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fut qu'à grande peine, et après une lutte meurtrière, qu'on parvint à le sauver. Parvenu ainsi à s'échapper, il occupa dans la montagne du Kiana une position tellement escarpéc, qu'aucun moyen de retraite ne lui resta. El-Mansour, qui n'avait cessé de le poursuivre, sortit de Msila un vendredi, premier du mois de ramadhan de l'année 335 (de J.-C. 946-47), et vint planter ses tentes dans un lieu appelé par les uns En-Nadour, et par les autres Aroucène, sur le flanc d'un piton. Son dessein était de bloquer Abou-Iezid et, en effet, le lendemain, il escalada le mont Kiana. Après une ascension des plus périlleuses à travers les rochers, obligé le plus souvent de marcher à pied, il atteignit enfin son ennemi. La rencontre fut terrible. El-Mansour mit ses ennemis en déroute, s'empara de leurs bagages et les força à se réfugier sur les cimes de la montagne, où ils se défendirent encore en lançant des pierres. Bientôt, les combattants se trouvèrent tellement rapprochés, qu'ils purent se battre corps à corps. A l'entrée de la nuit, El-Mansour fit mettre le feu aux broussailles et à un grand nombre de gourbis, afin de mieux découvrir ceux qui voudraient s'évader. Ce combat fut, dès lors, nommé la journée des flammes, oukâut-el-harik. Les compagnons d'Abou-lezid furent mis en déroute ou massacrés, leurs femmes et leurs enfants devinrent prisonniers du khalife, et le vainqueur ramassa un butin incalculable, tant en chevaux et en chameaux qu'en bétail de toute espèce.

Après ce déplorable échec, Abou-Iezid se jeta dans le fort de Tagarboust qui domine celui de Hammad. Pendant ce temps-là, El-Mansour redescendait vers En-Nadour et lançait son lieutenant Kaïçar et le chef des Sanhadja, Ziri

Ibn-Menad, avec un gros détachement, contre la tribu des R'edirouan, à quinze mille Est du fort de Hammad. Lorsqu'ils eurent passé au fil de l'épée les habitants de la localité, brûlé leurs maisons et emmené leurs enfants prisonniers dans le but de leur faire expier l'accueil qu'ils avaient fait aux rebelles, Kaïçar se porta sur Kalàat-elMri, qui est le fort de Kiana dans le massif bien connu de Kalâa. Cette citadelle, qui, d'ailleurs, fait l'effet d'un drapeau arboré, fut surnommée par les Berbères El-Mri, parce que, dans l'antiquité, elle était couronnée de miroirs destinés à faire des signaux. Mais il était à peine arrivé au pied de la montagne, que les tribus descendirent spontanément pour lui offrir leur soumission. Changeant alors de tactique, Kaïçar essaya une attaque contre Aousedjit, village qui s'appuie au nord sur la pente inférieure du pic de Kalâa et touche au pays des Adjica. Il était trop tard, car la population avait fui devant lui et s'était rendue à Abou-Iezid. Dans l'impossibilité de les atteindre, il se jeta sur les Aousdja, fraction des Adjica, et leur livra bataille sur un terrain très-accidenté et au milieu de montagnes inaccessibles. La victoire qu'il remporta sur eux fut complète. Maître du champ de bataille, il tourna ses opérations contre le fort de Tenaker, que les Berbères appellent aujourd'hui Chiker; mais la garnison capitula sans coup férir. De là, il vint occuper le versant occidental du Kiana et y commença une attaque vigoureuse, pendant que le khalife El-Mansour prenait l'ennemi par la pente qui regarde le levant. Quand on fut au jour qui clôt le jeûne du ramadhan, le khalife prit ses mesures pour cerner Abou-lezid. In fossé fut creusé autour du camp, au pied du mont Kiana; on désigne

encore cette localité sous le nom de Khandek-ed-Dibadj, parce que le chef de l'armée s'y était abrité sous des tentes de soic. El-Mansour fit construire un immense fourneau au-dessus duquel fut fixée une poulie. Lorsqu'un Berbère révolté était pris, on le garrottait, on le hissait par les pieds au-dessus du foyer allumé, et on le maintenait dans une position où il pût être tourmenté par l'ardeur des flammes; mais, dès qu'il paraissait être sur le point d'expirer, on le relevait pour lui donner le temps de se ranimer; puis on répétait cet affreux supplice jusqu'à ce qu'il rendit l'âme.

Outre ces instruments de torture, le khalife fit fabriquer une cage en bois, où furent enfermés un singe et une guenon. « C'est là-dedans, dit-il à ses soldats, que je mettrai Abou-lezid et il aura pour société ces deux animaux. » La cage fut placée de manière à être aperçue par Abou-lezid. C'est à ce sujet qu'un poète de l'époque composa les vers suivants :

Mokhalled est perdu, Mokhalled et sa cohorte d'hérétiques!

