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n'était pas sincère, et, par la suite, ils apostasièrent jusqu'à douze fois.

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Pendant plus d'un siècle, les princes aghlebides régnérent en Afrique au nom des khalifes de l'Orient. Ils avaient dompté les Berbères, lorsque la secte des kharedjites ou chiites, hérétiques musulmans, vint développer chez eux ses principes et ses doctrines. Les Berbères Ketama, organisés en sociétés secrètes par des émissaires très-ardents, prirent les armes les premiers, expulsèrent de l'Afrique le prince aghlebide, et reconnurent pour khalife un prince fatimite. Cette grande révolte prit naissance dans la région montagneuse qui sépare Setif de Gigelli (1).

Après la mort de Mahomet, son gendre et cousin, Ali, avait espéré obtenir le commandement temporel et spirituel des musulmans. De là, l'origine de rivalités et de luttes qui éclatèrent dans le sein de la nation arabe. On prit les armes de part et d'autres; mais les partisans d'Ali, nommés alides ou fatimites, ayant été battus dans plusieurs rencontres, se dispersèrent pour échapper à la mort. Quelques-uns de ces fuyards passèrent en Afrique, où ils trouvèrent les Berbères bien disposés à embrasser leurs doctrines. Ce peuple ne cherchait que des prétextes pour résister à la domination arabe; et si, dans les premiers teraps, il ne savait pas entreprendre une révolte sans se jeter dans l'apostasie, il apprit alors à s'insurger sans cesser d'être musulman.

Des missionnaires, partis de l'Orient, travaillaient à gagner des prosélytes à la cause d'Obeïd-Allah, qui aspi

(1) Nous sommes obligés de répéter ici quelques passages de notre Histoire de Gigelli.

rait à l'imamat, c'est-à-dire à l'héritage de l'autorité temporelle et spirituelle de Mahomet, dont il se prétendait le descendant. L'un de ces missionnaires s'établit près de l'embouchure de l'Oued-Roumel, dans le pays des Ketama. Dès lors, l'appel en faveur de l'islam se fit entendre dans toute cette contrée. Un autre agent, nommé Abou-Abd-Allah, se rendit à La Mecque, où il rencontra plusieurs notables de la tribu des Ketama, venus en pélerinage. Parmi ces Ketamiens, il fit la connaissance de Moussa, chef des Sekian de Djemila, et de Mâsoud, de la tribu des Messalta, non loin de Setif. Après avoir gagné leur amitié, il se mit à les entretenir des doctrines professées par les chiites, c'est-à-dire les sectaires fatimites, et, comme il montra une piété extrême et une grande abnégation de soi-même, il fit sur leurs esprits une profonde impression.

Les fréquentes visites qu'il rendit à ces chefs, dans leur camp, furent aussi agréables pour lui que pour eux. Quand ils se disposèrent à partir pour leur pays, ils l'invitèrent à les y accompagner. Les voyageurs s'étant mis en route arrivèrent dans le pays des Ketama en l'an 893 de notre ère, et s'arrêtèrent à Ikdjan, ville située dans le territoire de la tribu de Djemila (1). Une foule de

(1) D'après des renseignements que j'ai recueillis sur les lieux mèmes, Ikdjan, qu'il ne faut point confondre avec Guidjal, était le nom de tout un canton situé à l'est du Babor, occupé aujourd'hui par la tribu des Beni-Aziz. On voit là une série de montagnes escarpées et boisées et, entre autres, le pic de Serdj-el-R'oul, la selle de l'egre ou du vampire, nom qui lui a été donné à cause de sa forme bizarre. Près de la djemâa de Sidi-Abbassi, on voit, sur un espace très-étendu, des ruines que les Kabiles nomment encore Kherbat-lkdjan. Ce sont, à ne pas en douter, les vestiges de la ville qui devint le centre d'action des Obeïdites.

Ketamiens se joignit à Abou-Abd-Allah; leurs docteurs eurent des conférences avec lui et devinrent ses amis dévoués. Alors, il leur déclara que l'imamat appartenait à un membre de la famille de Mahomet, et i les invita à soutenir la cause d'Obeïd-Allah. Les Ketamiens, en grand nombre, embrassèrent les doctrines du missionnaire.

L'émir Aghlebide d'Ifrikia envoya à Abou-Abd-Allah une lettre menaçante, à laquelle celui-ci fit une réponse conçue en des termes outrageants. Alors ses préfets, les gouverneurs de Messila, de Setif et de Belezma, portèrent la guerre chez les Ketama. Quatre chefs de cette nation, craignant la sévérité du souverain aghlebide, se réunirent alors en conseil, et prirent la résolution d'exiger de Baïan, chef de Djemila, l'extradition d'Abou-Abd-Allah, qui se trouvait encore au mont Ikdjan. Mais la tribu de Djemila prit la défense de son hôte, et chassa ceux qui voulaient lui nuire. Abou-Abd-Allah et ses partisans, s'apercevant du danger qu'ils couraient, se réfugièrent à Tazrout. Les familles ketamiennes qui avaient prêté le serment de fidélité au missionnaire, s'empressèrent d'aller le rejoindre dans la ville de Tazrout, de sorte que l'autorité de cet aventurier prit un grand accroissement.

