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celui-ci fit tuer Abou-Abd-Allah. Plusieurs tribus ketamiennes ayant pris les armes pour venger la mort du chiite, mirent à leur tête un enfant auquel ils donnèrent le titre de mehdi. Ils prétendirent même qu'il était prophète et que le chiite vivait encore. Le fils d'Obeïd-Allah marcha contre eux, les tailla en pièces, tua l'enfant et arrêta ainsi la défection des Ketama.

En 914, le fils du Mehdi, à la tête d'un corps de troupes ketamiennes, pénétra en Égypte et se rendit maître d'Alexandrie et de la province qui en dépend; mais, à la suite de quelques échecs que lui firent éprouver les troupes envoyées de Bagdad par le khalife abbacide, il se vit forcé d'abandonner l'Égypte et de rentrer dans le Moghreb.

Les Ketamiens prirent part à une nouvelle expédition contre l'Égypte, qui ne fut pas plus heureuse pas plus heureuse que la première; puis ils suivirent encore les généraux obeïdites dans leur campagne contre le Rif marocain. Quoi qu'il en soit, les Ketama, devenus les champions des fatimites, contribuèrent puissamment à la création de leur empire.

Le peuple ketamien, dit encore Ibn-Khaldoun, après avoir établi un empire dans l'Occident, devint très-puissant, et, par cette raison-là même, finit par s'éteindre. dans le luxe et dans la mollesse. Toutes les branches de cette peuplade, à l'exception de celles qui se sont retranchées dans les montagnes de leurs anciens territoires, comme les Beni-Zeldoui (Zoundaï), les Zouaoua et les habitants des montagnes de Gigelli, ont été obligées de se soumettre à l'impôt et de passer au rang des sujets de l'empire hafside.

De nos jours, ajoute Ibn-Khaldoun, l'appellation de

ketamien est employée chez toutes les tribus pour désigner un homme avili. La raison en est que, pendant les quatre siècles qui se sont écoulés depuis la chute de l'empire ketamien, les dynasties suivantes se sont plu à leur reprocher l'attachement qu'ils avaient montré aux doctrines hérétiques et aux croyances infidèles. Il en résulta que la plupart des peuplades ketamiennes renoncèrent à ce surnom, à cause de l'idée de dégradation qu'il comportait, et se donnèrent pour membres de quelque autre tribu. Pour cette raison, beaucoup de gens ont eu de la répugnance à se reconnaître d'origine berbère. L'épithète de ketami est en grand usage dans la province de Constantine; c'est une expression outrageante, synonyme de proxénète, sodomisé, homme avili, renégat, qui renferme en elle tout le vocabulaire injurieux de la basse classe algérienne.

Ajoutons que les mœurs licencieuses des Ketama, qui répugnaient à la conscience des peuples, avaient fini par appeler sur leur nom la réprobation et le mépris. Certaines tribus bien connues ont, de nos jours encore, la triste réputation de faire commerce de leurs femmes et de leurs filles en accordant à leurs hôtes l'hospitalité la plus complète.

Obeïd-Allah le mehdi mourut vers le mois de février 934 de notre ère, et dans la vingt-quatrième année de son khalifat. Il eut pour successeur son fils, Abou-el-Kacem, surnommé El-Kaïm-biamr-Allah (qui maintient l'ordre de Dieu).

C'est pendant le règne de ce dernier qu'apparut sur la scène politique un personnage nommé Abou-Iezid, qui

devait jouer un grand rôle. Sa curieuse histoire mérite d'être racontée en détail (1).

Mokhalled-Ibn-Keïdad, surnommé Abou-lezid, l'homme à l'âne, était originaire de la tribu berbère des Zenata. Keïdad, père d'Abou-lezid, visitait souvent le pays des Noirs pour y faire le commerce. Son fils naquit d'une esclave qu'il avait achetée, nommée Sbika, et vit le jour å Kaokao, ville située dans cette région du Soudan. Cet enfant était boiteux et avait un signe sur la langue. Keïdad eut l'idée de le présenter à un devin du pays, qui, après l'avoir examiné, dit : « Voilà un enfant à qui..., à qui il arrivera de grandes choses; un jour, il sera roi. » Fier de cette prédiction, Keïdad revint dans son pays. Le jeune Abou-lezid apprit le Koran à Touzer, et fréquenta les sectes hérétiques musulmanes. Séduit par leurs doctrines, il en devint le prosélyte. Entraîné par le fanatisme, il déclara infidèles les personnes qui professaient la religion orthodoxe, décidant que, par ce fait même, elles avaient encouru la peine de mort et la confiscation de leurs biens. Il posa aussi en principe l'obligation de se révolter contre le sultan.