Le voilà sur la terre de Kiana, loin de tout appui!

Il promène ses regards piteux, comme un homme bloqué regarde l'ennemi qui l'assiége.

Son œil découragé voit nos soldats aussi nombreux que le sable et les cailloux.

Hola! Mokhalled, fils de Sbika, la plus mauvaise engeance de toutes les tribus,

Viens goûter le fruit de tes forfaits et de tes crimes!

Viens expirer, dans les tourments, les cruautés que tu as commises et le meurtre des malheureux que tu as éventrés!

O toi! qui es la créature la plus monstrueuse du Kiana, comme le peuple du Kiana est le plus pervers de la Barbarie,

Vois cette cage où il faut que tu viennes gîter;

Vois quels liens y attendent tes mains et quels camarades on t'y réserve! Ils s'impatientent tous deux après toi....

Accours donc leur faire visite, ô le plus exécrable des visiteurs!

.

Le khalife El-Mansour, ayant reçu des renforts, se disposa à en finir avec l'ennemi. On lui entendait dire : « Tant que je n'aurai pas exterminé l'auteur de la révolte, mon trône sera où je campe et mon empire là où je guerroie. »

Ce fut le dernier dimanche du mois de moharrem, l'an 336 de J-C. 947-48), qu'il fit une pointe sur le Kiana, et poussa sur les hauteurs des troupes qui cernèrent Abou-Iezid. On se battit toute la journée et les engagements furent très-animés. La nuit venue, El-Mansour fit allumer des feux et prit à son tour l'offensive. Il n'y avait plus moyen de reculer; Abou-Iezid sortit de ses retranchements avec ses partisans et tous se ruèrent comme un seul homme sur l'armée du khalife. La mêlée fut atroce; les insurgés, sauf un petit nombre, y trouvèrent la mort. Abou-lezid reçut deux blessures, l'une au front, l'autre à l'omoplate. Affaibli par la perte de son sang, il glissa des bras de trois hommes qui l'emportaient et tomba dans un précipice. On envoya des soldats à sa recherche en fouillant les ravins. Les premiers qui le prirent, sans savoir qui il était, s'apprêtaient à le tuer; il se fit aussitôt reconnaître, et les gagna en leur abandonnant son sceau, ses habits et tout l'argent qu'il portait sur lui. Mais, à peine sorti de leurs mains, il tomba au milieu d'un autre détachement qui l'amena vivant au quartier général.

El-Mansour, s'adressant au prisonnier, lui dit :

Quel motif t'a poussé à cette guerre impie ?

J'ai voulu une chose, répondit Abou-lezid; mais Dieu ne m'a pas secondé.

Après ce colloque, El-Mansour lui offrit des vêtements

et ordonna qu'on lui prodiguât tous les soins qu'exigeait sa position, tant il était désireux de le mener vivant à Kaïrouan. Un chambellan fut préposé à sa garde. Malgré toutes ces précautions, il mourut de ses blessures au moment où il parlait au khalife. On prétend que c'est une perte de sang qui occasionna sa mort. El-Mansour le fit écorcher; sa peau fut rembourrée de coton et les jointures si parfaitement cousues, qu'on aurait pu prendre ce spectre pour un homme endormi. Les chairs furent coupées par morceaux et salées, puis envoyées avec les têtes de ses compagnons. Ces horribles trophées furent promenés dans les rues de Kaïrouan.

La guerre ainsi terminée, El-Mansour rentra à Msila, puis, après avoir réglé les affaires du pays, il prit la route de Kaïrouan.

Vers l'an 998 de notre ère, sous le règne du prince. sanhadjite, El-Mansour, arrière petit-fils de Ziri-Ibn-Menad, un nouveau missionnaire ou agent politique des Fatimites, nommé Abou-el-Sehem, vint de l'Orient et entra dans le pays des Ketama, où il leva des troupes et se mit à battre monnaie. El-Mansour marcha contre les rebelles, saccagea la ville de Mila, qui s'était déclarée en leur faveur, et détruisit tous les villages ketamiens qui se trouvaient sur son passage. Ayant défait les insurgés devant Setif, il poursuivit Abou-el-Fehem et parvint à l'atteindre dans une montagne où il s'était réfugié. Le prisonnier fut conduit en présence d'El-Mansour, qui le frappa au point de lui laisser à peine un souffle de vie. On lui fendit ensuite le ventre pour en arracher le foie, et des esclaves nègres dépécèrent son corps, en firent rôtir les chairs et dévorèrent tout jusqu'aux os.

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