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NOTICE

SUR

LA STATUE DE BACCHUS

Par L.-C. FÉRAUD (1)

Dans les fouilles exécutées à Lambèse, à Philippeville et sur plusieurs autres points de la province, où existent des ruines monumentales, on a déjà trouvé de nombreux spécimens de l'art statuaire antique. Cependant, aucun d'eux ne peut, ce nous semble, être comparé à la belle statue de Bacchus découverte récemment à Constantine.

En poursuivant les travaux de percement de la rue Nationale, qui traverse la ville de l'est à l'ouest, les ouvriers terrassiers ont mis à jour une partie des compartiments des citernes romaines situées à l'angle de SidiAbd-el-Hadi. Attenante à l'un de ces compartiments, se trouvait une chambre, probablement affectée à une salle de bain, laquelle était encombrée de détritus de maçonnerie, de matières carbonisées et de cendres, provenant d'un incendie qui aurait détruit le monument existant jadis. Cette chambre était pavée d'une mosaïque entièrement dégradée par l'action du feu, puis par celle de

(1) Voir la planche.

l'humidité. Les murs latéraux, jusqu'à un mètre audessus du sol, étaient lambrissés avec des plaques de couleurs différentes. Au-dessus de ce placage, une série de niches pratiquées dans les murs avaient contenu des statuettes en marbre, dont les tronçons ont été retrouvés renversés par terre. C'étaient, autant que nous avons pu en juger par les débris, des images d'hommes, de femmes et d'enfants, d'une exécution assez soignée. Mais l'œuvre d'art capitale, gisant au milieu de cet amas de décombres, est celle que reproduit notre gravure; elle était couchée à terre, la face contre le sol, au pied de la niche qui avait dû la contenir. Les cassures qui l'ont divisée en plusieurs fragments proviennent évidemment du choc d'une chute violente, causée, par exemple, par l'écroulement des murs, mais non par suite de mutilation systématique, comme on l'a constaté sur la plupart des statues découvertes en Algérie jusqu'à ce jour. Ainsi, la tête adhère encore au tronc, et si le nez a disparu, c'est qu'il s'est écrasé, en tombant, sous le poids du reste du corps.

Cette belle statue, qui a toute la finesse d'exécution de l'art grec, est en marbre blanc et de grandeur naturelle, c'est-à-dire celle d'un homme de taille ordinaire. Le galbe de l'ensemble est gracieux et bien proportionné. Le sujet est debout, le bras gauche accoudé sur un tronc d'arbre qu'entoure un cep de vigne, duquel pendent des grappes de raisin. La main gauche, portée en avant, tient un vase ou coupe à deux anses. Le bras droit, allongé, s'appuie sur un thyrse enrubanné. Aux pieds, contre le tronc d'arbre, est un petit animal ayant l'aspect d'un jeune léopard.

L'ensemble de la tête imite beaucoup plus la physionomie de la femme que celle d'un jeune homme imberbe, sous laquelle on représente ordinairement le dieu Bacchus. Les traits de la figure sont, en effet, d'une douceur extrême; d'une abondante chevelure ondulée, sur laquelle on aperçoit quelques traces de peinture rouge brique, s'échappent deux tresses qui tombent en avant des épaules. Cette chevelure se termine en arrière par un chignon proéminent comme celui de la coiffure des femmes; enfin, la tête est couronnée de pampres et de raisins.

Ainsi donc, la tête, les épaules, la chute des reins et les cuisses ont les contours potelés, moelleux et arrondis du corps de la femme, tandis que le reste, comme le haut de la poitrine, le torse, en un mot, et le bas des jambes, conservent les formes et les proportions indices de la virilité.

Quelques personnes ont supposé que cette statue représentait l'hermaphrodite. C'est une erreur, à notre avis, et il ne faut y voir que l'image d'un Bacchus aux traits excessivement efféminés.

Après que cette œuvre remarquable a été transportée et mise en sûreté dans la salle du musée de la ville, un ouvrier marbrier a été chargé de la remettre d'aplomb en cimentant la cassure qui séparait les jambes du tronc. Par suite de cette tendance naturelle de vouloir trop bien restaurer le sujet confié à ses soins, l'ouvrier a ajouté, d'inspiration, quelques fragments brisés et disparus; ainsi, il a refait en plâtre le nez, les anses de la coupe; le milieu du bras droit, dont la cassure laissait une lacune, l'index de la main droite, une partie de la

hampe du thyrse et, entre autres, la pomme de pin du sommet, une feuille de vigne a été collée sur les parties sexuelles pour les cacher. Mais la restitution la plus fàcheuse, est assurément d'avoir mis une tête de levrette à la place de celle du petit léopard, qui a disparu.

DES SILEX EN ALGÉRIE

Il y a une dizaine d'années, un archéologue anglais, M. Christy, commençait avec moi, en Algérie, les premières fouilles de dolmen et autres monuments de forme dite celtique, dont j'ai signalé, à cette époque, le résultat satisfaisant. M. Christy attachait surtout une grande importance à la découverte des silex taillés, ayant servi à un usage quelconque aux populations des âges primitifs. Depuis cette époque, dans toutes mes courses dans la province, j'ai cherché des silex taillés; il s'en trouve en tous lieux, dans les montagnes comme dans les plaines ; mais il eût fallu beaucoup de complaisance et d'efforts d'imagination, pour reconstituer une forme exacte ou attribuer une destination spéciale aux fragments que j'avais vus jusqu'ici. C'est aux environs d'Ouargla, à deux cents lieues environ du littoral et au milieu de dunes de sable, qu'il m'était réservé d'obtenir un succès complet et convaincant.

Entre la ville saharienne de Negouça et celle d'Ouargla, à quatre kilomètres environ avant d'arriver à cette der

nière, on traverse de grandes dunes de sable, sur lesquelles brillent au soleil une infinité d'éclats de silex blanc; naturellement, j'explorai ce quartier pendant la ́ marche de la colonne, et on doit juger de ma satisfaction, lorsque je pus constater l'existence, au pied de la dune de sable, de l'emplacement d'une sorte d'ancien atelier, où les silex taillés couvraient littéralement le sol sur un espace de dix mètres carrés. La récolte fut abondante; plus d'une centaine d'échantillons assez bien conservés étaient en ma possession. Je fis immédiatement part de ma trouvaille au général Lacroix et à mes amis, entre autres au docteur Reboud et à M. le vétérinaire Souvigny, qui glanèrent aussi et en ramassèrent de nombreux échantillons. Ceux-là même qui, souvent, avaient souri et m'avaient plaisanté sur mes recherches de petits couteaux perdus, étaient obligés de se rendre à l'évidence; les plus incrédules étaient convaincus, en examinant cette quantité d'objets, œuvre palpable de l'industrie humaine, et non point produits par le fait d'un hasard capricieux.

Les silex sont généralement taillés en pointes de flẻches; presque tous sont à trois facettes, c'est-à-dire à peu près triangulaires. Un côté est entièrement plat et les deux autres forment une aréte plus ou moins vive et saillante, dont les bords sont tranchants. Le no 1 est la pointe de flèche du type le mieux réussi. La matière est un silex blanc, souvent transparent et quelquefois teinté de rose ou de brun; les éclats en sont très-nets. Des échantillons aigus, plus gros que les pointes de flèches, devaient avoir pour destination d'être montés au bout de lances ou de bâtons servant d'armes défensives, tandis

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