En l'an 928 de notre ère, il se mit à faire la police des mœurs et travailla à supprimer les abus qui portaient scandale à la religion. De cette manière, il gagna tant de partisans, qu'il se vit bientôt assez fort pour lever l'étendard de la révolte. Ayant pris un âne gris pour monture, d'où lui vint le surnom de l'homme à l'âne, vêtu de laine

(1) Plusieurs historiens arabes ont écrit sur Abou-lezid. La chronique d'lbn-Hammad, traduite par M. Cherbonneau, nous a paru fournir à ce sujet les renseignements les plus complets.

grossière, un bâton à la main et avec le seul titre de cheikh des vrais croyants, il avait commencé à prêcher l'insurrection. Plus tard, renonçant à ces habitudes simples, il adopta les habits de soie et ne monta plus que des chevaux de race. Il abandonnait à ses soldats les femmes des vaincus. Encouragés par l'exemple de sa cruauté, les Berbères de son armée massacraient sans pitié ceux qui tombaient en leur pouvoir. Ainsi, au blocus d'ElMahdia, tous les habitants qui, fuyant la famine, sortaient de la ville pour implorer la clémence des assiégeants, eurent le ventre fendu, et on fouilla jusque dans leurs entrailles vivantes pour y chercher l'or qu'ils avaient, disait-on, avalé. Les femmes enceintes subirent le même sort.

Abou-lezid avait attaqué avec succès les villes de Baghaïa, de Bedja, de Tebessa et de Kaïrouan après avoir remporté plusieurs victoires; mais la fortune finit par lui être défavorable, et il dut chercher son salut dans la fuite. Le khalife Ismaïl-el-Mansour, petit-fils d'Obeïd-Allah le melidi, se mit à sa poursuite vers le pays des Sanhadja, où il s'était retiré.

A cette époque, la grande famille berbère des Sanhadja était très-puissante. Leur pays renfermait les villes de Msila, Hamza, Médéa, Miliana. Au milieu des Sanhadja, vivaient plusieurs peuplades ayant la même origine qu'eux; c'étaient les Metennan, les Ouannougha et autres qui ont laissé leur nom dans le pays.

Malgré la chute constante des neiges, qui empêchait les soldats de planter leurs tentes, de se faire des abris et d'allumer des feux. Il fut accueilli avec de grands honneurs par le chef sanhadjien Ziri-Ibn-Menad, qui était

venu le rejoindre avec ses guerriers. El-Mansour les combla de tant de riches cadeaux, que leurs cœurs furent captivés; aussi lui jurèrent-ils soumission, dévouement et fidélité.

Abou-lezid, profitant de ce qu'une maladie contraignait El-Mansour à arrêter ses opérations, vint mettre le siége devant Msila; mais cette tentative échoua par suite de la marche rapide des troupes envoyées au secours de la ville attaquée, et il dut se jeter dans les montagnes de Kiana et des Adjiça (la chaîne du Bou-Taleb). Le khalife El-Mansour établit alors le centre de ses opérations à Msila. Quoique bloqué dans un massif de montagnes, Abou-lezid tirait ses subsistances des Sodrata et de BenThious. Mais l'activité infatigable d'El-Mansour devait le priver de cette dernière ressource. Par son ordre, les Zenata firent irruption sur le pays des Sodrata, massacrèrent les hommes, enlevèrent les femmes et emportèrent un immense butin, après avoir semé la destruction.

Bloqué dans ses retranchements, Abou-lezid en sortit. pour repousser les assaillants. -Le combat s'engagea et coûta à Abou-Iezid la perte d'environ dix mille hommes, tant fantassins que cavaliers, appartenant aux Benou-Kemlan et aux Mzata. Ce jour-là fut appelé la journée des têtes, ioum er-rous. Le chef des hérétiques éprouva une défaite signalée; il eut un cheval blessé sous lui et tomba sur le champ de bataille; ses compagnons d'armes lui en ayant procuré un second, il fut encore démonté, d'un coup de lance, par Ziri-Ibn-Menad. Au même instant, son fils, son neveu, ses parents et les officiers de son escorte mirent pied à terre pour lui faire un rempart de leur corps. Il avait reçu une large blessure dans les reins, et ce ne

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