Après avoir repoussé avec pertes les troupes lancées contre lui, Abou-Abd-Allah réunit sous ses drapeaux les Adjiça, les Zouaoua et toutes les fractions de la grande tribu des Ketama. Pendant que les populations de la province faisaient leur soumission, les unes de bon gré, les autres contraintes par la force des armes, un corps de troupes aghlebides quitta Tunis et pénétra chez les Kctama. Cette expédition se dirigea sur Tazrout, et mit en

fuite les troupes qu'Abou-Abd-Allah avait concentrées auprès de la ville de Melouça (1).

Le chiite abandonna aussitôt la forteresse de Tazrout et courut s'enfermer dans Ikdjan. Après avoir démantelé Tazrout (902), le général aghlebide marcha contre lui; mais, à mesure qu'il s'avançait dans le territoire des Ketama, les difficultés s'augmentaient et le découragement se mit alors dans son armée. Un détachement de troupes, envoyé en reconnaissance du côté de Mila, fut mis en déroute par les insurgés, et la position empira tellement, que les Aghlebides durent évacuer le pays des Ketama. Abou-Abd-Allah établit alors sa demeure à Ikdjan, où il fonda une ville qu'il appela Dar-el-Hidjra (maison de la retraite) (2). Quelque temps après, cet habile missionnaire, ayant rallié tous les Ketama autour de lui, mit le siége devant Setif; la place finit par capituler et fut ruinée de fond en comble (3). De victoire en victoire, il s'empara successivement des autres villes importantes de la province.

Pendant que les populations de l'Ifrikia souhaitaient le triomphe d'Abou-Abd-Allah, à cause de sa clémence

(1) La ville de Melouça existait sur le territoire actuel de la tribu des Oulad-Abd-en-Nour, à l'est du Djebel-Grous. Les ruines portent aujourd'hui le nom d'Aïn-Melouk. A quelques kilomètres plus au nord, sont les ruines de l'ancienne ville de Tazrout, qui ont conservé le même nom jusqu'à ce jour. En langue berbère, Tazrout signifie rocher; la ville était, en effet, bâtie contre la crète rocheuse qui domine ce canton.

(2) Nous avons indiqué dans une note ci-dessus la position de cette ville fondée à Ikdjan.

(3) Le géographe arabe El-Bekri dit que la muraille qui entourait Setif fut détruite par les Ketama, et cela, pour la raison que les Arabes leur avaient enlevé cette ville et les avaient obligés à payer la dime chaque fois qu'ils voulaient y entrer.

envers les vaincus et de son respect pour les traités, les Aghlebides recevaient à toute heure les nouvelles les plus fâcheuses et vidaient leurs trésors, afin d'organiser de nouvelles armées et de réparer les places fortes. Le mehdi Obeïd-Allah, en faveur duquel Abou-Abd-Allah faisait de la propagande, après une série d'aventures qu'il est inutile de rappeler ici, finit par arriver à Ikdjan où son précurseur, Abou-Abd-Allah, lui remit tous les trésors qu'il avait amassés. Ce prince étant ainsi parvenu au pouvoir, envoya des agents dans toutes les parties de l'empire, pour sommer les populations de reconnaître son autorité. Les principaux personnages parmi les Ketama qui avaient soutenu avec tant d'énergie la cause du mehdi Obeïd-Allah, reçurent, en récompense de leurs services, des sommes d'argent, de belles esclaves et des commandements importants.

Obeïd-Allah ayant obtenu le scrment de fidélité de la majeure partie des populations, entre autres de celle de Kaïrouan, résidence habituelle des émirs africains, envoya des gouverneurs en Sicile et à Tripoli. Le nouveau souverain, devenu maître de l'Ifrikia, résista à l'influence d'Abou-Abd-Allah le chiite, et ne lui permit plus de se mêler de ses affaires. Celui-ci, profondément blessé, se mit alors à semer des germes de mécontentement parmi les Ketama et à les exciter contre le Mehdi, qui, disait-il, s'était approprié les trésors d'Ilkdjan, sans leur en avoir accordé la moindre partie, et qui pouvait bien n'être ni l'imam impeccable, ni la personne de laquelle ils avaient tant travaillé à soutenir les droits. Cette déclaration troubla la confiance des Ketama, qui prirent la résolution d'assassiner le Mehdi. Pour déjouer cette conjuration,

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