitant les montagnes de l'Aurès. Vers la fin du quatrième siècle de l'hégire, Hammad acheva de bâtir et de peupler sa ville, qu'il entoura de murs après y avoir construit plusieurs mosquées, caravansérails et autres édifices publics. La Kalâa atteignit bientôt une haute prospérité; sa population s'accrut rapidement, et les artisans, ainsi que les étudiants, s'y rendirent en foule

(1) Ibn-Khaldoun et En-Noweiri.

des pays les plus éloignés et des extrémités de l'empire. Cette affluence de voyageurs cut pour cause les grandes ressources que la nouvelle capitale offrait à ceux qui cultivaient les sciences, le commerce et les arts.

Le royaume hammadite comprenait la province de Constantine et celle d'Alger, c'est-à-dire à peu près les trois quarts de l'Algérie; il devait s'étendre depuis le méridien de La Calle jusqu'à celui de Tenès (1). Les papes, conservant les anciennes dénominations de l'époque romaine, donnaient aux princes hammadites, avec lesquels ils eurent des relations très-suivies, le titre de roi de la Mauritanie sitifienne (2).

Le khalife fatimite ayant voulu amoindrir la haute position qu'avait atteinte Hammad, celui-ci méconnut son autorité et proclama la souveraineté des khalifes abbacides. Cette défection amena une guerre sanglante et désastreuse pour Hammad, et qui dura encore sous le règne de son fils.

En l'an 453 (1062-3 de J.-C.), En-Nacer, fils d'Alennas, quatrième successeur de Hammad, son aïeul, arrivait au pouvoir. Ce fut sous son gouvernement que la dynastie hammadite atteignit au faîte de sa puissance. Ce monarque éleva des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs

(1) Carette, Exploration scientifique (Kabilie).

(2) Des pièces en or (de la valeur de dix-huit francs), remontant à cette époque et trouvées dans les ruines de la Kalâa, portent ces mots : Sur une face: Il n'y a d'autre Dieu que Dieu, Mahomet est son prophète; Sur l'autre L'Emir souverain des Beni-Hammad.

:

En exergue, sont plusieurs mots parmi lesquels nous n'avons pu lire que le nom de

äso sanbaka, les Sanbadja d'après l'ortho

صنهاكة

graphe adoptée. Ces pièces remontent au quatrième ou au cinquième siècle de l'hégire, dixième ou onzième de notre ère.

grandes villes, Bougie entre autres, l'ancienne Salda romaine, qu'il releva de ses ruines, et fit de nombreuses expéditions.

Les princes hammadites comptaient un certain nombre d'anciennes familles chrétiennes parmi leurs sujets. Unc opinion généralement répandue, c'est que les princes musulmans, dans un but de prosélytisme, prescrivaient la conversion immédiate ou l'extermination des peuplades vaincues par l'invasion arabe. Les hommes du Livre la Bible), les juifs et les chrétiens, ces derniers surtoul, pour lesquels les musulmans eurent toujours moins de répulsion, n'eurent qu'à se soumettre à l'impôt. A ces conditions, ils gardèrent leurs biens, leur culte, et leur commerce fut longtemps encore toléré. Ce n'est qu'exceptionnellement, et à la suite de luttes violentes, que la force fut employée pour les contraindre à abandonner leur croyance ou à s'expatrier.

Jusqu'au treizième siècle, plusieurs évêchés, et, entre autres, ceux de Carthage et d'Hippone, subsistèrent encore; le christianisme n'était pas éteint dans plusieurs villes et parmi les tribus berbères.

Les princes hammadites reçurent, à une époque vraisemblablement assez voisine de la fondation de la Kalaa, une colonic nombreuse de chrétiens berbères parmi les tribus qui vinrent peupler leur capitale, et qui continuèrent à l'habiter encore longtemps après la fondation de Bougie, ville dans laquelle les princes hammadites établirent plus tard le siége de leur gouvernement. La bonne entente existant entre ces princes et le saint-siége, donnait une entière sécurité à leurs sujets chrétiens. Il y eut même, pendant longtemps et jusqu'au treizième siècle,

des chrétiens servant dans les armées des princes africains. Des facilités leur étaient données pour la libre pratique de leur culte au milieu des troupes et des populations musulmanes l'église et les gouvernements chrétiens en permettaient le recrutement en Europe (1).

Nous avons vu plus haut que Hammad, fondateur de la dynastic hammadite, froissé dans sa dignité, avait répudié la souveraineté des khalifes fatimites pour se déclarer en faveur de leurs rivaux, les khalifes abbacides. Cette défection amena des guerres sanglantes et interminables, qui eurent pour conséquence l'entrée dans l'Afrique septentrionale d'une nouvelle invasion arabe. A cette époque, les tribus arabes nomades des Hilal étaient cantonnées dans la Haute-Égypte, où elles répandaient la dévastation, attaquant même les pélerins de la Mecque aux jours où l'on remplissait les grands devoirs de la religion. Afin de se débarrasser de leur présence d'une manière utile, le khalife résolut de les faire passer en Afrique et de les opposer aux princes sanhadjiens. En conséquence de la décision que l'on venait de prendre, le khalife El-Mostancer, en l'an 441 (1049-50 de J.-C.), envoya son visir auprès de ces Arabes. Ce ministre commença par faire des dons peu considérables aux chefs, une fourrure et une pièce d'or à chaque individu ; ensuite, il les autorisa à passer le Nil en leur adressant ces paroles: « Je vous fais cadeau du Moghreb et du royaume sanhadjien, qui s'est soustrait à l'autorité de son maître. Ainsi, dorénavant, vous ne serez plus dans le besoin! »

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(1) Voir, pour d'autres détails à ce sujet, notre Histoire de Bougie (Documents de M. de Mas-Latrie).

Les Arabes, animés par l'espoir du butin, franchirent le Nil et allèrent occuper la province de Barca. Ayant pris et saccagé les villes de cette région, ils adressèrent à leurs frères, qu'ils avaient laissés sur la rive droite du Nil, une description attrayante du pays qu'ils venaient d'envahir. Les retardataires s'empressèrent d'acheter la permission de passer le fleuve. Ces envahisseurs se partagèrent alors le pays, et toutes les familles hilaliennes se précipitèrent sur l'Ifrikia comme une nuée de sauterelles, abimant et détruisant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Ces événements, et les guerres acharnées qu'il fallut soutenir, ébranlèrent profondément la prospérité de l'Ifrikia; la dévastation s'étendit partout; plusieurs grandes villes furent détruites et une foule de brigands interceptaient les routes et dépouillaient les voyageurs.

Les Arabes, ayant enlevé au peuple sanhadjien toutes ses villes, établirent leur autorité sur les lieux que le khalife leur avait assignés. Le prince En-Nacer, réfugié dans sa Kalâa, se vit bientôt bloqué par l'ennemi. Les assiégeants, après avoir dévasté les jardins et coupé tous les bois qui entouraient la place, allèrent insulter les autres villes de la province. Ayant mis en ruines celles de Tobna et de Msila, dont ils avaient chassé les habitants, ils se jetèrent sur les caravansérails, les villages, les fermes et les villes, abattant tout à ras de terre et changeant ces lieux en une vaste solitude, après en avoir comblé les puits et coupé les arbres.

De cette manière, ils répandirent la désolation partout, obligèrent les princes sanhadjiens à s'enfermer dans les grandes villes, leur enlevant peu à peu le territoire qui leur restait. Toujours guettant les moments favorables

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